41. La brûlure du gèle

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Les journées passées en compagnie d'Allissia avaient l'avantage de me garantir les meilleures nuits de ma vie. Encore plus quand elle oubliait malencontreusement ses clés et mangeait avec nous.

Détendue, je me levai dimanche matin, avec l'idée que cela ne pouvait être qu'une journée posée et que je n'aurais pas à courir partout comme la veille.

Cependant, malgré mon sourire naturel — pour une fois — maman ne cessait de me dévisager, me prenant vraisemblablement pour la télévision qui tournait donc dans le vide. 

S'il te plait, maman, j'avais dit journée tranquille, ne viens pas me parler, ne viens pas me parler, ne viens pas me...

— Gwen, ma puce ?

parler...

— Oui maman ?

— Viens t'asseoir à côté de moi quand tu auras fini ton petit déjeuner.

— Oui maman.

Les yeux rivés sur mon bol de céréales, je tentai de contrôler mes yeux pour ne pas la regarder, car cela ne faisait qu'augmenter mes difficultés à maintenir mon sourire qui se transformait peu à peu en rictus.

Reste calme...

Après tout, je ne savais pas de quoi elle comptait me parler. Il pourrait simplement s'agir de mon cadeau d'anniversaire, comme je ne le lui avais toujours pas dit. La connaissant, ce ne serait pas impossible, si je pouvais lui donner les idées de ce que je voulais pour les prochaines années, cela l'arrangerait.

Néanmoins, si ce n'était que cela, pourquoi me fixait-elle ainsi. Ce n'était jamais bon quand elle faisait ses yeux ronds. Mais elle pourrait être préoccupée par un autre sujet ?

Ne pouvant plus retarder le moment sans risque de paraître suspecte, j'amenai la vaisselle dans la cuisine puis pris place sur le canapé. Une distance raisonnable entre nous deux me rassurait un peu.

— Je te pose simplement la question, mais j'ose espérer que je me trompe. Tout va bien, n'est-ce pas ? Quand tu es rentré avec ton air négatif qui a pollué la maison et que j'ai dû employer des méthodes que je préfère éviter naturellement, c'était une erreur ? Juste de la fatigue ? Il n'y a rien qui ne va pas ? On est bien d'accord ?

Je ne pus m'empêcher de déglutir, et pris une grande inspiration discrète avant de m'armer de mon plus beau sourire.

— Bien sûr que c'était une erreur maman. Tout ne peut qu'aller bien.

— Tu es sûre ? Tu n'as pas besoin que je te scotche les joues pour que tu sois heureuse ?

Elle fourra sa main derrière son dos pour dévoiler un rouleau de scotch. J'ouvris de grands yeux et me décalai instinctivement. Je me repris cependant et agrandit mon sourire.

Inutile. Ses yeux révélaient tout. L'attente que je me reprenne de moi-même. Et surtout, que j'avais trop tardé et que je ne pouvais plus arranger mon cas. Mais qu'avais-je pus faire devant elle pour qu'elle se rende compte que je m'étais relâchée ? Avait-elle compris que je la fuyait ? M'avait-elle entendu dire quoi que ce soit de suspect ? 

Maman se fichait de l'humiliation. Elle-même avait gardé du scotch sur ses joues en public. La dernière fois était l'avertissement, à présent, elle me forcerait à garder ces morceaux jusqu'à ce qu'ils ne collent plus.

Sauf que cela voulait dire révéler cela à mes amies, devoir m'expliquer auprès de mes professeurs. Et Séverilla savait, alors elle comprendrait très vite.

Non. Je refusais que cela arrive. Je refusais d'afficher cette faiblesse, de devoir subir les regards et les moqueries de tout le monde qui se poserait des questions, de devoir faire comme si de rien n'était pour ne pas empirer ma situation.

Je sautai alors sur mes pieds, manquant de trébucher sur ceux-ci. J'affichai un sourire plus grand que jamais, retenant les larmes qui me trahissaient.

— Je vais bien ! Ce n'est pas nécessaire !

Et avant de lui laisser le temps de répondre, je partis en courant pour quitter l'appartement. Le froid matinal me glaçait la peau, mais je ne m'arrêtais pas pour autant. Je continuai de courir aussi vite que possible, afin d'être sûre que maman ne me retrouverait pas.

Que se passerait-il lorsque je rentrerais ? Je n'osai y penser. Je voulais juste courir, loin de chez moi.

Je ne savais pas combien de temps ma course avait duré, mais je finis par m'arrêter au milieu d'un trottoir, les poumons en feu et la peau gelée. 

Le pyjama qui me réchauffait sans mal à la maison avec le chauffage, n'était désormais qu'une couche de peau inutile.

Je frictionnai mes mains contre mes bras, à la recherche d'une étincelle de chaleur.

D'une course folle contre un adversaire qui n'avait jamais cherché à me suivre, je passai à une lente déambulation dans les rues. Je me tordai le cou pour trouver des panneaux qui m'indiqueraient où je me trouvais. Seules des habitations m'entouraient. Rien de familier. Et évidemment, je n'avais pas mon téléphone sur moi.

J'étais à la merci du froid mordant au milieu de tout et de rien.

Je n'avais jamais autant regretté d'être si matinal. Le soleil venait à peine de commencer à se lever. Maman n'aurait-elle pas pu attendre le début de l'après-midi, le temps que la température augmente ?

Je soufflai dans mes mains, jusqu'à les rendre trop humides pour me réchauffer. 

Quand enfin, des rues familières se dessinèrent devant moi. Je tournai sur moi-même, cherchant d'où me venait cette impression. 

Mais oui ! Les appartements qui se dévoilaient derrière la brume étaient le quartier de Séverilla ! Je n'étais plus perdue !

D'un pas aussi rapide que mes jambes gelées me le permettaient, je rejoignis son immeuble. Depuis combien de temps étais-je dehors pour trembler autant ? Je n'arrivais pas à savoir si je devais compter en minutes ou en heures.

Cependant, une fois devant la porte, le soleil plus haut dans le ciel accueillait les passants encore un peu endormis.

Alors que mon doigt se posait sur la sonnette, j'eus un doute. Était-ce une bonne idée de sonner un dimanche, aussi tôt, pour la simple raison que j'avais fuit ma mère au lieu de m'enfermer dans ma chambre et d'attendre que cela passe ? Séverilla devait profiter de ce jour pour dormir un peu plus et je risquais de réveiller ses parents ainsi que les enfants.

Finalement, je n'eus pas à choisir, une chevelure noir de jais attira mon regard. Séverilla descendait lentement les escaliers, l'air perplexe.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant