35. Main dans la main

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Il me fallut plusieurs heures pour me rendre compte qu'à cause de scotch, j'avais développé un tic. Je ne cessai de passer mes doigts sur mes joues, là où se trouvaient les morceaux. Dès que je le remarquai, je tentai au maximum de contrôler mes gestes afin de ne pas paraître étrange auprès des filles qui risqueraient de se poser des questions.

Ou pas. Après tout, je n'étais pas le centre du monde et il ne s'agissait pas d'un tic particulièrement remarquable. Et puis, les filles ne pouvaient pas tout remarquer juste parce que cela me concernait. Parfois, je devais écouter les conseils que je me donnais dans les lettres.

— Les filles, c'est trop génial ! s'exclama Illyana.

On sortait de la classe alors qu'elle effectuait un petite danse, qui fut interrompue par une personne qui la bouscula.

— Hé ! Tu pourrais t'excuser, connard !

Cependant, la personne semblait trop loin pour l'entendre, d'autant plus que des écouteurs bloquaient tout sons, au vu de la forte musique que j'avais entendu quand elle était passée.

— Eum... qu'est-ce qui est génial du coup ? fis-je pour détourner son attention.

Elle cessa de faire une danse de doigts d'honneur à la personne et retrouva son sourire.

— Vous avez pas vu le message sur le groupe de classe ?

Je haussai un sourcil. En ce qui me concernait, j'avais désactivé les notifications, parce que vu que tout le monde était ami dans la classe, je ne pouvais rien faire sur mon téléphone sans avoir des vibrations ainsi que la fiche en haut pour signaler un nouveau message. Même en plein cours.

Séverilla, elle, n'avait pas internet dehors et Allissia n'allait sur instagram qu'une fois par jour au réveil, mais rien de plus. 

Donc non, il n'y avait pas moyen que l'une de nous ai vu le message. Bien qu'Illyana titillait ma curiosité. Parfois, je devais avouer que j'hésitai à remettre les notifications, car parmi les longues discussions, se glissait de temps à autres des informations importantes pour les cours.

— La prof de français est absente ! On a fini là maintenant tout de suite !

— Sérieux ? s'enquit Allissia. Mais c'est trop bien ! J'avais oublié de faire le travail en plus ! Du coup, ça veut dire qu'on va maintenant chez toi, Sévivi ?

— Sévivi ? répéta-elle.

— Je voulais te trouver un surnom à toi aussi. T'en penses quoi ?

Séverilla leva les yeux au ciel dans un soufflement de nez.

— Sans commentaire, Liliss. En fait, si ça ne vous dérange pas, on pourrait se retrouver chez moi à dix sept heures, comme prévu ? J'ai quelque chose à faire.

Allissia pencha la tête sur le côté, intriguée, mais n'ajouta rien. A la place, elle lui fit un clin d'œil exagéré tout en me pointant du doigts, puis finalisa avec un pouce en l'air.

Je tentai de comprendre le message, tout comme Séverilla, qui, bien que concernée, ne semblait pas saisir. Allissia leva les yeux au ciel, l'air désespéré.

— Moi ça me va ! Et Lalana aussi !

— Ouais, ça m'arrange de passer chez moi avant.

— C'est bon pour moi aussi, ajoutai-je.

Séverilla me jeta un bref regard que je ne saurais décrire, mais ne dis rien. Nous nous dirigeâmes donc vers la sortie du lycée, plus que contentes d'avoir un cours en moins.

— Merci, répondit finalement Séverilla.

Une fois dehors, nous marchâmes ensemble jusqu'au trottoir qui nous séparait. Enfin, pas toute, normalement, je faisais encore quelques mètres supplémentaires avec Allissia qui habitait à quelques quartiers de chez moi. Sauf qu'Allissia partit dans la même direction qu'Illyana et qu'une main se glissa dans la mienne pour me diriger sur un autre chemin.

Je dévisageai Séverilla, cherchant à comprendre.

— En fait, ça te concerne. Il y a quelque chose qui me tracasse.

Cela m'intrigua encore plus. Allissia serait au courant et ce serait de là que viendraient ses gestes étranges ? Pourtant, même Séverilla ne semblait pas les comprendre... Ou bien elle faisait semblant ? Mais cela n'aurait pas de sens.

— J'ai fait quelque chose de mal ?

— Non, pas du tout, je te rassure. Attendons d'être chez moi, on sera plus posé, ce sera mieux.

J'acquiesçai, mais malgré ce qu'elle disait, le stress me rongeait. Et si elle voulait me dire qu'elle s'était rendu compte qu'elle ne voulait plus me côtoyer ? Non, elle ne m'emmenerait pas jusque chez elle pour cela... Mais quoi alors ? Voulait-elle reparler des lettres ? Cela n'aurait pas de sens, j'étais sûre de l'avoir convaincu !

Qu'est-ce qui pouvait bien la tracasser ? Peut-être qu'en vérité je me fourvoyais et que le sujet ne me concernait pas autant que je le pensais, mais que c'était à moi qu'elle voulait en parler. Ou cela pourrait avoir un rapport avec ma visite d'hier...

— Eum... Tu peux me lâcher la main, tu sais ? Je ne vais pas m'enfuir.

— Tu as envie que je te lâche la main ?

— Je...

Je ne sus quoi répondre, sa question me prenait clairement au dépourvu. Il me fallut plusieurs longues secondes avant d'en saisir le sens. Et une fois que j'avais compris, j'eus envie de me gifler tant c'était évident. Si elle voulait me lâcher la main, elle l'aurait déjà fait. Et, moi aussi.

Seulement, à cause de mon temps de réponse, elle desserra sa prise, mais je resserrai la mienne.

— Non.

Elle me lança un petit sourire.

— Alors on peut rester comme ça.

Je lui rendis son sourire. 

Pour une fois, comme on n'avait pas à faire de détour vers l'école primaire, le chemin fut plus rapide.

Arrivées chez elle, nous posâmes nos affaires et retirâmes nos chaussures.

— Tu veux que je nous prépare du thé ?

— Je veux bien.

— Tu peux t'asseoir sur le canapé en attendant.

Je hochai la tête et m'exécutai. Le stress que je ressentais vis à vis de ce dont elle voulait me parler, s'était transformé en impatience. J'avais cessé d'y penser pendant le trajet, distraite par nos conversations, mais le moment en question ne tardait plus à arriver, et une boule commença à naître dans mon ventre.

Après quelques minutes, Séverilla me rejoignit, et posa les deux tasses sur la table basse. Ses traits devinrent durs. Quel que soit le sujet, cela allait être sérieux.

— Ecoute, je ne sais pas comment aborder le sujet alors j'espère que tu ne m'en voudras pas d'être aussi directe.

— Je crois que j'ai l'habitude.

Séverilla garda les yeux rivés vers le sol, se mordillant la lèvre inférieure. Chaque seconde qui passait s'apparentait à un supplice.

— Tu me fais un peu peur... C'est grave ?

— Est-ce que... Comment tu vis ta relation avec ta mère ?

— P-pardon ?

Mon air ne fut pas aussi calme que je le voulais, et qu'importe ce à quoi elle pensait, je venais de tout confirmer.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant