19. Changer les choses

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Face à la porte de la maison, je redoutais d'entrer et d'assister de nouveau à une dispute. Je devais ressembler à un enfant ayant fait une bêtise à l'école et sachant très bien les représailles des parents déjà au courant.

Je me collai à la porte, comme si j'allais fusionner avec et entendre parfaitement tout en étant invisible. 

Seules des paroles basses me parvenaient, mais il pouvait s'agir de la télévision. Ou bien maman et papa parlaient plus doucement pour ne pas être entendus ? 

Je pris une grande inspiration et, la respiration coupée, aussi silencieusement que possible, ouvris la porte. 

De forts chuchotements devinrent alors audibles et je me concentrai dessus, tout en maintenant le silence alors que je refermai la porte.

— Tu comptes vraiment faire l'autruche ? Tu es en train de détruire notre fille ! Comment tu peux ne pas t'en rendre compte ! s'exclama papa.

— C'est toi qui veux la détruire avec ta négativité ! Je ne t'ai pas connu comme ça, Fergus. Je pensais pourtant que tu t'étais calmé avec les années, mais tu es encore pire qu'avant ! C'est donc comme ça que tu me remercies de t'avoir apporté le bonheur ?

— Magdalena, cesse de faire l'enfant. Il n'est pas question de moi, mais de Gwen, notre fille. Je refuse de continuer de te suivre alors que son état mental se détériore. Je vais...

— Chut !

Je tendis l'oreille, mais plus aucun son. Ce n'était pas qu'ils avaient baissé le ton, non, ils en arrêtaient même de respirer. M'avaient-ils entendu ? J'étais pourtant sûre de n'avoir fait aucun bruit ! Le parquet grinça légèrement. Soit j'étais chanceuse et ils penseraient avoir imaginé et reprendraient leur conversation ou leur activité, soit au moins l'un d'eux, viendrait dans le couloir.

J'exécutai la première idée qui me vint en tête ; retirer mes chaussures à la vas vite, récupérer mes chaussons et m'engouffrer dans ma chambre sur la pointe des pieds. Ainsi, même s'ils comprenaient que j'étais rentré, ils se diraient peut-être que comme ils chuchotaient, je n'avais rien entendu. 

Non, cela ne suffirait pas... Je fourrai ma main dans ma sacoche pour sortir mon téléphone et mes doigts s'enroulèrent autour de mes écouteurs. Une idée illumina mon esprit. Avec mes écouteurs, cela devenait crédible ! 

Je les enfonçai dans mes oreilles et lançai un podcast au hasard sur spotify, puis m'installai à mon bureau, un air concentré sur le visage.

J'aurais vraiment l'air ridicule s'il s'avérait qu'ils ne m'avaient pas du tout entendu... Je jetai un regard à la fenêtre afin de m'assurer que personne ne me regardait. Le désavantage d'être au rez-de-chaussée, était que si je me ridiculisais, c'était probable que ce soit devant des personnes. Ma fenêtre donnait sur la rue à seulement quelques mètres du trottoir. N'importe qui, qui passait devant pouvait me voir.

Plongé dans mes réflexions, il me fallut une bonne minute pour me rendre compte qu'on toquait à ma porte. 

Après une grande inspiration, je pris mon téléphone que j'allumai et synchronisais mes gestes pour mettre en pause en même temps que j'ouvrais la porte afin de bien montrer que j'écoutais quelque chose. En même temps, je préparai mon meilleur jeu d'acteur.

— Vous étiez où ? J'ai même pas entendu la porte quand vous êtes rentré !

Papa apparut derrière maman, l'air interrogateur.

— On n'est pas sorti, ma puce.

— Oh ? Pourtant, c'était silencieux quand je suis rentré et généralement, à cette heure-là, c'est plus vivant, donc je pensais que vous étiez sortis.

Dans ma tête, j'avais l'impression de bien jouer, mais comme je ne pouvais pas voir mon visage, il était probable que mon jeu d'acteur s'avérait très mauvais.

Maman et papa se jetèrent un regard une fraction de seconde, puis le sourire de maman s'agrandit, satisfaite.

— Ta journée s'est bien passé, ma puce ?

Pouvait-on considérer que pleurer sans raison constituait une bonne journée ? Même si je parlais de larmes de joie, maman me tuerait.

— Super, comme d'habitude, maman.

Mon sourire sonnait faux, mais j'avais déjà fait pire, alors je supposais que cela avait aidé à être crédible.

Maman me répondit d'un sourire plus sincère, mais papa me jaugea du regard. Elle dépassa papa qui se redressa, mais une expression amère dessinait ses traits quand il la suivit du regard. Ensuite, il entra dans ma chambre, refermant la porte derrière lui.

Il s'assit sur mon lit et tapota la place à côté. Je posai mes affaires sur mon bureau et le rejoignis, la boule au ventre. J'étais plus rassuré face à papa que maman, mais je ne pouvais m'empêcher d'appréhender la suite.

— Je voulais m'excuser de ne pas avoir réagi plus tôt. Je ne me rendais pas compte, tant j'étais aveuglé. Mais maintenant que j'ai compris, je ne compte plus la laisser te détruire. Écoute, je ne sais pas ce qui se passe dans ta vie en dehors de la maison, ni même comment tu te sens réellement ici. Et je me doute que tu ne veuilles rien dire en sachant que ta mère est là, mais n'hésite pas à parler à tes amies ou à un professeur. Et si tu veux me parler à moi, je trouverai une excuse pour nous isoler.

Sa voix basse m'effleurait les oreilles. Cependant, je n'étais pas sûre de comprendre. Même si je l'avais déjà entendu dire que la façon de faire de maman me rendrait encore plus malheureuse, le voir me dire ces mots en face changeait tout.

Je le dévisageai, impassible et incapable de trouver quelque chose à répondre, jusqu'à ce qu'il détourne le regard.

— Je veux juste m'assurer que tu ne gâches pas ta vie. Si tu n'es pas encore convaincu, saches que tout enfouir n'efface rien. Tes émotions et sentiments vont se terrer au fond de ton cœur, jusqu'à ce qu'il déborde et explose comme un volcan. Alors n'attends pas d'être à bout.

Sur ces mots, il quitta ma chambre. Je le suivis du regard, continuant de fixer la porte même cinq minutes après que celle-ci fut refermée. Un tilt intérieur me sortit de ma torpeur et je me ruai sur la porte afin de la verrouiller.

Je ne comprenais pas. Je ne comprenais plus rien. Une part de moi voulait enregistrer les mots de papa, mais c'était tellement contraire à tout ce que j'avais appris. Quel était son véritable objectif ? Me faire parler ? Mais de quoi ? De mes lettres ? Essayait-il de m'inciter à lui révéler ce secret déjà connu ?

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant