17. Incompréhension

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Une première larme. Puis une deuxième. Rapidement, un flot d'eau salé traça son chemin sur mes joues. Les yeux grands ouverts, je tentai de contrôler ma respiration et les spasmes qui me secouaient. Ce n'était vraiment pas une bonne chose d'être devant en fait ! Les autres ne devaient pas me voir ainsi !

Mais pourquoi pleurais-je ?

Mon voisin, pensant avoir dit quelque chose qu'il ne fallait pas, s'affola, agitant les bras dans tous les sens.

Ma professeur le remarqua vite et vint à moi, suivit par le regard de mes camarades.

— Gwen, qu'est-ce qui se passe ? Tu veux sortir un peu ?

Je hochai et, la main plaquée sur mon nez pour empêcher la morve de couler, je me hâtai en dehors de la salle. Ma professeur attira l'attention des autres sur elle d'une voix qui paraissait déformée à mes oreilles, avant de claquer la porte. Je me rendis aux toilettes qui, sans que je ne le comprenne, me renvoyais un sentiment agréable. Pas qu'il s'agisse d'un bon endroit en soi, mais pour calmer mes larmes, cela me semblait approprié.

Je commençai par me moucher avec du papier toilette. Inutile, il ne fallut pas plus de deux secondes pour que mon nez se remplisse. Abandonnant le combat, je me recroquevillai sur moi-même, blottit contre un mur sur lequel je me laissai glisser.

Que m'arrivait-il ? Pourquoi étais-je dans cet état ? Il n'y avait pourtant aucune raison ! Je n'avais rien entendu qui aurait pu me blesser, le cours était un simple cours de géographie ennuyant. Alors pourquoi mon cœur saignait-il ?

J'enfouis ma tête dans mes bras, quand la porte s'ouvrit. Oh non... Comme il n'y avait personne pendant les cours et que je ne pensais pas rester longtemps, je n'avais pas pris la peine de me cacher. J'étais juste contre une cabine, à côté des lavabos. La personne me verrait dès qu'elle viendrait se laver les mains.

Je ne voulais pas être vu. La honte... Si c'était possible, je fusionnerais avec le mur. 

— Gwen ?

Je relevai aussitôt la tête. Séverilla ? Pourquoi la professeur lui avait-elle demandé de venir ? Jugeait-elle que je prenais trop de temps ? J'avais l'impression de n'être là que depuis une minute ou deux. 

Le visage inquiet de Séverilla dépassa du mur, me poussant à baisser les yeux. Je calai le coin de ma tête dans mes bras. Séverilla s'assit à côté de moi et je me cachai un peu plus.

— Qu'est-ce que tu as ? Il s'est passé quelque chose ? Ça a un rapport avec le fait que tu sois arrivée tôt ce matin ?

Je haussai les épaules, mais mon geste se confondait dans mes sanglots. Je me raclai alors la gorge pour articuler du mieux que je pouvais malgré ma voix tremblante.

— Je sais pas... Je sais pas...

Ma voix partit tellement dans les aigus qu'elle devait être incompréhensible.

J'osai un regard vers mon amie comme si cela me permettrait d'obtenir une réponse. Elle n'attendit pas plus pour me serrer dans ses bras. Je me figeai, incapable de déchiffrer mes émotions. Mais après quelques secondes, son étreinte me fit l'effet d'une douce chaleur d'un feu de camp venant chatouiller ma peau. Mes muscles se détendirent et je me blottis contre elle. Mes larmes coulèrent et pour la première fois, j'acceptai de les laisser couler, n'ayant plus la force de les arrêter. 

Je me laissai pleurer contre son épaule alors qu'elle me frottait le dos d'une main et les cheveux, effleurant ma nuque de l'autre. Je pleurais contre la frustration de ne pas comprendre. Cela me faisait plus rager qu'autre chose. 

Je tremblais et étais secouée de spasmes, je ne contrôlais plus rien, et ça me faisait aussi peur. Jamais une telle chose m'était arrivé. Sans surprise, la première crainte qui envahit mes pensées était "et si cela m'arrivait devant maman ?" Je fermai les yeux avec force pour chasser les images qui s'ancraient dans mon cerveau.

Après de longues minutes à transformer mon énergie en liquide, je soupirai avant de m'éloigner de Séverilla. Elle se redressa pour récupérer du papier toilette juste au-dessous de nous et essuya l'humidité de mes joues, faisant attention à ne pas y ancrer les traces bleutées de ses bracelets, avant de le coller sur mon nez. Je m'assurai que prendre la parole ne me ferait pas sangloter de nouveau, me raclai la gorge.

— Je suis vraiment désolée de t'avoir embêté... Tu as perdu du temps de cours à cause de moi.

Séverilla secoua doucement la tête.

— Ne t'en fais pas pour ça. Et puis, c'est la professeur qui m'a demandé de te suivre pour éviter que tu sois toute seule. Ça t'es arrivé si soudainement, elle s'est inquiétée. Et moi aussi.

Je baissai la tête, mais elle me la releva du bout de l'index. Son regard était doux mais ferme.

— Ne te sens pas coupable. Même si tu ne sais pas ce qu'il s'est passé, il y avait forcément quelque chose. Ne culpabilise jamais de te sentir mal.

Je me mordillai la lèvre, le menton légèrement tremblant. Je n'osai pas répondre, ni même réagir. Des centaines de pensées m'assaillirent et je ne sus laquelle écouter. 

— Je...

— Chut... Tu n'as pas à répondre, ce n'était pas une question ou une proposition. Accepte que parfois, les choses aillent mal. Accepte de pleurer, que ça te semble être sans raison, ou non. 

— Je ne suis pas légitime... Pourquoi pleurer comme ça si ce n'est pas une vengeance du destin pour être si égoïste ?

C'était vrai, j'avais ressenti de la satisfaction à recevoir de l'attention et le monde a décidé que je ne pouvais penser ainsi et me donner une leçon.

Séverilla m'attrapa les joues. Je tentais de lire dans ses pensées, mais c'était impossible avec elle.

— Il n'y a pas de légitimité dans le fait d'être mal... Sauf dans certains cas où tu...

Elle se stoppa dans sa phrase, l'air de chercher ses mots.

— Enfin, ça n'a pas d'importance parce qu'il n'y a aucun rapport avec toi, avec nous. Il y a plein de choses que tu peux ignorer, mais écoute bien une chose ; il n'y a pas de légitimité à avoir. Répète-le, ça t'aidera à l'intérioriser.

Je détournai le regard. Je pouvais répéter sans problème ce qu'elle venait de me dire. Mais quel était l'intérêt si je n'y croyais pas, ne serait-ce qu'un peu. Évidemment que c'était vrai. C'était vrai pour les autres, mais mon cas était particulier. Séverilla ne pouvait pas savoir. Elle ne savait pas ce que je lui faisais, à elle, à Illyana et Allissia. Elle me voit comme la victime de harcèlement qui refuse de l'admettre et qui craque à cause de cela sans se l'avouer à soi-même.

Mais elle ne savait pas. Elle ne savait pas. Et elle ne le saurait peut-être jamais.

Séverilla me serra à nouveau dans ses bras.

— Oublie ça... Tu n'as pas à te forcer si ça te met mal à l'aise. Je me doute bien que ce n'est pas parce que je te le dis que tu vas miraculeusement changer ta façon de penser. Mais.... même si c'est dur d'aller vers les autres, ne nous oublie pas nous. Si tu as envie de parler à un moment, de quoi que ce soit, même si ça te semble futile, même si tu veux te convaincre que ça ne t'atteint pas, même si tu penses pouvoir le régler seule. Tu peux absolument tout nous dire. Et si ce n'est pas oralement, ça peut être à l'écrit, du dessin, une imitation, n'importe quoi qui te fera te sentir à l'aise. On ne te jugera jamais.

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