12. Crise

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Je posai ma main sur la poignée de la porte de chez moi, mais me stoppai à l'entente de cris provenant de l'intérieur. Je fronçai les sourcils. Cela ressemblait à une dispute. Mais maman et papa ne se disputaient jamais... 

J'hésitai à entrer et restai dans la même position plusieurs minutes, mal à l'aise, sans que les voix ne se calment. Ils criaient assez fort pour qu'on les entende, mais pas assez pour les comprendre. 

La porte d'entrée de l'immeuble claqua, alors je m'empressai de rentrer pour ne pas avoir l'air étrange ou pire, une voleuse qui attendait le bon moment.

Je fis le moins de bruit possible en refermant la porte. Les paroles devinrent plus claires. Je retins ma respiration, comme si cela pouvait effacer ma présence.

— Combien de fois dois-je te répéter que tu rends Gwen malheureuse ! s'exclama papa.

— Si elle n'est pas heureuse, c'est uniquement de sa faute ! Je lui ai enseigné de toujours sourire, et ça a toujours marché !

— C'est une adolescente, Magdalena ! Une ado ! Les années où tes émotions sont au paroxysme. Elle a besoin d'exprimer ses sentiments. Tous ses sentiments, même les négatifs. Elle va finir par exploser à force de tout garder !

J'ouvris de grands yeux aux dires de papa. Jamais il n'avait contredit maman sur ses méthodes... Est-ce que c'était si mauvais pour moi pour qu'il s'emporte à ce point ? Mais cela n'aurait pas de sens qu'il réagisse seulement maintenant...

J'esquissai un mouvement de recul et le porte-clé accroché sur mon sac rencontra la poignée. Le bruit métallique m'avait semblé moindre, mais les voix cessèrent. Je déglutis et, dans la panique, sortis mes écouteurs. Maman et papa apparurent dans mon champ de vision. Je me concentrai afin de ne rien laisser transparaître et m'armer d'un sourire. Maman avait retrouvé son sourire, mais papa demeurait contrarié.

— Coucou ma puce. Ta journée s'est bien passée ? 

Face à son regard, j'agrandis mon sourire.

— Aussi bien que d'habitude, maman. Je vous laisse, j'ai beaucoup de devoirs.

Je n'attendis pas de réponse et m'engouffrai dans ma chambre. Mon sac glissa de mes épaules. Dans ma précipitation, je n'avais ni retiré mes baskets, ni récupéré mes chaussons. Je collai mon oreille à la porte. Le silence régna jusqu'à ce que la télé fut allumée. Aucun d'eux ne parlait, ou s'ils le faisaient, ils chuchotaient.

Je me glissai hors de ma chambre pour changer mes chaussures et retournai à grandes enjambées dans ma chambre. Je verrouillai ma chambre, chose que je ne faisais que quand j'écrivais une lettre, puis me laissai tomber en étoile sur mon lit.

Qu'était-il arrivé à papa ? Avait-il raison ? Devrais-je... m'exprimer ? Mais m'exprimer à propos de quoi, hormis pour me plaindre de moi-même ? Est-ce que papa avait découvert les lettres ? Je me figeai. Je n'espérais pas ! Même si j'étais persuadée que lui ne ferait rien, s'il les avait découvertes, cela voulait dire que maman pouvait les trouver aussi ! Oh non ! Ce serait l'horreur !

Le cœur tambourinant, je me jetai sur mon placard, mis mon code et m'assurai que rien n'avait bougé d'un millimètre. À cause de mes mains tremblantes, je manquai de faire tomber la pile de feuilles, alors je refermai le tiroir et le placard. Tout semblait en ordre.

Même après cela, mon cœur courait un marathon interminable, à tel point que cela en devenait douloureux. 

Je m'allongeai à nouveau, mains sur le ventre et tentai de me concentrer sur ma respiration tremblante. Mais celle-ci se faisait coupée par les paroles de maman et papa qui hantaient mon esprit. 

Qu'est-ce que cela faisait de montrer qu'on allait mal ? De parler de nos problèmes au lieu de les enfermer dans une lettre ? 

Sauf que le seul problème... c'était moi... Je ne ferais que passer mon temps à dire à mes amies à quel point j'étais nulle et qu'elle mériterait mieux, leur demander sans cesse si elle n'en avait pas marre de ma présence. Mais comme elles étaient adorables, elles me contrediraient, me diraient que j'étais génial, et tout...

J'ouvris soudainement les yeux, bien que je ne me souvenais pas les avoir fermés. Et si ce n'était pas le cas ? Et si elles se montraient gênées et avouaient qu'elles étaient contentes que j'aborde le sujet, car elles ne savaient pas comment m'expliquer que je n'avais pas ma place parmi elles et qu'elles avaient simplement pitié de moi ? Et si elles en profitaient pour mettre fin à notre amitié ? 

Je me roulai en boule, entourant mon oreiller de mes bras. Il était humide... Je pleurais ? J'amenai mes doigts à mes pommettes. Oui, je pleurais. Pourquoi ? Il n'y avait pas de raison.

Mais mon sang était constitué de larmes. Et mon cœur saignait à cet instant. Et je me rendis compte de la lame qui tailladait ma peau.

Parce que je réalisai que mes relations étaient peut-être à sens unique...

***

Des centaines de têtes me poursuivaient. Je fuyais, mais elles m'entouraient. Et autour de moi, il n'y avait ni sol ni mur. Je faisais sûrement du surplace, destiné à être rattrapée. 

Toutes ces têtes qui hurlaient autour de moi, c'était maman, son grand sourire et ses yeux ronds.

— Tu dois sourire, Gwen, me répétaient-elles.

Ce son était le seul accessible à mes tympans. Je n'entendais même pas ma propre respiration, ou mes pas. Juste sa voix et son écho.

— Arrête ! Je t'en supplie ! 

Je me stoppai dans ma course inutile et me recroquevillai, yeux fermés et mains sur les oreilles. 

Deux mains chaudes se posèrent sur les miennes pour les retirer sans mal, malgré ma résistance. Je levai la tête et ouvris les yeux pour me retrouver face à maman qui encadrait à présent mon visage.

— Je fais ça pour ton bien, ma puce. Je ne veux pas que tu vives la même jeunesse que moi. Je te le dis avec l'expérience, il faut sourire pour être heureux. Alors ne t'arrête jamais de sourire. Je serais toujours là pour te le rappeler...

Maman disparut pour laisser place à ses centaines de têtes qui répétaient son discours en boucle. Et elles pouvaient le répéter autant de fois qu'elles le voulaient, mais à cet instant, je n'avais pas la force de sourire.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant