A la lettre

6. Sourires forcés

Je récupérai un album photos au hasard dans lequel j'avais entre quatre et six ans, puis rejoignis les filles qui me sautèrent dessus.

— Enfin ! Tu en as mis du temps ! s'écria Allissia.

— Tu t'es rendu compte que t'avais plein de dossiers et t'as essayé de fuir ?

— Ou bien elle se faisait juste désinfecter ses plaies.

Aux mots de Séverilla, les deux autres ouvrirent la bouche en forme d'anneau, comme s'il s'agissait d'une révélation incroyable et que Séverilla était un génie.

— Bon ! Photos !

Allissia me prit par les épaules pour m'asseoir sur mon lit et monta derrière moi pour permettre aux autres de s'installer à côté. Les coudes sur mes épaules et le menton sur ma tête, son regard impatient m'atteignait quand même.

— Tu sais que tu me fais mal ?

— Oups ?

Elle se détacha, riant près de mon oreille. Je levai les yeux au ciel, tout de même amusée et ouvris l'album. Je tournai rapidement les premières pages, car il ne s'agissait que de mes parents ou de leurs familles.

— Oh ! Attends, attends, attends ! C'est les photos de leur mariage ? Je veux voir ! s'exlama Allissia.

Elle plaque sa main sur la photo pour m'empêcher de tourner.

— Oh, mais c'est toi ! T'étais trop mignonne avec ta petite robe !

Allissia lâcha un petit bruit d'admiration qui me fit me demander si elle ne parlait pas d'un chat.

Illyana me pinça les joues, un sourire malicieux.

— C'est qu'elle était mignonne la petite Gwen !

— Che ne sais baime pas si che chuis abec des grands mères ou des gamines. Et arrête de be tirer les joues !

Je battis des mains de haut en bas vers Illyana pour qu'elle me lâche. Elle éclata de rire face à ma défense, tellement qu'elle se plia en deux, les mains sur le ventre. Je me massai les joues, une fausse mine boudeuse sur le visage.

Quand Allissia cessa ses bruits, je tournai les pochettes, plus lentement afin de lui laisser le temps de s'extasier sur les robes de chaque personne.

— C'est quoi cette grimace ? s'exclama Allissia.

— J'essayais de sourire... mais j'avais du mal à le faire comme ça, sans raison.

En vérité, je venais de me disputer avec un de mes cousins qui avait été méchant. Enfin, assez méchant pour blesser une enfant de six ans. J'étais sur le point de pleurer au moment où la photo avait été prise. Je me souvenais parfaitement des regards exaspérés ou moqueurs des membres de ma famille. Du sentiment d'humiliation. J'avais piqué une crise juste après et résultat, j'avais été puni.

— Sans raison ? s'enquit Allissia. T'étais au mariage de tes parents ! Ça te suffit pas ?

— J'en sais rien ! Demande à la moi de six ans ! m'emportai-je, sur la défensive.

Je pinçai les lèvres, espérant que les filles n'avaient rien remarqué. A priori non, car Allissia monta à moitié sur mon épaule et pointa un doigt accusateur sur la photo de moi petite.

— Gwen de six ans, pourquoi tu souris bizarrement alors que t'es à un mariage et que t'as une robe toute mimi !

Illyana se plia à nouveau en deux, hilare du comportement d'Allissia qui se tourna vers elle sans comprendre.

Je profitai de l'inattention de mon amie pour tourner la pochette afin de passer à des moments plus joyeux. 

Bientôt, il n'y eut plus de photo de mariage, mais je savais qu'il y en avait bien plus. Ici, il n'y avait que celle prise par papa, et de temps en temps, maman, mais celles prises par le photographe payé pour l'occasion étaient accrochées au-dessus de leur lit.

J'envahis bientôt l'album, avec des sourires tout aussi forcés les uns que les autres. 

La photo sous mes yeux par exemple avait été prise quelques minutes après qu'un de mes dessins qui m'avait pris plusieurs heures et dont j'étais super fière était tombé dans une flaque de boue.

— Tes parents te prenaient jamais en photo quand tu t'amusais ? Parce que là, on dirait qu'ils t'appelaient alors que t'avais encore la tête dans le cul, juste histoire de remplir les albums, remarqua Illyana.

— C'est... pas totalement faux. Mon père ne prend des photos que quand la situation l'inspire, mais à ce moment, il séjournait dans la ville voisine pour un shooting qui durait plusieurs jours. Du coup, ma mère, fan inconditionnel d'album photos, voulait en prendre plein, mais elle avait un peu de mal à trouver le moment, et elle m'appelait juste à des moments randoms.

Et rapidement elle prenait de plus en plus de photo lors des moments où je n'avais pas la force de sourire, afin de m'y habituer. C'était pour cela que j'avais toujours préféré les photos de papa, même en oubliant le fait que c'était son travail.

— Oh ! Re les photos de Fergus ! Woah, on voit vraiment la différence quand il s'agit d'un pro !

Allissia continuait de s'extasier, alors que mon sourire devint plus sincère, en proie à la nostalgie. 

À nouveau, Allissia plaque sa main sur une photo pour m'empêcher de tourner. Elle ne pipa mot pendant plusieurs secondes, ne lâchant qu'un souffle admiratif, accompagné de sifflements impressionnés d'Illyana.

— Je suis amoureuse de celle-là !

Je fixai celle qu'elle pointait. C'était dans l'ancienne maison de mon oncle, dans une ville plutôt loin. Je faisais de la balançoire dans le jardin pendant un coucher de soleil, un grand sourire aux lèvres. La photo était prise en contre-plongée, ce qui donnait une luminosité magnifique.

Un léger regret m'envahit, quand je me rendis compte que cela faisait depuis les grandes vacances que papa n'avait pas pris de photo pour nos albums. J'espérai que les prochaines seraient bientôt.

Parce que quand papa prenait une photo, j'étais toujours heureuse.