43. Prends le temps de souffler

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Je tapai les chiffres qui composaient le numéro de papa sur le téléphone de Séverilla. Même si je n'avais pas hésité quand elle me l'avait tendu, maintenant que je m'apprêtais à lancer l'appel, les doutes m'envahirent. Et si je tombais finalement sur maman ? Je n'étais pas encore prête à me confronter à elle. Mais si c'était papa qui avait appelé Allissia, il y avait tout de même plus de chance que ce soit lui qui réponde. Cependant, cela pouvait être un piège pour m'encourager à appeler.

Séverilla posa sa main sur mon bras, mais cela ne fit que me rajouter de la pression.

— Ça va bien se passer, d'accord ? C'est juste pour le rassurer.

Je levai les yeux vers elle, pas totalement convaincu. 

— Je vais te laisser, tu te sentiras peut-être mieux si tu es seule.

— Non !

Je lui agrippai le bras comme si ma vie en dépendait, manquant de lâcher le téléphone. Elle remit son poids sur le canapé, puis, voyant que je ne desserrai pas ma prise, m'écarta légèrement les doigts pour y glisser les siens.

Je pris quelques secondes pour respirer, puis lancer l'appel. 

— Allô ?

— Papa ?

— Gwen ! Où est-ce que tu es ? Ta mère m'a dit que tu es parti soudainement de la maison sans prévenir, est-ce que tu vas bien ? Tu es en lieu sûr ?

— Oui, je suis chez Séverilla.

Je l'entendis soupirer de soulagement au bout du fil. Je ne doutais pas que lui s'était inquiété, mais pour ce qui était de maman...

— Tu penses rester longtemps ?

— Euh, je... je sais pas.

Je jetai plusieurs regards à Séverilla qui chercha à comprendre ce dont on parlait. Je ne pouvais pas non plus m'incruster toute la journée, et même là, la politesse m'obligeait à partir en fin de matinée pour laisser la famille dîner. 

— Passe moi Séverilla.

— Euh, oui... oui d'accord.

Etonnée de sa demande, je m'exécutai. Séverilla semblait presque déjà savoir ce qu'il comptait lui dire.

— Oui... Bien sûr, c'est normal... Je pense aussi... Vous pouvez gérer ?

Je fronçai les sourcils. De quoi parlaient-ils ? A nouveau, Séverilla émit des petits bruits de confirmation.

— Oui, si possible. Ce serait parfait.

Ensuite, elle me repassa son téléphone.

— Oui papa ?

— Je vais t'apporter des sandwichs, tu peux passer la journée chez Séverilla, mais comme c'était pas prévu, ils n'auront peut-être pas de part pour toi. Je m'occupe d'en parler à ta mère, donc ne t'inquiète pas. Ah et, je vais te prendre des vêtements plus chauds.

— Euh... D'accord. Mais t'es sûr que...

— Je maîtrise la situation. Change toi les idées, c'est tout ce qui compte.

— D'accord. Merci papa...

Il raccrocha, et je rendis le téléphone à Séverilla, un peu gênée du chemin que cela prenait.

— Tu es sûre que c'est pas un problème que je reste ici ? Tes parents ne sont même pas réveillés, on n'a même pas pu leur demander.

— Ils te connaissent depuis plus de quatre ans, la seule chose qui les gênera sera de ne pas pouvoir t'offrir un repas.

— Je... je sais pas si c'est...

Un cri en provenance de la chambre des jumelles me coupa. Sans attendre une seconde, Séverilla s'y précipita. Je la suivis aussitôt, me débarrassant de la couverture dans laquelle je manquai de trébucher. Il faisait plus froid sans, mais c'était toujours mieux que dehors.

Dans la chambre, Séverilla serrait Lina qui pleurait dans ses bras. Cette dernière dut m'entendre, car elle leva la tête à mon arrivée. Elle arbora un air surprise quelques secondes, avant de se jeter dans mes bras. Je l'y accueillis avec maladresse, m'assurant auprès de Séverilla que je ne m'y prenais pas mal.

La porte de la chambre des parents s'ouvrit et leurs pas précipités se stoppèrent net. Je leur lançai un petit sourire, gêné qu'ils découvrent ma présence de la sorte.

— Gwen, quelle surprise, commença sa mère.

— Tu as oublié des affaires hier ? enchaîna le père.

Une fois la surprise passée, ils s'approchèrent de nous et sa mère s'agenouilla pour caresser les cheveux de Lina qui commençait à se calmer. Alors que son père était un peu plus buté sur moi, jetant des coups d'œil aux alentours, à la recherche d'objets m'appartenant.

— En fait je...

Je ne savais pas du tout comment aborder le sujet. D'autant plus que je venais moi même d'apprendre il y a moins d'une minute que je restais ici. Que devrais-je dire ? 

Salut ! Je m'incruste à la dernière minute, ça vous dérange pas ? De toute façon c'est déjà organisé et mon père est déjà en chemin pour m'apporter de la bouffe donc tant pis si je vous gêne hihihi !

J'eus envie de me gifler intérieurement. C'était vraiment nul de venir ici. Quelle idiote... Mais d'un côté, je me sentais beaucoup mieux, presque comme si cet événement n'était pas arrivé, et j'avais le droit d'y croire tant que j'étais ici. Un peu comme une bulle protectrice, malheureusement éphémère.

— Ça ne vous dérange pas qu'elle passe la journée ici ? Ce n'était pas prévu, mais on n'aurait pas pu faire autrement. Et Fergus va lui apporter des sandwichs.

Le visage de sa mère passa par plusieurs émotions qui ne durèrent parfois qu'une fraction de secondes, et j'eus peur qu'elle ne se décide à me mettre à la porte. Surtout qu'elle semblait effectivement très embarrassée.

— Je ne poserais pas de question sur cette visite improvisée, mais tu sais bien que tu es ici chez toi, Gwen. C'est un peu embarrassant de te voir arrivé avec de la nourriture. Pense à accepter un repas de notre part un jour. Je peux au moins te proposer de porter des vêtements plus chauds.

Je secouais la tête.

— Ça ira, mon père va m'en apporter.

— Très bien, mais sert toi, prend une couverture.

J'acquiesçai, soulagé de ne pas être forcé à partir. Séverilla me sourit simplement, comme signifier, "je te l'avais dit".

Cela dit, outre le fait qu'ils me connaissaient depuis quelques années, le fait que je sois venue ici en pyjama devait dévoiler ma fugue. Si mon père passait tôt, ils allaient sûrement lui en parler, restait à savoir ce que papa leur dirait. J'espérais qu'ils n'e s'inquiétaient pas trop, mais ils devaient clairement deviner que c'était tendu chez moi.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant