Chapitre 15

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Le tonnerre rugit, me sortant de transe, un arbre s'écroule plus loin. Le tiraillement des racines déforme encore plus la surface du sol, et les creux se multiplient. Aucun n'est aussi imposant que celui dans lequel Haru tente de garder contact avec l'air libre.

Matthew et moi tâtonnons l'espace avec nos chaussures, mais je ne suis même pas sûr de totalement pouvoir me fier à mes sens. Un chaos assourdissant sonne dans ma tête, un tintamarre de pensées incohérentes. J'ai l'impression de les voir s'acharner contre mes méninges jusqu'à attraper la bonne information.

J'ai la main sur l'épaule de Matthew, il a un pas d'avance. Je décide de créer un contre-poids en cadenassant mon bras au sien, faisant office de levier s'il trépasse dans la vase. Son corps s'abaisse, je me rends compte que nous avons froid.

— Haru !

C'est ma voix.

Le trou n'est pas tant profond, mais il dépasse la taille d'un homme. Là n'est pas le danger. Ce qui nous mortifie, ce sont les débris que la tempête crache depuis plusieurs heures, emportés par le vent et la pluie, ruisselant dans les sillons de vase qui s'accumulent sur le même point. Ils tombent tous avec lui, comme aspirés dans un trou noir, rendant l'eau qui l'emprisonne pâteuse et sale. Il a du mal à bouger sans perdre toutes ses forces.

Mais il m'entend, alors que nous nous penchons à la bordure friable de la lacune. Haru se retient à une branche. Quand il parvient à sortir son buste de la gadoue, il lui suffit d'un mouvement de travers pour qu'il s'y renfonce jusqu'aux épaules. Il se trouve dans de véritables sables mouvants.

Ses yeux fatigués croisent les miens, me donnant l'image de quelqu'un qui me voit à peine.

— Matt ? Reino ?

Puis, son expression change, quand mon genou dérape et que je menace de tomber dans la même mare de saletés. Je crois qu'il nous hurle de nous éloigner. Qui de nous l'écouterait ? On a été assez cinglés pour venir les chercher dans l'ouragan.

Soudain, alors que nous tendons nos mains blanches dans la distance, espérant que Haru puisse les atteindre, un poids tombe sur nos deux corps. Ce n'est pas violent, mais la fermeté du geste me surprend. Je tourne la tête et distingue la silhouette de Hyerin debout, et son visage déformé par la peur et la colère.

— J'ai trouvé ça !

Sa voix porte en elle une dangerosité qui m'est inconnue, ses yeux se plissent et elle balance une corde à Haru en lui ordonnant sans plus de modalités de s'y accrocher. Elle a sûrement profité de notre présence à ses côtés pour foncer et fouiller les moindres compartiments de la voiture de Matthew.

Nous tentions uniquement de réfléchir avec nos muscles, comme si nous avions la capacité de déplacer des montagnes. Haru arrivait à peine à se dépêtrer de quelques centimètres, comment Matthew et moi aurions pu le sortir de là à bout de bras ?

Nous nous éloignons de la pente pour avoir une base stable. La corde est assez longue pour que nous l'agrippions à trois. Et nous tirons. Encore et encore.

Et Haru sort de là, comme revenu des enfers.

Je vois à peine son visage. Son corps s'écroule tel une loque dès qu'il passe le dernier millimètre de pente. Je vois ses bras essayer de le faire se tourner sur le dos, mais même là, ça semble trop. Nous nous jetons sur lui, je ne sais pas ce que nous lui crions, ce que nous éructons comme paroles inintelligibles. Notre instinct, c'est d'abord de l'éloigner de là.

Je ne sais même pas par quelle force nous avons regagné la voiture de Matthew.

L'effroi que je ressens ne s'estompe pas encore, l'adrénaline file dans mon sang comme un raz-de-marée. Haru est presque méconnaissable, couvert de boue, replié sur lui-même. L'intempérie se permet de lui débarbouiller partiellement le visage, mais je pourrais presque croire que toute cette crasse finira par s'incruster en lui. Qu'elle y laissera des dommages, des séquelles et des mémoires.

Il ne tient pas debout, Matthew et moi l'aidons à prendre place sur la banquette arrière et il y tombe plus qu'il ne s'y assoit.

— Il faut appeler la police.

J'accours sur le siège pour récupérer mon portable. Haru n'a pas encore réagi. Il est immobile et absent.

La batterie a lâché.

— Putain ! je m'exclame. Matthew, et le tien ?

Il marmonne quelque chose que je n'entends pas, comme s'il n'y croyait pas non plus. Que c'était du foutage de gueule de la part des cieux.

— T'as dit quoi ? je lui demande, sûrement d'une voix trop empressée.

Il explose pour la première fois.

— J'ai paumé mon téléphone en te courant après, bordel de merde !

En fait, nous nous rendons juste compte de la réalité de la chose. Nous nous prenons cette gifle en pleine face, en crescendo. On réalise doucement, c'est pour ça qu'on donne l'impression d'être des fous à liés.

Le visage de Matthew se montre à moi dans la réverbération lointaine des phares, je ne parviens pas à deviner si la pluie camoufle ses sanglots muets.

Il sait qu'il a failli le perdre.

Haru serait mort, si on n'avait pas été là.

Oops, my badOù les histoires vivent. Découvrez maintenant