56. Se dévoiler

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Je me coupai aussitôt. Je pouvais peut-être leur expliquer la vérité. Séverilla ne m'avait pas jugé, au contraire. Et c'était mes amies, je ne pouvais clairement pas en douter avec l'incroyable cadeau d'anniversaire qu'elles m'avaient fait. Je soufflai un bon coup et, sous l'intérêt des deux filles, je me lançai.

— Ça ne se voit pas, mais... c'est très tendu avec ma mère...

Ma voix commença déjà à trembler et je ne pus pas m'empêcher de jeter des regards alentour pour m'assurer que maman n'était pas dans le coin.

— Pourquoi ?

Je me figeai face au ton sec d'Allissia. J'hésitai un peu à continuer, mais son regard était tellement insistant que, même si je ne comprenais pas pourquoi cela semblait lui tenir à cœur, je continuai.

— Elle... m'a éduqué d'une façon un peu particulière. Vous vous souvenez quand je vous montrai mes albums photos et que je vous avais dit que mon sourire était crispé parce que c'était pas naturel de sourire juste pour une photo ? En fait, ce n'était pas totalement vrai. Quand j'étais petite, dès que j'allais mal, quelle que soit la raison, ma mère me forçait à sourire et prenait une photo, quitte à... à me mettre du scotch sur les joues... Et... elle faisait toujours en sorte de me faire taire dès que j'avais un problème et me disais de juste sourire. J'ai fugué parce que... parce qu'elle voulait me forcer à garder du scotch sur mes joues au lycée...

Je baissai la tête, le menton tremblant. Qu'est-ce que c'était que ça ? Je venais vraiment de leur parler de tout ça ? Juste comme ça ? Malgré ma voix tremblante et les larmes prêtes à exploser, cela m'avait semblé si facile. Qu'est-ce qui avait changé depuis la fois où j'avais eu du mal avec Séverilla, même sans parler ? C'était ça que j'aurais dû faire depuis le début ? Alors... je pourrais peut-être leur expliquer aussi pour les lettres. Que je les écrivais parce que c'était ma seule échappatoire, ma seule façon de ranger mes sentiments négatifs pour que maman ne les voit pas. Elles comprendraient sûrement pourquoi je ne leur en avais pas parlé.

Je relevai alors la tête pour leur parler des lettres, mais le visage dur d'Allissia m'arracha toute conviction.

— Et alors ? C'est facile de sourire ! Je fais ça depuis toute petite et j'ai jamais eu de problème ! Ta mère veut juste que tu sois heureuse, comme toutes les mères ! Sois heureuse d'avoir deux parents qui s'aiment et qui vont pas divorcer ! C'est pas une raison de fuguer !

— Je...

Je ne trouvais pas les mots. C'était la première fois que je voyais Allissia ainsi. Je pensais qu'elle me comprendrait, qu'elle serait de mon côté et me soutiendrait. Alors... c'est moi qui avait tort ? C'était vraiment si honteux que ça de ma part de fuguer alors que tout ce que veux ma mère c'est que je sois heureuse ?

— J'espère que tu t'es excusé auprès d'eux ! Tu imagines à quel point tu as dû les inquiéter ? Quand tu as deux parents qui s'aiment, on fait tout pour les rendre fiers de nous ! Mais t'as aucune idée de ce que c'est de faire autant d'effort pour se faire trahir par ses parents ! Parce que t'en fais pas ! Je suis sûre que si ton père divorçait avec ta mère parce qu'il est tombé amoureux d'une autre, ça te ferait rien ! Et bah moi si ! 

Elle se leva soudainement, larmoyante, abandonnant son sandwich aux oiseaux. Je compris alors pourquoi son intérêt pour ma fugue, pourquoi sa réaction. Ses parents qui lui avaient promis de rester ensemble jusqu'à sa majorité pour qu'elle puisse vivre avec eux sans alternance, même s'ils ne s'aimaient pas, allaient divorcer parce que son père était tombé amoureux d'une autre femme. Et Allissia s'en sentait trahie.

— Allissia... soufflai-je.

Mais cette dernière ne m'écoutait pas. Elle partit aussitôt en courant et en pleurant. Je me levai alors d'un bond, l'appelant. Cependant, elle ne revint pas. Je voulais aller à sa poursuite, mais Illyana me stoppa d'une main sur mon épaule.

— Il vaut mieux que c'est moi qui aille la voir.

Elle courut derrière Allissia sans attendre de réponse de ma part. Je me retrouvai alors seule avec ma culpabilité et les passants qui jetaient des regards intrigués. Mais je n'y faisais même pas attention.

Je me pris la tête entre les mains. Comment avais-je pu tout faire foirer ? Comment en était-on arrivé là ? Avec tout ce que les filles avaient fait pour moi, je devrais être là pour elles, les réconforter, les soutenir, pas les enfoncer. Et dire que j'allais en rajouter avec les lettres alors qu'elles avaient déjà bien assez de problèmes comme ça.

Sans trop réfléchir, je rentrais dans le Leclerc et cherchai les toilettes pour m'y enfermer. Les larmes accumulées ne tardèrent pas à s'échapper et je laissai les sanglots prendre contrôle de mon corps. 

Je devais écrire. J'avais besoin d'écrire.

Des mes mains tremblantes, je cherchai mon téléphone et commençai à écrire des textes. Mais ça ne suffisait pas. J'avais besoin de plus. J'avais besoin... d'écrire une lettre.

Je sortis alors un papier que je gardai malgré tout dans ma sacoche et un stylo, puis commençai à écrire. Même si mes larmes obstruaient ma vue, et que mes pensées me lançaient tellement de lames que je n'arrivais pas à savoir si ce que j'écrivais était bien une lettre habituelle. Mais j'écrivais. Et peu à peu, mes tremblements se calmèrent.

Je reniflai alors et séchai mes larmes. Sauf qu'en se faisant, je fis tomber ma feuille qui passa sous la porte. Je voulus l'attraper, mais elle disparut. Je dus alors ouvrir la porte, mais une surprise me figea aussitôt. 

Illyana tenait la lettre dans ses mains et la parcourait du regard, avant de lever un regard plein de colère vers moi.

— Alors c'était toi qui les écrivais... Tu nous as fait croire à des lettres de harceleurs depuis tout ce temps, on se faisait chier à trouver quelqu'un qui n'existe pas puisque c'était toi !

Ses mots me firent l'effet de lames s'enfonçant dans mon cœur. Et dire que j'avais failli en parler plus tôt ! C'était une mauvaise idée de venir ici ! J'aurais dû me cacher autre part ! Et maintenant, à cause de ça, alors que j'avais vraiment arrêté d'en écrire tout ce temps... 

— J'arrive pas à croire que j'ai perdu autant de temps et d'énergie pour toi. tu cachais bien ton jeu, en me donnant des conseils et tout, mais en fait t'es pire que ces connards de la classe ! Eux au moins n'ont pas fait semblant de me soutenir quand ils me prenaient pour une pute ! Tu dois être contente que ton petit jeu ait marché. Depuis cette histoire, on s'est tous rapprochés de toi. On a eu l'idée de te préparer un putain de cadeau qui nous a pris des heures, t'imagine même pas ! T'as même réussi à pécho Séverilla ! Ouais, vraiment, t'as tout gagné ! J'aurais presque envie de te féliciter ! J'espère que tu te sens mal à en crever pour avoir fait pleurer Allissia !

Sa dernière phrase finit de m'achever et je dus me tenir à la cabine pour ne pas m'effondrer. Les autres ne devaient pas découvrir que j'étais l'auteur des lettres ! Non, je ne voulais pas les voir réagir elles aussi de la sorte ! Séverilla... c'était peut-être la seule des trois qui m'appréciait encore.

— Je suis désolée...

— Tu fais bien. Mais je ne te le pardonnerai pas.

— Je t'en prie ! Ne dis rien aux autres !

— Je ne comptais pas le faire... J'ai dépensé assez d'énergie pour ta petite personne.

Elle me jeta la lettre dans les bras, accompagnée d'un regard mauvais.

— Tu es vraiment la pire amie que j'ai pu avoir. Mais je te remercie, au moins, je ne rencontrerai personne d'aussi mauvais.

Sur ces mots, elle partit, et je continuai ma lettre en y apportant la scène qui venait de se dérouler en m'en voulant plus que jamais.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant