2. Espoir de fuite

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— Ton père va bientôt arriver. Il te portera jusqu'à l'hôpital.

Maman caressa mes épaules de son pouce. Elle pencha la tête pour se trouver en dessous de mon visage.

— Tout va bien ? me chuchota-t-elle.

Son ton me glaça le sang, tellement que j'en frissonnai, et j'osai à peine croiser ses yeux ronds, alors que tout l'air ambiant semblait peser sur mes épaules.

— J'ai juste mal et je suis un peu sous le choc, mais je vais bien, répondis-je d'une voix tremblante.

Je me forçai à étirer mes lèvres, les yeux toujours rivés sur le sol où quelques éclats de verre brillaient. Malgré mon expression qui ressemblait plus à une grimace qu'autre chose, maman s'en contenta et me frotta le haut de dos.

La porte d'entrée claqua contre le mur et la seconde après, papa débarqua dans ma chambre, haletant et les yeux grands ouverts.

— J'ai fait aussi vite que j'ai pu !

Il enjamba les quelques bouts de verre qu'Allissia s'empressa de pousser dans la pelle, se mêlant aux autres dans une mélodie distordante, alors qu'Illyana absorbait les dernières traces d'eau avec la serpillière. Papa s'agenouilla dos à moi, entre mes jambes pour les passer autour de sa taille et me soulever. Je m'accrochai à son cou pour ne pas tomber, cachant ma tête dans son dos, afin de fuir ma chambre et ce qui venait de s'y passer.

— Restez ici, les filles, indiqua ma mère.

— Elles devraient peut-être rentrer chez elles, non ?

— Non, on reste ! La blessée aura besoin de nous pour la chouchouter, répliqua Allissia.

Papa hocha la tête, mais ne s'attarda pas plus avant de quitter l'appartement jusqu'à la voiture. Pour pouvoir me surveiller, maman s'installa à côté de moi, sur la banquette arrière. Pendant tout le trajet, qui fut plutôt court, elle garda une main posée sur mon épaule avec une légère pression réconfortante du bout de ses doigts délicats.

Une fois garé, papa me porta à nouveau.

Je ne faisais pas attention à ce qui m'entourait. Mes pensées restaient rivées sur les filles et les lettres. Je savais que ma réaction les pousserait à en lire le plus possible, toutes, si elles le pouvaient. Je doutais de cela, en revanche. En deux ans, j'avais eu le temps d'en écrire beaucoup.

Sans même que je ne m'en sois rendu compte, le médecin retira le dernier morceau de verre qu'il posa avec les autres dans un petit cliquetis.

— Tu as eu de la chance, il n'y avait que les plus gros morceaux plantés, donc tu n'as pas à t'inquiéter de trouver des petits bouts cachés.

Je souris à l'homme, soulagée malgré tout. Si en plus de la découverte des lettres, je me retrouvais avec une infection...

— C'est un soulagement ! s'enquit maman.

Elle me lança un grand sourire que je lui rendis comme je le pus.

— Pensez juste à désinfecter tous les jours et à mettre un bandage. Là, je lui en ai mis un, donc vous pourrez commencer demain.

Maintenant que cette affaire-là était réglée, mes pensées se tournèrent de nouveau vers les filles. J'imaginais quelle lettre elles devaient être en train de lire et leurs réactions. La façon dont elles me regarderaient après cela.

Je fus cependant coupée par une main sur mon épaule.

— Tu n'as pas trop mal ? Tu peux marcher seule ?

Je me mis debout et effectuai quelques pas. Ma peau se tirait dès que je levais ou posais mes pieds. C'était surtout désagréable, bien que la douleur demeurait.

Je haussai les épaules, n'osant pas demander directement à papa de me porter. Je n'étais pas sûre de tenir ne serait-ce que jusqu'à la voiture. D'autant plus que seul le bandage séparait ma peau du sol.

— C'est pas grave, je vais continuer à te porter.

Ce qu'il fit jusqu'à la voiture. Nous rentrâmes ensuite. Une partie de moi voulait que le trajet soit rapide pour ne plus avoir la pression du regard que maman déposait sur moi de temps à autre. Mais en même temps, si je rentrais, cela voulait également dire que je devrais me confronter aux filles.

En plus, j'allais devoir me comporter normalement, et manger comme si de rien n'était pour que maman ne se rende compte de rien.

Plus vite que je ne l'avais espéré, et clairement pas préparé psychologiquement, nous arrivâmes.

— Tu devrais éviter de rentrer par la fenêtre le temps que tes pieds aillent mieux. Dans le doute.

Il fixa de longues secondes la fenêtre, comme si la vitre risquait d'exploser à tout moment et de venir planter ses éclats dans mon corps déjà meurtri.

— Oui, papa.

De toute façon, pour être honnête, je ne le faisais que rarement, soit par nécessité, soit sous la demande d'Allissia.

Papa me porta à nouveau, mais je l'intimai de s'arrêter à la porte d'entrée. Je ne voulais pas que lui ou maman voient l'expression des filles. Peut-être étaient-elles plus détendues, mais cela ne changeait pas le cœur du problème.

Ainsi, je pénétrai dans ma chambre sans attendre. Aussitôt, les filles se jetèrent sur moi pour me serrer dans leur bras.

— Comment tu vas ? C'est grave ? Tu vas mourir ? Il te reste combien de temps ? Ne nous quitte pas, je t'en prie ! Je veux pas qu'on soit séparé !

Allissia serra fort mon bras, alors qu'elle continuait de me répéter, larmoyante, qu'elle ne voulait pas que je les quitte. Je posai une main sur son épaule afin de la stopper dans son torrent d'angoisse.

— C-calme toi, Allissia, je ne vais pas mourir. Tous les bouts de verre ont été retirés. Je vais juste devoir mettre un bandage un certain temps et désinfecter les plaies. Mais ça va.

— Viens, assieds-toi, ça doit te faire mal quand même.

Je ne pouvais le nier. Séverilla me prit alors la main, d'abord avec précaution, comme si je risquais de me briser, puis avec force pour me guider jusqu'à mon lit sur lequel je m'affalai. Ensuite, elle me tendit ma peluche que j'étouffai dans mes bras, ce qui m'apporta du réconfort, avec le tissu qui me caressait la peau. C'était agréable de tenir quelque chose contre soi.

Les filles m'entourèrent, le regard changé. Je cachai mon visage contre ma peluche, incapable de les soutenir. J'avais naïvement espéré, au fond, que l'incident les aurait dissuadées d'amorcer le sujet.

— Ces lettres... est-ce que tu sais qui te les envoie ? lança Illyana après de longues secondes d'attente, d'une voix calme qui trahissait tout de même sa colère ardente.

Je ne répondis pas. Je ne pouvais pas répondre. Évidemment que je savais qui me les envoyait, étant donné que c'était moi-même. Sauf que je ne pouvais pas le leur révéler. Que penserait-elle de moi après ? Et même si elles ne ressentaient que de la pitié, elles ne comprendraient pas. Dans le pire des cas, elles auraient honte d'être amies avec une telle personne et partiraient dans la seconde.

Dans le meilleur des cas, elles me diraient que c'était débile. Que m'insulter dans mes lettres ne m'aiderait pas. Que je devais arrêter. En parler à mes parents.

Mais c'était impossible. J'avais tout testé pour chasser mes pensées négatives. Écrire comment je me sentais dans un journal intime ne faisait que les rendre plus forts, faire du sport m'épuisait et je finissais par pleurer, ne pas y penser relevait de l'utopie. Non, rien de ce que j'avais essayé ne marchait, et plus d'une fois, j'avais bien failli me faire remarquer par maman. Alors que les lettres, quand l'idée avait germé dans ma tête la première fois et que j'ai ensuite essayé. Ça m'as fait tellement mal que j'en ai pleuré. Mais quelques minutes après, j'allais mieux. 

Les lettres étaient mon défouloir, ma façon d'enfermer mes sentiments négatifs.

Alors je ne pouvais pas arrêter.

Et en parler à mes parents... Inimaginable. Je n'osais pas ne serait-ce que penser aux conséquences.

 La seule chose que je devais faire était de me taire sur le sujet.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant