36. Nausée

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Je comprenais mieux pourquoi elle ne savait pas comment aborder le sujet. Mais... peut-être pensait-elle à quelque chose qui n'avait rien à voir ? Ce n'était pas comme si elle pouvait savoir ce qui se passe chez moi. Le problème était qu'elle se soit trompée ou pas, elle savait qu'il y avait quelque chose.

— Tu n'es pas obligé de me dire tout ce qui se passe, je veux juste que tu ne me mentes pas.

— Qu'est-ce... qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— J'ai remarqué que ta façon d'agir a changé après qu'on ait découvert les lettres. Comme si le fait de fissurer ta barrière te donnait plus de mal à cacher ce que tu ressentais. Et plutôt que de chercher ce qui n'allait pas pour t'aider, j'avais l'impression que ta mère voulait ignorer ça, comme si ça n'existait pas. Et avec le fait que tu viennes aussi tôt le matin alors que tu habites à cinq minutes du lycée, je me suis demandé si tu ne cherchais pas à fuir.

Mon esprit s'embruma pour qu'un vide vienne m'embrasser. Mais c'était rassurant. Le vide me réconfortait plus que les larmes qui me titillaient de l'intérieur. Pourquoi voudrais-je pleurer d'abord ? Pourquoi avais-je cette sensation d'être sur le point d'exploser ?

— Ça pourrait te faire du bien de me parler... Même si tu ne fais que répondre par oui ou par non à mes questions. Est-ce que tu veux essayer ?

Une partie de moi voulait refuser, pourtant, l'autre me hurlait de le faire. Parler... qu'est-ce que cela faisait de parler ? Je cachais toujours tout, comme maman me l'avait appris. Et sourire avait toujours marché. Mais Séverilla avait raison, depuis la découverte des lettres, non seulement sourire devenait compliqué, mais surtout, cela ne suffisait plus.

Si je refusais aujourd'hui, je ne reviendrais jamais vers elle. Et si elle voyait que je n'aimais pas la situation dans laquelle elle me mettait, elle cesserait d'insister. Donc c'était maintenant où jamais. Alors je hochai la tête sans pour autant lever les yeux vers elle.

— Est-ce que quand tu allais mal, quelle que soit la raison, tu l'as déjà montré à ta mère, même involontairement ?

Je hochai la tête, les souvenirs tourbillonnant dans ma tête. Maman était plus indulgente quand j'étais petite, car il fallait le temps que cela rentre dans mon éducation. Mais dès mes sept ans, elle me mettait du scotch sur les joues pour me forcer à sourire.

— Est-ce qu'elle a mal réagit ?

Je hochai la tête.

— Est-ce qu'elle t'as crié dessus ou fait tu mal physiquement ?

Je répondis négativement. Même si mes joues me faisaient mal, ce n'était qu'une conséquence dont elle n'avait peut-être même pas conscience. Ce n'était pas comme si j'avais le courage de lui en faire part. Car si aujourd'hui, cela restait à la maison, si je recommencer encore, elle me forcerait à en porter pour le lycée, pour que la honte m'aide à reprendre mes esprits.

— Est-ce qu'elle te punit ?

Je hochai la tête.

— Est-ce que tu veux me dire ce qu'elle fait ? Tu t'en sens capable ?

Je répondis par la négative. A cet instant, je pensais bien être incapable de parler. Et puis, dire ces mots à voix haute... 

— Est-ce que tu veux l'écrire ou le dessiner ?

J'allais à nouveau refuser, car cela restait des mots, mais le dessin me fit hésiter. Cependant... et si Séverilla trouvait cela étrange ou me jugeait ? Ou même sans cela, son regard sur moi allait forcément changer.

La main de Séverilla glissa dans mon champ du vision sur la table basse que je fixais depuis le début, puis une feuille et un stylo se présentèrent à moi.

Je demeurai interdite un moment, alors que Séverilla me caressait la main du bout de son pouce. Le regard figé sur le stylo, je ne parvenais pas à me décider à le prendre ou non, comme si je risquais de me brûler. J'esquissai un petit geste, mais me stoppai, avec l'impression que mon bras s'alourdissait de plus en plus et que le moindre mouvement me demandait trop d'effort.

Alors Séverilla prit le stylo pour l'insérer entre mes doigts. Je déglutis, mais grâce à une force que je ne comprenais pas, je ne me décourageai pas et commençai à tracer des traits. J'espérais que mes piètres qualités en dessin ne gênerait pas la compréhension. 

Je commençai par dessiner un plat que je barrai, puis traçai le bas d'un visage avec un grand sourire et des rectangles près de la commissure des lèvres pour accrocher. Ensuite, je fis une flèche afin d'indiquer qu'il s'agissait de scotch.

Je me redressai, afin de m'assurer que c'était compréhensible. Pour moi qui savais, oui, mais pour Séverilla...

Je lâchai le stylo et ramenai mes mains à moi, montrant à Séverilla que j'avais fini. Elle se pencha au-dessus.

— Donc... elle te prive de repas et te... force à sourire avec du scotch ?

Sa voix était pleine de surprise, ainsi qu'une forme de stupeur. Est-ce que je venais de lui faire peur ? Une boule se forma dans mon ventre et me donna envie de vomir.

— Est-ce que c'est à cause de ça que tu te touchais souvent les joues aujourd'hui ?

Je ne pouvais vraiment rien cacher à Séverilla. Je hochai à nouveau la tête, légèrement chancelante.

Il n'y eut plus de nouvelle question, le silence régna de longues minutes. En avais-je trop dit ? Pensait-elle que je mentais ?

— Je comprends mieux maintenant...

Interloquée, je levai enfin les yeux vers elle. Ce n'était ni le doute, ni la pitié qui m'accueillit. Non, c'était comme si dans son esprit, les pièces du puzzle venait de s'emboîter. Que venait-elle de comprendre ?

— Tu n'as jamais pu parler de tes problèmes, de tes sentiments alors c'est pour ça que tu ne nous disais rien. J'ai raison ?

Je portai ma main à ma bouche, la nausée un peu trop forte. J'avais l'impression que je pouvais vomir à tout moment, mais en même temps, que rien ne sortirait.

Séverilla s'approcha de moi et me caressa le bras.

— Est-ce que ça va ? Tu veux aller aux toilettes ?

La nausée commença à se calmer, alors je refusais. Je voulais juste qu'on s'arrête. C'était trop, trop par rapport à ce que je pouvais supporter.

— Ce n'est pas grave, on ira à ton rythme... On va s'arrêter là pour aujourd'hui.

Un long souffle s'échappa de mes lèvres, et ses simples mots suffirent à alléger le poids sur mes épaules. 

Un silence agréable s'imposa. Comme un aimant, je m'approchai de Séverilla qui me serra dans ses bras. C'était tout ce dont j'avais besoin à l'instant. L'étreinte qu'elle m'offrait était plus forte que tous les mots qu'elle pourrait me dire. A travers ses caresses, elle me transmettait un peu de sa force.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant