33. Sourire collé aux lèvres

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Séverilla se pinça les lèvres. Je savais qu'elle comprenait et qu'elle était d'accord. Mais je savais également que ce n'était pas facile pour elle de déléguer. Peut-être cela aurait été différent si je faisais partie de sa famille, même une cousine éloignée. Ou même si elle ne s'était pas habituée à cela pendant 15 ans. Forcément, vu ainsi, cela devait lui sembler injuste de me demander de l'aider.

— Je sais que ce n'est pas facile d'aller vers les autres, alors je viendrai de moi même. Pas tout le temps, je veux pas m'imposer non plus, mais quand on termine à dix sept heures, ça te libérerait vraiment d'un poids. Qu'est-ce que tu en penses ?

Elle se mordilla la lèvre, sans répondre. Cependant, je perçus un petit mouvement de tête pour acquiescer, ce qui me soulagea ; je ne voulais pas non plus la forcer.

— Bon, on fait comme ça et on verra ce que ça donne. Je vais devoir y aller maintenant, mes parents vont bientôt dîner, je ne vais pas les faire attendre.

— Je t'accompagne en bas.

Je finis mon thé abandonné et donc devenu froid, puis récupérai mes affaires. Pendant ce temps, Séverilla rejoignit la chambre des jumelles.

— Je descends avec Gwen deux minutes, Thomas, surveille tes petites sœurs pendant ce temps.

— Chef oui chef !

Il effectua un salut militaire avant de retourner jouer avec les filles.

J'attendis que Séverilla passe devant, et je descendis derrière elle. A l'encadrement de la porte, je me tournai vers elle pour lui adresser un signe.

— Merci encore.

Elle s'approcha de moi et m'embrassa la joue. La température de mon visage monta de quelques degrés, et je mis du temps à trouver mes mots.

— Pas de problème, c'est toujours un plaisir de passer du temps avec toi.

Elle enferma mes mains dans les siennes.

— Merci, vraiment.

C'était un peu embarrassant d'être remercié plusieurs fois de la sorte, mais ne la coupai pas. Aussi étrange était-ce, elle semblait en avoir besoin.

— Merci...

Je réalisai alors qu'il n'était pas juste question de cela. Ses mains étaient chaudes et agréables et, elle comme moi, nous n'avions pas envie de mettre fin à cet instant. Sauf qu'elle n'avait pas le choix. Elle ne pouvait pas laisser son frère gérer seul trop longtemps. Il n'avait que dix ans après tout, et eux-même devaient sûrement bientôt manger.

— N'hésite pas à venir le mardi. On finit à quinze heures alors on pourra passer du temps toutes les deux à discuter.

— Je viendrai mardi prochain.

Elle finit par me lâcher et je fis quelques pas en arrière, avant de me retourner et partir. Son regard ne me quitta que par obligation lorsqu'un tournant me fis sortir de son champ de vision.

Je réfléchissai alors au calme à tout cela. J'avais pu lui demander son avis, et, même si ce n'était pas facile à admettre, elle avait semblé être plutôt soulagée. Du moins, je l'espérais. je ne voulais pas me montrer condescendante ou quoi que ce soit.

Mais si elle m'avait invité à passer le reste du temps, n'était-ce pas une bonne chose ? Néanmoins, je devais avouer que même si j'en avais envie, cela me gênait un peu. Je risquais de la déranger dans ses devoirs et ses activités personnels en venant l'un des seuls jours où elle avait du temps pour elle.

Cependant, en y réfléchissant, elle voulait peut-être justement l'utiliser pour passer du temps avec ses amies. Ce serait compréhensible. Quand nous n'allions pas chez elle pour notre soirée du vendredi, c'était rare que l'on se voit en dehors des cours. Et elle ne venait pas souvent aux soirées chez les filles ou moi.

Elle devait se sentir seule et délaissée. Je ne savais toujours pas si elle était une solitaire, mais elle appréciait être avec nous et rayonnait lorsqu'elle pouvait venir à l'une de nos soirées.

D'un autre côté, elle pouvait préférer être seule chez elle. Après tout, entre être seul chez soi ou au lycée, ce n'était pas la même chose. On était toujours plus seul au milieu de gens sans rien pour s'occuper que dans notre chambre.

Je tentai de chasser mes pensées ; cela ne me servait à rien. Même si je m'inquiétais de mes décisions, et surtout d'être trop intrusive, il me suffirait d'être attentive et de m'assurer auprès d'elle que la situation lui convenait. Et puis, cela lui permettrait peut-être de s'avancer pour ses devoirs et nous pourrions avoir plus de temps à passer ensemble en plus du chemin pour rentrer chez elle.

Un raclement de gorge m'arracha à mes pensées. Je levai la tête et découvris que j'étais déjà chez moi et plus précisément, devant maman qui me fixait de ses yeux ronds. J'eus un mouvement de recul.

Merde... J'étais tellement ailleurs que j'avais oublié de me préparer à sourire. Je voulus tenter un rictus, mais avant d'esquisser un geste, maman m'empoigna pour me traîner dans les couloirs. Je grimaçai à cause de la pression de sa main, mais n'essayai pas de me dégager. Je savais déjà où elle m'emmener et pourquoi, et il était trop tard pour me sauver.

— Je vois que tu n'écoutes pas maman, ma puce. Mais ne t'inquiète pas, je vais te faire sourire, et tu seras plus heureuse.

Elle me jeta sur le fauteuil de son bureau et récupéra le scotch posé sur son étagère. Le visage neutre, je la regardai couper deux morceaux qu'elle accrocha provisoirement au bout de ses deux index. Ensuite, elle me tira la joue vers le haut et colla le premier morceau. Elle fit la même chose de l'autre côté.

Quand mon sourire fut figé grâce au scotch, elle se redressa et tapa dans ses mains, un sourire satisfait.

— Et voilà ! C'est beaucoup mieux n'est-ce pas ?

— Oui... Merci maman.

— Tu vois, je te l'avais dit ! Ne l'enlève surtout pas, je le ferai moi-même demain avant que tu n'ailles à l'école. Souviens toi, je remarquerai si tu les as enlevé entre temps.

— Je sais, je ne le ferais pas.

Elle m'offrit un grand sourire et me permit de sortir. Je m'exécutai sans tarder et m'enfermai dans ma chambre. J'avais été trop idiote. Je me relâchais beaucoup trop ces derniers temps, et à cause de cela, j'avais fini pas me montrer devant maman sans sourire.

Mais ce n'était pas grave, je le faisais maintenant. Et comme disais maman, si je souriais, tout allait bien.

Alors pourquoi cela me semblait si dur aujourd'hui ?

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant