27 - Amaël.

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Jeudi 3 Août 2023.

Un mouvement au bout de mon lit me réveille en sursaut. Sans plus attendre, je me précipite vers l'extrémité de mon lit, priant pour que ça ne soit pas ce que je redoute le plus.

Mais évidemment, il s'agit de ce que je redoute le plus. Le petit corps de ma chienne est secoué de violents spasmes, ses pattes bougent et elle n'ouvre pas les yeux. Je pose une main sur elle, la secoue un peu en appelant son nom, mais au fond, je sais déjà que c'est peine perdue.

Je me relève, mon cœur tombe au fond de mon estomac. Je m'habille mécaniquement, et je me précipite hors de ma chambre, abandonnant Abby sur mon lit. De toute façon, en la portant pour rien, je risque juste de lui faire mal.

Mon père est réveillé. Je l'informe de la situation en quelques mots, il attrape ses clés de voiture et remonte à l'étage pour réveiller ma mère. Je glisse mon téléphone dans ma poche arrière, je prends Abby dans mes bras avec la plus grande délicatesse et je sors du gîte pour aller m'asseoir dans la voiture.

Je tremble comme je n'ai jamais tremblé. Mes parents arrivent et montent eux aussi dans la voiture, mon père démarre. Le trajet me paraît déjà interminable.

Ce n'est qu'un chien Amaël, tu vas t'en remettre, commence mon père.

Ma peur et ma tristesse font place à de la colère.

Ta gueule ! hurlé-je alors que mes premières larmes du jour jaillissent de mes yeux. Ca vous plairait que je crève, là maintenant, et que papi te dise que "ce n'est qu'un enfant Charles, tu vas t'en remettre" ? Ferme la ! J'en ai marre que tu dises que ce n'est qu'un chien, Abby est plus que ça.

Ne parle pas comme ça à ton père ! crie ma mère.

J'en ai putain de rien à foutre. Ça fait des mois que vous me répétez que ce n'est qu'un chien alors que vous ne pouvez même pas imaginer la douleur que je ressens ! Alors j'en ai rien à foutre de votre putain d'avis ou de ce que vous pensez.

Mon père immobilise la voiture devant le cabinet du vétérinaire. Je sors de la voiture en trombe.

Je ne veux pas de vous ici, décrété-je en claquant la portière.

Je serre délicatement Abby contre moi en poussant la porte du cabinet. La petite sonnette accrochée au dessus de la porte retentit doucement, je me dépêche d'aller voir la dame de l'accueil.

Je n'ai même pas besoin de dire le moindre mot, elle comprend. Elle m'emmène directement voir la même vétérinaire que d'habitude. Là encore, je n'ai pas besoin de parler, la vétérinaire lui fait une piqûre en m'expliquant que cela devrait calmer ses douleurs, et peut-être la réveiller.

Tu vas rester ici, aujourd'hui, m'explique-t-elle. On va d'abord voir si elle se réveille, et ensuite on essayera de lui donner à manger. Mais je te préviens, si elle mange, elle ne tiendra quand même pas très longtemps.

J'aimerai...j'aimerai qu'elle sache que je suis à côté d'elle, avant de mourir, expliqué-je d'une voix cassée que je ne reconnais pas.

Je sais, c'est pour ça que je fais ça...Il n'y a personne avec toi ? Le garçon de la dernière fois ?

Je secoue misérablement la tête, et quand je glisse ma main dans ma poche arrière pour trouver mon téléphone, il n'y est pas. Je devine sans peine qu'il est tombé de ma poche dans la voiture.

Pris d'un vertige, je m'appuie contre le mur, les yeux rivés sur ma chienne qui respire maintenant un peu plus calmement.

Je vais te chercher de l'eau, les médicaments doivent commencer à faire effet.

Je la laisse partir sans rien dire. Je n'ose même pas toucher Abby, j'ai trop peur de lui faire mal. Mais en même temps, je veux qu'elle sache que je suis à ses côtés jusqu'au dernier moment...

La vétérinaire revient avec une bouteille d'eau qu'elle me tend. Je la remercie, tremblant comme une feuille. Je ne veux pas qu'Abby meurt, je ne suis clairement pas prêt. Je ne suis pas prêt à me retrouver seul pour dormir, seul pour aller me promener, seul chez moi avec mes parents.

Tu vas t'écrouler si tu ne bois pas, fais-le pour elle, je t'en prie, me demande la vétérinaire au bout de quelques minutes.

Je débouche la bouteille et avale de longues gorgées d'eau. Je n'avais pas réalisé que ma bouche était si pâteuse et ma gorge si sèche.

Je...je c-crois qu'elle se réveille...

La vétérinaire relève le nez de l'écran de son ordinateur. Abby est effectivement en train de se réveiller, quatre heures après mon arrivée au cabinet vétérinaire. Je m'approche en tremblant, elle relève à peine la tête vers moi. Son regard bien trop vide à mon goût me fait fondre instantanément en larmes douloureuses que je tente de ravaler.

Passe moi la boîte de médicaments derrière toi, s'il te plaît, réclame la vétérinaire en enfilant des gants bleus.

Je m'exécute, soulagé qu'elle fasse semblant de ne pas voir les grosses larmes qui roulent sur mes joues pour s'écraser sur le sol.

Elle ne va pas tenir très longtemps, je suis désolée.

Je lève les yeux sur l'horloge murale qui montre qu'il est quatorze heures. Je devais voir Zaven à onze heures trente...Et vu la façon dont j'ai répondu à mes parents, ils sont probablement partis se promener sans rien dire à personne.

Ça ne...sert à rien de la f-faire souffrir plus longtemps, bafouillé-je en clignant des yeux pour chasser mes larmes.

Mon cœur se désagrège. Abby va mourir.

Les quelques minutes qui suivent, la vétérinaire prépare ce dont elle va avoir besoin. Je ne bouge pas de ma place, je caresse Abby en tremblant comme une feuille, ma vision devient flou à cause des larmes et ma gorge est nouée. Je n'en peux plus de pleurer.

La première piqûre va l'endormir. Et la deuxième stoppera doucement son cœur. Sans douleur, c'est promis. Tu veux rester seul avec elle quelques minutes ?

Je hoche précipitamment la tête, la vétérinaire quitte la pièce.

Hey, ma belle...Je t'aime tellement, je te jure. Je veux pas que tu partes, mais je veux pas que tu souffres non plus...Tu ne m'en veux pas, hein ? Je t'aime tellement. T'es la meilleure chose qui me soit arrivée. Tu vas me manquer. Tellement me manquer.

Mes sanglots redoublent d'intensité.

La vétérinaire revient, elle pratique la première injection. Le cœur en miettes, je vois les yeux de ma chienne se fermer lentement, comme si elle luttait contre le sommeil. Je m'étouffe dans mes larmes, tout mon corps se tend.

Je vais faire la deuxième piqûre. Normalement, je n'ai pas le droit de laisser les propriétaires rester pendant ce temps là, c'est souvent trop douloureux à voir.

Je veux rester avec elle jusqu'au bout...sangloté-je.

Elle hoche la tête. Comme au ralenti, je vois l'aiguille s'enfoncer dans la peau de ma chienne, la seringue se vider. Et lentement, je vois la respiration d'Abby ralentir. Jusqu'à s'arrêter complètement.

Là, je sors brusquement de la pièce, ne supportant plus de voir ça. Je tombe assis dans le couloir, et je pleure, je pleure, et je pleure encore.

Je ne verrai plus jamais Abby dormir sur mon lit. Je ne verrai plus jamais Abby jouer dans l'herbe, je ne verrai plus jamais ma chienne.

La vétérinaire me ramène dans sa salle une fois que ma chienne n'y est plus et elle me laisse y pleurer pendant au moins deux heures.

Dehors, il pleut. 

Last NightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant