Chapitre 11

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Trouver la bonne méthode pour éconduire Haru s'avère être plus difficile que ce que je croyais.

J'avais pour idée d'engager la conversation comme à notre habitude et d'intégrer les bonnes informations entre deux anecdotes barbantes.

« Hier soir on a mangé des raviolis à la viande, y'avait un téléfilm super cliché à la télé, toi et moi c'est mort, j'ai bu une tisane à l'hibiscus avant de dormir ».

Jade passe en coup de vent devant moi et se fige, un sourcil haussé. Je l'entends marmonner un « C'est pas un râteau ça, c'est carrément une guillotine. » avec ce charmant accent parisien qui lui donne un air raffiné, même quand elle parle de choses qui le sont bien moins.

Je lui présente un sourire embarrassé et elle s'en va vers les portes de sortie du lycée. Nous sommes déjà en fin de semaine et il a tout simplement été impossible pour moi d'aborder le sujet avec Haru. De un, on se parlait assez peu, comme d'habitude. De deux, quand il nous arrivait de tenir une conversation, il y avait toujours une tierce personne à nos côtés. De trois, l'idée de la guillotine est sûrement un peu trop violente. En clair, aucune des conditions n'est remplie pour que je passe à l'action.

— Elle a été un peu dure Mme Jefferson. Avec nous elle a jamais été aussi sévère.

Je pivote et le retrouve derrière moi, mains dans les poches.

Cependant, ce qui a changé cette semaine, c'est que Haru est davantage celui qui vient m'aborder. D'habitude, j'ai toujours à faire le premier pas pour le saluer. Je pense que le temps fait que je l'intimide moins. Peut-être est-ce aussi lié au fait qu'il s'est déclaré, plus ou moins, même sous l'effet de l'alcool, et que je ne l'ignore pas pour autant.

Savoir que ses sentiments ont au moins été entendus doit l'apaiser un peu.

J'essaye de rire devant sa remarque, mais en me rappelant les remontrances que je me suis pris en fin d'après-midi après avoir oublié mes livres, j'ai plutôt le cœur lourd.

— C'est parce que c'est rare que je sois aussi étourdi, elle est pas habituée.

— Quand même.

Et il reste là, sans vraiment me regarder dans les yeux, mais en ma présence. J'en viens à me dire que c'est le moment, que je peux dériver sur cette discussion que nous devons de toute façon avoir un jour ou l'autre.

— Haru, tu..., commencé-je.

— Désolé pour l'autre soir.

Sa phrase interrompt le flux de mes pensées et je bats des cils.

— Pardon ?

Il passe sa main dans sa nuque et inspire.

— D'un côté j'suis soulagé d'avoir pu te le dire, mais je trouve ça un peu naze de ma part. J'aurais préféré avoir les couilles de te l'avouer sans être complètement défoncé.

Evidemment, il parle de sa déclaration, mais à sa façon de m'amener la chose, j'ai l'impression qu'il m'a demandé en mariage et que je n'en ai aucun souvenir.

— Tu sais, y'a pas à en faire toute une histoire, je tente de le rassurer. Ça montre peut-être que t'avais besoin de t'ôter de ce poids. Et puis comme ça on sera tous les deux fixés, sur le fait que...

Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me happe dans mes propres paroles. Je me surprends à coincer ma langue entre mes lèvres, et mon cœur bat plus vite.

Quelque chose en moi vient de m'empêcher de continuer sur ma lancée. Je ne sais même pas pourquoi.

Haru a un sourire assez bref, pas triste, pas débordant de joie non plus, mais portant sur lui une étonnante espièglerie.

— Sur le fait que tu m'as recale parce qu'on se connaît pas assez ? continue-t-il pour moi. J'avoue que j'aurais aimé l'oublier, cette partie-là.

C'est ça, c'est cette attitude plus insolente et taquine que je veux voir en lui. Ce Haru plus franc, authentique, dont les paroles s'écorchent sur l'empreinte de qui il est.

Il fait un pas vers moi et ça me surprend.

— Reino, t'es pas le genre de personne à qui on balance des disquettes ringardes alors qu'on est à côté de nos pompes.

J'ai l'impression qu'il est proche de moi, j'ai d'abord du mal à évaluer la distance. J'essaye d'avoir une vision globale sur la situation, mais les informations que j'intègre ne sont pas les plus pertinentes :

Tiens, pensé-je sans aucune raison. Il est plus grand que moi.

J'agrandis alors l'échelle de mesure et me concentre sur ses yeux, sur son regard. Mauvaise idée, Rei. Très vite, je ne parviens plus à m'en décrocher, j'y cherche la moindre faille, de la même façon qu'on sillonnerait les crevasses d'une sculpture pour en reconstituer l'histoire.

— Je suis quel genre de personne alors ? je me surprends à demander tout bas, comme à bout de souffle.

Je ne devrais pas l'encourager. Je n'aurais pas dû lui demander, ça pourrait lui faire croire qu'il y a un passage, que la faille, c'est en moi qu'elle se trouve.

Il entrouvre les lèvres pour me répondre, et je me demande quelle force il tend à porter dans ses mots. Je n'y avais jamais fait attention, car jusqu'à aujourd'hui, ils trébuchaient maladroitement sur sa langue.

Au dernier moment, pourtant, il se ravise.

— Le genre qui devrait penser à préparer son sac de cours la veille pour pas oublier ses manuels, rigole-t-il.

Il me laisse en plan après un signe de la main que j'arrive à peine à lui rendre. Il m'a, encore une fois, troublé.

J'ai l'impression qu'en une simple conversation à la dérobée, j'ai découvert une facette inédite de lui. Une facette qu'il n'expose pas quand il est avec les autres. Quelque chose de plus secret, qui condense chaque parcelle de ce qu'il est en une vérité éhontée et absolue.

Oops, my badOù les histoires vivent. Découvrez maintenant