23.
/!\ Mention de mort /!\Selvi Nakulini K.
Elle s'est noyée le 23 février de l'année scolaire précédente. Ça fait un peu plus de sept mois.
Je n'étais pas plus proche d'elle que d'une autre personne de ma classe, mais c'était sûrement ça qui rendait son départ encore plus dur. Nous étions tous proches, car beaucoup d'entre nous avions grandi ensemble au sein de cette académie, à voir au-delà de chacune de nos différences.
Elle n'était pas ma première amie, pas ma meilleure amie, elle n'avait pas forcément chamboulé ma vie plus que quelqu'un d'autre. Mais elle avait été là, et du jour au lendemain, elle a disparu.
Il y a eu un orage violent, cette nuit-là. Des orages, on en avait connu beaucoup en Floride, mais celui-là est resté ancré dans nos mémoires plus que dans les livres d'histoire.
— Des changements particuliers au niveau de ton sommeil ?
J'ai l'impression de me recevoir une décharge électrique et de revenir au présent. Les traits déjà flous de Selvi s'estompent pour laisser place au visage doux de madame Guildman.
— Je dors un peu mal, je lui avoue.
— Tu penses que c'est lié ?
— Bof. Peut-être. Je sais pas.
Madame Guildman est celle qui nous avait suivi un certain temps pour notre deuil. Puis, selon les familles, certains de mes camarades avaient continué sur des sessions plus approfondies avec des contacts qu'elle a elle-même recommandés.
Même si depuis ce jour-là, nous avions fait face à d'autres intempéries typiques des temps chauds de Miami, l'intensité de l'ouragan Dorian avait mis à mal une plaie que nous finissions tranquillement de faire cautériser. Ça nous a rappelé des souvenirs, ça nous a fait peur.
Ce matin, Guildman nous a prévenu qu'elle nous consulterait un à un tout au long de la journée, pour faire un point sur notre état actuel. Evidemment, elle ne pouvait pas nous forcer à aller à elle, elle nous a dit de nous manifester si nous voulions la voir.
Bon, elle avait un peu détourné la chose. Elle nous avait plutôt demandé de nous manifester si nous ne voulions pas la voir. Et sur le moment, presque personne n'a eu la foi de procéder à la moindre objection.
Quand je sors de cette consultation, un vent lourd plane dans la cour. C'est l'heure du déjeuner mais honnêtement, j'ai encore l'estomac dans les talons. En pesant le pour et le contre, je me résous tout de même à me diriger vers le self, car j'ai l'impression d'être plus enclin à l'isolement dernièrement.
Je n'ai pas apporté mon déjeuner aujourd'hui, alors je me permets un sandwich à la cafétéria et un jus de fruits. En tournant les talons, j'aperçois Matthew et les autres sur une table vers le fond. Ils parlent beaucoup, et je suppose que Blanca et Ioane ont décidé de mettre quelques parties de cette histoire en lumière. Les airs de Matthew et Haru sont graves, comme s'ils écoutaient le témoignage de revenus de guerre. Je vois Haru serrer les poings et parfois baisser les yeux, et je devine alors qu'il s'en veut.
Je m'apprête à les rejoindre quand quelqu'un attire mon attention à ma droite, sur une autre table.
Elias.
J'ai entendu sa voix quand il a rigolé plus fort avec Stillinson, elle ne porte pas autant que celle de sa bande. Ma marche s'arrête quand je tourne pour lui faire face, provoquant un silence lorsqu'il s'adresse à moi.
— Reino ?
— Faut que je te parle.
Aussitôt, les plateaux se lèvent avec empressement et à part lui, ils partent tous le nez dans leur assiette. J'entends quelques gargouillis à mon attention, et peut-être une ou deux excuses qui me mettent la puce à l'oreille sur les catalyseurs principaux de cette rumeur. Je crois que ma voix était un peu plus cinglante que je ne l'aurais voulu, mais ça me fait très bizarre de me dire que ça se percevait à ce point.
Je m'assois face à lui, ne déballant même pas mon sandwich.
— Je leur ai dit, il m'assure. Je leur ai dit que c'étaient des bobards.
— Qu'est-ce qui t'est passé par la tête, sérieux ?
Je veux en finir avec cette histoire erronée. Avec tout ce qui nous tombe dessus, je n'ai vraiment vraiment pas le temps pour gérer ce genre de commérages.
— J'avais bu à la soirée de Yuji, et tout le monde arrêtait pas de m'emmerder par rapport à toi et ce gars.
— Ce gars ?
Il marque une pause et je le sens plus amer.
— Tu sais de qui je parle Rei.
Je suis désabusé.
— Et tu trouves que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire ? je rétorque. Faire croire que j'étais de nouveau ton copain ? Et le pire, faire ça juste quand tu vois que je me rapproche de quelqu'un ?
— J'ai pas réfléchi, je suis vraiment désolé. Je te promets de rétablir la vérité.
Je sais qu'il ne ment pas, mais cette erreur n'arrive absolument pas au bon moment.
Au fond, je ne suis pas en colère. Je suis agacé, parce que ça me prend la tête, parce que c'était une situation inutile qui aurait pu être évitée. Je me fiche de ce que les autres pensent de moi, mais ce matin, Haru a vraiment eu l'air de croire que je m'étais moqué de lui.
— Mais c'est quoi votre problème, je m'emporte, mains sur mes tempes. C'est tout ce que vous savez faire, utiliser l'excuse de l'alcool pour me mettre dans des situations merdiques !
J'entends quelqu'un s'arrêter d'un mouvement dans mon dos. Tout à coup, en prenant conscience de la dureté de mes paroles, mon cœur tombe dans mon estomac et mon poil se hérisse. Je suis paralysé.
Je ne sais pas combien de temps la présence demeure, derrière-moi, mais ensuite, elle amorce un pas et une main entre dans mon champ de vision. Elle dépose quelque chose sur la surface de la table, je reconnais mes clés de maison.
— Elles sont tombées de ton sac, quand t'es sorti de classe avec madame Guildman.
Sa voix paraît impassible, mais je ne sais pas comment j'y décèle tant de fêlures à la fois. Il garde la main posée quelque secondes sur la table, j'ai l'impression qu'il fait barrière contre le monde avec son corps. Il doit regarder Elias.
— Et ce gars, il s'appelle Haru, lui confie-t-il. Si t'as un problème avec moi, tu viens me voir au lieu de faire ce genre de coup, parce que c'est franchement dégueulasse.
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Oops, my bad
Teen FictionÀ la Allison Academy, un établissement scolaire de North Miami Beach où se mêlent les cultures des quatre coins du monde, Reino se prépare à vivre sa dernière année comme toutes les précédentes. Mais ça, c'était sans compter l'arrivée d'un nouveau d...