Chapitre 37

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Je suis crevé.

J'ai complètement sous-estimé l'intensité de ce deuxième jour de bénévolat. Tout s'est accéléré pour nous faire accomplir les tâches qui avaient trainassé la veille, au point que je suis persuadé que notre promotion a inventé un nouveau sport de haut niveau : la chasse-au-trésor-pique-brochette.

Le principe, courir comme si notre vie en dépendait sur les mêmes hectares et planter le moindre déchet comme on taperait sur les taupes en plastique dans les jeux d'arcade. Sauf que nous n'étions pas comme des enfants en pleine récréation, à rire et nous amuser ; je crois qu'avec l'accumulation de fatigue qui nous guettait, certains d'entre nous se seraient volontiers défiés à la mode médiévale avec leurs piques feuilles en guise d'armes.

Parce que notre conscience, malgré tout, ne voulait pas nous laisser quitter les lieux avec un travail bâclé. On s'est tous pris d'affection pour Letty, cette petite septuagénaire qui vit pour l'instant seule au milieu de tout cet espace, qui se démène pour faire marcher ses dortoirs et sa petite auberge. Elle nous a raconté son histoire ce matin, pendant qu'on rendait un coup de frais à son jardin. À la fin de la matinée, un souffle de détermination a possédé toute la classe. Nous ne faisions plus ces corvées pour un point bonus dans nos dossiers ou pour avoir de beaux airs d'enfants de cœur, mais pour aider notre gentille mamie mexicaine.

- Pourquoi j'ai l'impression qu'on s'est un peu foutus de nous ? j'articule, la bouche pâteuse.

Le soir venu, pourtant, un détail de taille nous a un peu pris au dépourvu.

Faisal a la même mine de zombie que moi. Je tire sur le col de ma chemise blanche, me sentant bien gauche dans cette tenue après avoir tripoté de la crotte pendant les dernières trente-six heures. La lueur des torches éclaire Blanca plus loin, dans une robe d'été turquoise voltigeant contre ses longues jambes.

- C'est l'humour des adorables grands-mères, je suppose, me répond-il, tout aussi sonné par la tournure des événements.

Ce que Letty avait omis de nous dire, parmi toutes les péripéties de son larmoyant passé, c'était qu'elle n'était pas juste la patronne du dortoir des Frangipanes.

Elle était aussi la directrice de l'hôtel cinq étoiles planté quelques centaines de mètres plus loin.

- Personne a fait le rapprochement avec la grosse insigne « Hôtel des Frangipanes » sur les panneaux de directions ? nous charrie Haru.

On le fusille tous du regard. Il blêmit.

- Je suppose que non..., chuchote-t-il en s'éloignant vers un autre groupe.

- « Laeticia Frangipane, créatrice d'une filiale à son nom qui a connu un véritable succès à la fin des années quatre-vingt au Mexique. Elle est à la tête de plusieurs boutiques, hôtels et produits d'aromathérapie. », je lis en pilote automatique sur mon portable, avec une intonation rappelant vaguement celle de Siri.

- Mamie a une page Wikipédia ! s'étrangle Matthew.

Le fait est qu'après nous être acharnés comme des bêtes, elle nous a tous traînés à une réception tenue pour nous dans ledit hôtel. Enfin, la réception s'est tenue en extérieur, sur un espace qui nous a été réservé. Letty dit avec un anglais approximatif que c'est pour nous remercier. La vérité est qu'il est difficile de lui en vouloir, elle ne semble pas se rendre compte que ce détail - à savoir qu'elle est célèbre et incroyablement friquée - a un certain poids sur l'idée qu'on s'était fait de la vie.

Après coup, ça nous a bien fait rire.

Un grand buffet se tient sur plusieurs rangées de tables. Un assortiment de fruits tropicaux, de grillades et de desserts sont mélangées à certaines spécialités de chez Letty. Nous avons le choix de prendre place sur des banquettes extérieures, à la lumière des torches et de la nuit, ou de nous balader sur la place. De nombreux palmiers recouvrent l'espace et plusieurs chemins dallés se rejoignent vers la grande piscine de l'hôtel plus loin.

Il y a de la musique, un groupe habitué se tient sur une estrade. Magdalena commence à danser pieds nus dans le sable blanc.

Je remue les bras en soufflant, sentant tous mes muscles endoloris. Je ne m'attendais pas à finir ici. Et même si c'est une sacrée chouette récompense, j'ai quand même hâte de m'écrouler dans ma couette.

Haru déambule dans les environs en mastiquant une brochette de poisson et en faisant la causette à qui il croise. Sa chemise bleu marine trace la ligne forte et régulière de ses épaules. Deux de ses boutons sont défaits, laissant se balancer, à chacun de ses mouvements, un pendentif en perle de verre, ces mêmes breloques que celles qu'il a à son bracelet. Lorsqu'il croise les bras, je reste un instant sur la teinte halée qu'a pris sa peau : il a bronzé, ça lui va bien.

Ça lui va très bien.

- Dis-donc Rei, ça mate dur.

Je l'ai sûrement regardé trop longtemps, j'ai un sursaut face au commentaire tout sauf discret de Matthew. Quelques autres élèves se tournent même vers moi et ont un sourire qui veut tout dire. Je. Suis. Grillé.

J'attrape les mains de Matthew quand il commence à me mimer des bisous avec sa bouche en cul de poule.

- Non mais arrête ! je couine.

Sauf qu'on titube dans le sable. On est vraiment crevés. La fatigue me rattrape, encore plus, et mon embarras pourtant très fort se distille en plein dedans. Sans crier gare, je me mets à glousser, et lui aussi. Comme des baleines, un fou rire nous prend pendant de longues secondes et quand bien même nous essayons, il est impossible de nous arrêter. Je ne sais pas ce qu'il y a de si drôle, mais ça vient et je l'accueille, cette euphorie sous la lune.

- Vous êtes défoncés ou quoi ?

La voix d'Haru ne me calme pas. Au contraire, mon rire redouble quand il apparaît dans mon champ de vision. Parce que c'est de sa faute, j'étais en train de le mater, Matthew m'a cramé et ça nous a fait partir dans une hilarité incontrôlable.

- Sérieux, se renfrogne Haru. Y'a quoi de si drôle ?

On se regarde encore, avec Matthew. Comme porteurs d'un secret idiot, nous éclatons encore une fois de rire. J'en perds même l'équilibre, et Haru me retient. Son bras autour de ma taille ne se défait pas et il me tire contre lui pour que je le regarde.

- Quoi ? je lui souris, ne prenant pas conscience de notre proximité.

- Avouez, vous faites vos commères sur moi.

- Peut-être ?

Il claque sa langue. Mais sa réplique se bloque quand mon visage se rapproche du sien. Ses yeux deviennent plus grands.

- Boude pas, fais-je en lui tapotant la joue, j'ai le droit de te trouver beau, non ?

Encore une fois, je n'ai pas véritablement conscience de mes paroles. Je me sépare de lui et m'enfuis avec Matthew avant même d'avoir pu voir sa réaction.

Oops, my badOù les histoires vivent. Découvrez maintenant