45. Le prix à payer

4 0 0
                                    

— Ton père est là. Il est venu te chercher, m'annonça Séverilla.

Le téléphone dans la main, elle relut plusieurs fois le message que lui avait envoyé mon père pour la prévenir de sa présence et de mon départ.

— Ça va aller ?

Je m'humectai les lèvres et tentai de lui lancer un petit sourire, sans exagérer, pour paraître convaincante, malgré le fait que j'aurais apprécié ne jamais avoir à rentrer.

— Il le faut bien...

Je récupérai mes affaires et, suivis de Séverilla, nous descendîmes. Mon cœur s'accéléra à chaque pas. Si je stressai ainsi à l'idée que papa vienne me chercher, qu'est-ce que cela allait être avec maman ? Je n'allais pas survivre... J'espérais qu'elle n'était pas dans la voiture, d'ailleurs ! Non, non, papa ne l'aurait pas laissé venir. Non. Et la connaissant, elle attendait à la maison. Et ce n'était qu'en rentrant que je découvrirais ma punition.

En bas, nous nous arrêtâmes devant la porte. La voiture de papa était à peine à quelques mètres, mais il était de dos et ne nous voyait pas. Je n'osai pas ne serait-ce que lâcher la main de Séverilla, comme si cela me tuerai instantanément.

— S'il y a le moindre problème, ou que tu as juste envie, n'hésite pas à revenir.

Je hochai la tête. Pourtant, je n'aimais pas ça. Dans sa proposition, il y avait la possibilité qu'un événement similaire se produise, ce que je ne souhaitais pas. Ou alors je ne tiendrais pas jusque ne serait-ce que ma majorité, mon cœur me lâcherait avant.

Alors que je m'apprêtai à ouvrir la porte, Séverilla me caressa la joue et m'embrassa la commissure de mes lèvres. La douceur de son contact me détendit aussitôt. Quand elle recula, j'essayai de l'embrasser, mais elle me bloqua avec son index.

— Pas maintenant.

Je m'éloignai aussitôt de quelques pas, me cognant contre la porte, et rougis, honteuse.

Tout comme elle, j'avais dit à Allissia que j'aimais notre rythme, et voilà que j'essayai de le briser alors qu'elle n'en avait peut-être pas envie ou n'était pas prête. Après tout, si elle en avait envie, elle l'aurait fait il y a quelques secondes.

Séverilla, comme si elle lisait dans mes pensées, réduit la distance et me prit les mains, qu'elle embrassa.

— Je fais ça pour toi. Je n'ai pas envie de t'embrasser alors que tu es dans un tel état de faiblesse. Ça me donne l'impression d'en abuser.

Je me détendis alors et lui sourit, plus sincèrement cette fois. Moi aussi je voulais être dans un meilleur état pour notre premier baiser, pour pouvoir en profiter au maximum et pouvoir y repenser sans tout ce qui allait avec. 

J'embrassai alors sa joue — il n'y avait pas de raison que cela vienne toujours d'elle — puis sortit, non sans un dernier regard en arrière.

Je rentrai dans la voiture et refermai la portière avec le moins de bruit possible, comme si cela suffirait à effacer mon existence.

Papa m'offrit un doux sourire que je le lui rendis, mais plus crispé. Le moment avec Séverilla venait de s'envoler et seule l'appréhension m'habitait.

— Vous vous êtes bien amusé ?

— Oui... ça a été plutôt mouvementé, ses sœurs ont même essayé de me déguiser en fée.

Il pouffa de rire. Mais malgré tout, je sentais que lui même était tendu. J'espérais que ce n'était pas un trop mauvais signe. J'étais incapable de tenir ainsi tout le trajet, j'avais besoin de savoir.

— Est-ce que... tu lui as.... parlé ?

Le silence régna en maître, et seuls les vrombissements du moteur permettait de ne pas être totalement mal à l'aise.

— Oui. Elle ne le fera pas.

Je poussai un profond soupir de soulagement. C'était au moins ça de bon. Cela dit, peut-être qu'elle comptait faire quelque chose de pire ? Non, papa avait dû préciser que cela ne devait pas sortir de la maison parce que ça ne m'aiderait pas.

— Mais... elle va quand même faire quelque chose ?

— Oui.

Il n'ajouta rien de plus. Soit il ne savait pas, soit il préférait que je le sache de moi-même. Était-ce si terrible ? Peut-être qu'il réagissait ainsi simplement parce qu'à part les trois fois où j'ai dû avoir les joues scotchées, on ne m'avait jamais puni. Cela pouvait juste être privé de téléphone, ou même d'un repas. Et je préférai largement cela que ce qu'elle me prévoyait ce matin.

Un peu trop rapidement à mon goût, nous arrivâmes à la maison. Mon cœur entama une bataille contre ma cage thoracique, sans crainte de gagner et de s'échapper de ma poitrine.

Je pris une grande inspiration et rentrai. Maman, qui était dans la salle à manger, entendit le bruit et vint à notre encontre. Je déglutis face à elle, et lui lançai un petit sourire pour ne pas aggraver mon cas. 

Malgré son sourire, son regard était dur, sévère. Mais tant qu'elle n'avait pas ses yeux ronds, tout m'allait.

— Brillante idée de fuguer comme ça.

— On pourrait dire que c'était un jogging improvisé. Une fugue se fait plus dans le dos des parents généralement, tentai-je.

Je jouais avec le feu, et le mien n'allait sûrement pas tarder à s'éteindre pour se laisser consumer par celui adverse, mais avec maman, je pouvais toujours essayer l'humour. Après tout, si elle me voyait prête à faire des blagues, elle reverrait son jugement et se dirait qu'effectivement, je vais bien.

— Tu as conscience que tu vas être puni pour ça ?

— Oui.

— Tes soirées du vendredi, même celles qui se font ici, tu peux y dire au revoir. Ensuite, tu ne sors plus d'ici en dehors de tes trajets du lycée, et je veux que tu rentres directement après tes cours.

J'usai de toute ma force mentale pour demeurer impassible et garder mon sourire, mais c'était vraiment dur. Je m'attendais à être privé de sortie et/ou de téléphone, par contre, m'interdire de passer du temps avec mes amies en dehors du lycée, c'était cruel. Est-ce qu'elle se rendait compte que, pour que je ne me relâche pas et sourit tout le temps, elle m'éloignait des gens qui n'avaient besoin de rien faire pour que je souris ? Naturellement, pas un sourire forcé. 

Il semblerait qu'elle préfère l'hypocrisie aux vraies sentiments. C'était en un sens plutôt ironique.

— Bien. Il y a une limite ?

— Je ne suis pas cruel, évidemment qu'il y en a une, mais il faut que tu y mettes du tien. Si tu me prouve qu'il n'y a pas de raison de m'inquiéter à ton sujet, ta punition sera levée après ton anniversaire.

A la lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant