2.
— Sinon, je m'appelle Matthew Bellingham.J'ai décroché, j'avoue. Matthew a un débit de paroles qui frôle celui d'Eminem et je crois que le stress de devoir se présenter n'a pas arrangé les choses. Il a commencé à parler de choux roux et de son chien Melchior, puis de Hampstead, à Londres, où il a passé une partie de son enfance. Je reviens à moi quand il termine, mais à l'air blasé qu'il affiche ensuite, je devine que son nom laisse Mme Jefferson en suspens, à croire que c'est la première fois qu'elle n'a pas à demander à ce qu'il le lui répète jusqu'à plus soif.
On apprécie tous Mme Jefferson, elle est adorable et un peu simplette. Mais disons qu'elle n'a jamais été capable de prononcer le moindre nom qui n'avait pas une base anglaise. Notre copine Jade, Parisienne jusqu'au bout des ongles, se fait appeler « Djèide », comme si occulter un « d » et transformer le son « a » pour se corriger allait incendier les cordes vocales de notre professeur.
Matthew termine en un souffle et son ami reste posté sur l'estrade. La nouvelle attention sur lui provoque nos rires muets, mais nous rions avec lui, pas sur lui, en nous rappelant le petit numéro qu'il nous a fait avant de s'enfuir aux toilettes avec un salut militaire éhonté.
— Haru Yoon, synthétise-t-il. Et puisque mon pote a déjà parlé pour huit personnes, j'aurai pas le temps de vous sortir la diapo de « comment devenir milliardaire avec la cryptomonnaie », donc pour toute réclamation allez-vous plaindre à lui.
On s'attendait à ce qu'il sorte encore une connerie, et on éclate tous de rire. En le voyant quelques minutes plus tôt, terré dans son silence, je pensais qu'il serait un mec taciturne et effacé, mais en fait, je sens qu'il est un délire particulier.
— Merci Haru, conclut Mme Jefferson, ne sachant pas si elle doit rire comme elle semble en crever d'envie, ou tenter de garder un semblant de professionnalisme.
Ils reviennent tous les deux s'assoir derrière moi et je ne cache pas mon sourire en les regardant.
Ouais, j'ai déjà vraiment envie d'être leur pote.
— T'as vu ? je lui dis. Elle t'a pas demandé si t'avais un autre nom, genre tu seras celui qui lèvera notre malédiction !
Contrairement à l'aisance qu'il avait sur scène, je le sens de nouveau avoir une absence en m'observant. Il cligne des yeux et se reprend :
— Ah ouais ?
— Bon, ajoute Faisal, un peu moins optimiste de ce point de vue. Là elle l'a entendu, mais attends qu'elle le lise, elle va te foutre un « H » aspiré comme celui d'un Allemand vénère.
Je pince les lèvres, je n'ai pas envie de donner raison à Faisal, mais je dois me rendre à l'évidence : c'est très certainement ce qui va se produire. Je décide d'en faire fi et de revenir vers Haru qui a les mains jointes et le dos droit. Bizarre.
— Tu sors souvent des vannes comme ça ? lui demandé-je en faisant références à ses deux interventions.
Je pourrais compter au moins cinq secondes de flottement entre mes phrases et les siennes.
— Je dis n'importe quoi quand je suis flippé, m'avoue-t-il. En vrai... y'a pas de diapo sur la crypto, mais j'avais vraiment envie de pisser !
Je me tais, cherchant dans ses yeux si c'est encore un délire. Sauf qu'il a l'air tout à coup sérieux et même embarrassé en me confiant cette information. Matthew tourne la tête vers lui, et j'ai l'impression qu'il est lui aussi largué par sa réaction.
J'ouvre la bouche, mais la referme ensuite. Je ne suis pas vraiment sûr d'avoir saisi ce qu'il voulait dire et ça me fait me sentir un peu bête sur le moment. Voyant que je rame, il dit un truc encore plus absurde :
— Hier soir j'ai ouvert une conserve de haricots verts, et y'avait une carotte dedans.
Un vacarme fait sursauter tout le monde.
— Reynold ? s'inquiète Mme Jefferson.
J'ai ri si fort que je me suis éclaté au sol.
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Oops, my bad
Teen FictionÀ la Allison Academy, un établissement scolaire de North Miami Beach où se mêlent les cultures des quatre coins du monde, Reino se prépare à vivre sa dernière année comme toutes les précédentes. Mais ça, c'était sans compter l'arrivée d'un nouveau d...