22. Tais toi pour changer

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— A-arrêtez de me fixer comme ça, c'est gênant...

Je tentais de gagner du temps, pour retrouver les phrases que j'avais apprises par cœur. Cependant, elle flottait devant moi, et dès que j'ouvrais la bouche pour les aspirer, elles s'évaporaient.

Qu'avais-je prévu de leur dire, déjà ? 

Toujours donner l'air d'une famille parfaite.

— Et bien, j'ai surtout passé une grande partie de mes vacances à écrire, parce que Séverilla m'a contaminé. Sinon, on est allé à Paris pour les fêtes et retrouver de la famille du côté de mon père.

Je me coupai. Je n'avais pas l'air impliquée, mon ton était morne. 

Reprends-toi, Gwen ! Montre-toi un peu plus enthousiaste !

J'agrandis mon sourire quitte à surjouer. 

— On a fait plein de photos magnifiques et grâce à un cousin que mon père a retrouvé, on a pu réserver une croisière d'une semaine pour l'année prochaine ! Je ne sais plus si je vous en avais parlé, mais mon père en rêve depuis qu'il est tout petit.

Allissia écarquilla des yeux plein d'étoiles.

— Trop de chance ! J'aimerais trop faire une croisière avec Damien, c'est tellement romantique !

— Plus romantique qu'étouffer les gens avec ses cheveux, c'est sûr ! 

Allissia donna un coup de poing dans le bras d'Illyana, avant de lui tirer la langue. 

J'osais un regard vers Séverilla. J'étais toujours gênée de parler de chose chère devant elle et je me sentais un peu coupable de penser à cette fameuse croisière alors qu'avec cet argent, cela pourrait permettre à sa famille d'être plus soulagée. Ses parents pourraient payer un baby-sitter pour permettre à Séverilla de vivre plus pour elle-même. Sans compter qu'ils n'auraient plus à s'ajouter du travail certains soirs dans des boîtes de nuit ou bar pour arrondir les fins de mois.

Si cela ne l'embarrassait pas tant, je lui ferais plein de cadeaux et lui donnerais de l'argent quand elle en avait besoin. Après tout, je ne m'en servais pas tant que ça. J'aimais bien acheter des livres, certes, mais je ne me considérais pas comme étant dépensière, donc je les empruntais en majorité pour ne garder que les coups de cœur. 

Séverilla devina mes pensées, car elle baissa la tête. Sûrement le seul sujet qui pouvait lui enlever son air indescriptible et surtout la faire détourner le regard. 

La culpabilité doubla et je tentais de vite changer de sujet, bien qu'Alissia continuait à parler de cette fameuse croisière et de tout ce qu'elle ferait avec son copain si elle pouvait s'en réserver.

— Eum, et toi Séverilla ? Tu as fait quoi pendant tes vacances ?

Mais quelle idiote j'étais ! Lui faire raconter ses vacances après moi était sûrement la pire humiliation que je pouvais la faire vivre ! J'étais vraiment la pire amie qui pouvait exister... 

Pourquoi tu ne peux pas te taire un peu ! 

Séverilla reprit contenance, et se racla la gorge.

— On a fait une petite randonnée en famille, et heureusement que mes parents étaient là parce qu'on a passé la moitié de la randonnée à porter les jumelles. Sinon, je les ai souvent emmenées au parc. Et quand ils allaient chez des amis, j'en profitai pour écrire des poèmes ou lire. C'était des vacances plutôt relaxantes si on oublie l'énergie des fêtes. Mes sœurs ont même réussi à me faire danser.

J'osais se dessiner un petit sourire sur mes lèvres à l'image d'une Séverilla qui se faisait traîner par ses sœurs sur la piste de danse alors qu'elle détestait cela. Mais comme elle ne pouvait rien leur refuser pour ne pas gâcher l'ambiance... cela avait dû être assez comique tout de même. 

Même si Noël se passait en famille, j'espérais qu'une année, nous pourrions fêter le jour de l'an entre amies. Ce serait tellement amusant...

— Bon bah maintenant je me casse, moi. Des personnes attendent que je leur raconte mes exploits !

Illyana se leva et quitta le foyer avec des gestes exagérés. Puis revint dans la seconde pour récupérer sa canette délaissée. Elle mouva ses doigts dans un dernier signe d'au revoir avant de nous quitter pour de bon. 

Nous éclatâme de rire, mais le mien avait un arrière goût amer.

Finalement, en faire trop avec ma "famille parfaite" n'était peut-être pas une bonne idée...

Le problème des vacances était là. Je me berçais d'illusion, pensais que tout allait bien, parce que tout devait aller bien. Mais une fois de retour au lycée, il ne me fallait pas beaucoup de temps pour faire n'importe quoi et blesser mes amies. 

Je me demandais toujours si le mieux n'était pas de partir et les laisser tranquille, mais j'en étais incapable. Je les aimais trop. Alors comme d'habitude, je vivais en m'attendant à chaque instant que les filles me demandent d'arrêter de leur parler.

***

— Aller les girls, on va squatter chez Illya-Illyana ! Chantonna Allissia.

— Non ça m'est juste venue en tête comme ça ! Mais je devrais trouver un surnom pour le venger, t'as raison ! Mh...

Elle accentua son "mh" de longues secondes durant lesquelles elle se stoppa au milieu du trottoir. Je dus la pousser sur le côté pour permettre aux gens derrière nous de passer. 

— Tu penses quoi de Lalana ? C'est assez ridicule ? 

La concernée pouffa, émettant un bruit nasillard. 

— C'est éclaté au sol ! 

— Cool ! Je prends alors !

— Lalana... répétai-je, l'air énigmatique. Je confirme que c'est compliqué de te prendre au sérieux avec ce surnom.

— Les filles ! cria une voix derrière nous.

Sous la surprise, il me fallut plusieurs secondes pour reconnaître la voix de Séverilla qui courrait pour nous rattraper, son sac de voyage dans les bras.

— Tu peux venir, finalement ? s'écria Allissia.

— Oui, mes grands-parents sont venus un peu à l'improviste et ils emmènent Thomas et les jumelles à un genre de colonie ce week-end avec d'autres enfants de leurs âges. Enfin, ce n'est pas vraiment une colonie, mais ils ont été assez vagues pour préserver la surprise donc je n'ai pas trop compris, mais en tout cas, je suis disponible.

Allissia sautilla sur place et l'entoura de ses bras. Je lui lançai un sourire, heureuse de constater sa présence. C'était la deuxième fois en peu de temps qu'elle pouvait venir chez l'une de nous. Et c'était toujours plus agréable de se voir en dehors des cours. Ainsi que d'être toutes les quatre réunis dans devoir jouer les baby-sitters.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant