18. Rien d'autre que le néant

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Un rictus intérieur se dessina. Elles ne me jugeront jamais ? Rien que pour leur prouver le contraire, j'aurais envie de leur avouer que j'étais l'auteur des lettres. Mais je ne voulais pas être jugé. Parce qu'il n'y avait aucun moyen qu'elle n'y réagissent pas. Son discours était mignon, mais elle ne savait pas, et quand les gens ne savent pas, ils disent toujours qu'ils comprendront, qu'ils ne jugeront pas. Mais le jugement est ancré dans leur âme. Le jugement est leur définition. Le jugement est partout. Mais moi, je le fuyais. Malheureusement, peu importe à quel point les filles étaient adorables, c'était juste impensable.

En un sens, c'était de ne pas savoir à l'avance précisément leur réaction qui me faisait le plus peur. Pour maman, c'était facile, et je savais quel élément je devais absolument lui cacher, mais les filles... à part de problème débile comme demander de l'aide pour un devoir ou une leçon, je ne leur parlais pas de vrai problème. En partant sur le principe que j'en avais. Et pour cela, ce n'était pas que moi. Elles aussi ne parlaient pas. N'avaient-elles rien à dire ? Pourquoi, devrais-je interrompre leur parfait bonheur ? Je n'étais pas égoïste, alors je ne le ferais pas. Sinon, je les rendrais tristes et je voulais éviter cela.

Je lâchai un profond soupir. Séverilla émit un léger son interrogatif et je me figeais. J'étais tant dans mes pensées que je n'avais pas réalisé que j'avais été bruyante dans la réalité.

— Retournons en cours... lançais-je pour changer de sujet.

— Tu es sûre ? Madame Sedatti ne t'en voudra pas si tu prends ton temps.

Je fis non de la tête avant de me lever, bientôt suivit par Séverilla qui demeurait inquiète.

— On a déjà gagné pas mal de temps en moins pour l'un des cours les plus ennuyeux, tentai dans un souffle.

Le visage de mon amie se détendit un peu, l'air rassuré de me voir retrouver mon aplomb.

— Tu exagères, la géographie n'est pas si mal.

— Pas avec madame Sedatti, en tout cas...

Séverilla lâcha un petit rire, ce qui me fit le plus grand bien. C'était tout ce que je voulais, et ainsi arrêter de s'attarder sur moi alors qu'il n'y avait pas de raison. Nous échangeâmes un regard complice, puis quittâmes les toilettes. Afin d'occuper mes pensées durant ce moment de silence, je m'assurais que mon pantalon n'était pas humide à cause de l'eau qu'il y avait parfois sur le sol, puis baissai mon pull jusqu'à dépasser mes fesses.

Nous toquâmes à la porte de la classe et entrâmes. J'ignorai mes camarades qui me jaugeaient, bien qu'avec beaucoup de mal et retournai à ma place. Cet air nonchalant ne m'allait pas et garder ce masque n'était pas aussi simple qu'un sourire. Néanmoins, j'économisai mes sourires pour quand je serais devant maman.

Le silence régnait dans la salle et tout le monde avait le nez plongé dans son cahier. Mon voisin m'expliqua la consigne et je m'exécutai, priant pour qu'on ne me pose aucune question.

Après seulement une minute, peut-être même moins, la professeur s'agenouilla devant mon bureau, comme pour aller à l'encontre de ce que j'espérais et chuchota, essayant de faire en sorte que mon voisin n'entende pas trop, mais ce dernier montrait ouvertement qu'il ferait le sourd.

— Est-ce que ça va mieux ?

Je hochai la tête les yeux cachés derrière des mèches qui la couvraient quand je baissais la tête. 

— Si jamais tu veux en parler à la fin du cours, sur Pronote ou par mail, n'hésite pas, d'accord ?

Je hochai à nouveau la tête dans un sourire légèrement pincé. Je savais que je ne lui communiquerais rien et peut-être qu'elle s'en doutait et me le proposait pour faire bonne impression. Bien que je devais avouer que cela me touchait. Moi qui la pensais insensible et qu'elle détestait ses élèves.

C'était vraiment incroyable à quel point les gens me remarquaient plus quand je pleurais que lorsque je souriais. L'être humain était fascinant.

Madame Sedatti retourna à son ordinateur, juste en face de moi et je me concentrai au maximum pour répondre aux questions que je ne comprenais qu'à moitié.

***

Midi arriva plus vite que prévu et je me précipitai dehors. J'avais l'impression d'étouffer à l'intérieur et respirer l'air frais me redonna consistance. Cependant, le fait de savoir que j'allais rentrer ne me permettait pas de me sentir parfaitement sereine non plus.

Les filles m'emboîtèrent le pas. Si Séverilla demeura impassible, ce ne fut pas le cas d'Illyana et d'Allissia qui hésitèrent à me poser des questions. Je soupirai. Je ne savais pas quoi leur dire de plus qu'à Séverilla, mais je doutais que cela suffise. Rien que d'y penser absorbait toute mon énergie restante.

— Il y a eu du nouveau ? Quand ? T'as vu quelque chose ? Parce que je peux aller casser la bouche de toutes les personnes que je suspecte ! lança Illyana.

— Moins fort ! s'enquit Allissia. Est-ce que tu l'as sur toi ? Tu veux qu'on la lise ? Tu veux parler, écrire, dessiner, chanter, danser ?

J'ouvris la bouche pour essayer d'en placer une, mais me coupai face aux regards des filles prêtes à bondir. Finalement, ce fut Séverilla qui intervint en posant une main sur leur épaule. Elle secoua simplement la tête, et elles détournèrent le regard. Illyana croisa les bras, jetant tout de même des regards assassins aux alentours. Allissia, quant à elle, faisait les yeux de chiens battus à Séverilla, sûrement pour avoir son approbation pour me faire un câlin.

Je me pinçai les lèvres et réfléchis à mes mots. Je devais faire attention à ne pas parler directement des lettres, de quelque façon qu'il soit. Ou même à dire la moindre chose qui pourrait les inquiéter encore plus. 

— Les filles... Je... Il n'y a pas de... de raison particulière. Mes émotions font juste n'importe quoi et... je vais bien. Il n'y a rien. Vous pouvez me croire.

Illyana m'analysa, toujours bras croisés, avant d'affaisser ses épaules. Si elle demeurait sceptique, elle ne laissait rien paraître. Allissia, quant à elle, fit la moue.

— Il peut pas ne pas y avoir de raison ! Même si tu ne sais pas, il y a forcément quelque chose !

Je tentai de répliquer, mais ne trouvai rien à dire. Et si elle avait raison ? Si, caché au fond de moi, faisant de son mieux pour ne pas être vu et ainsi réglé, il y avait ce quelque chose ? 

Non... C'était impossible... Quand il y avait bien quelque chose, on ne pouvait pas se mettre à pleurer sans savoir pourquoi. Non, ça devait être autre chose... Peut-être un genre de... réaction émotionnelle due au fait de voir mes parents se disputer ? Même si cela n'aurait pas de sens que je réagisse aujourd'hui.

Non. Il ne devait rien y avoir d'autre que le néant.

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