CHAPITRE 30

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Les gens sont curieux. Assise à mon bureau, la mort dans l'âme, j'entends les chuchotis de mes collègues. Mes collègues sont toujours aussi adorables à jacasser sur les malheurs des autres. Les bruits de couloir comme on aime à les appeler. Je suis le potin de la journée : Chloé s'est fait virer par la patronne.

Je fais tout pour ne pas y prêter attention et continuer mes tâches. Il me reste un peu moins d'une heure avant de devoir faire mes cartons. Je soupire longuement en saisissant mon téléphone.

— Oh non...chuchoté-je en voyant le nom de Benji apparaître.

J'hésite à répondre, je n'ai envie de parler à personne, encore moins à Benji. Il saura que quelque chose cloche rien qu'au son de ma voix. Je loupe son appel. Je loupe son second appel. Un message me parvient dans la minute suivante : « Décroche maintenant ». Merde.

— Je suis au boulot Benji.

— Je sais...j'ai eu Derek.

Je ne dis rien suite à cette affirmation énoncée sur un ton grave. En fait, rien ne me viens pour être honnête. Derek est son cousin, moi sa meilleure amie. Que pourrais-je dire ? Je ne veux pas qu'il choisisse de camp. Derek a merdé et je me retrouve virée. Peu importe s'il n'avait pas de mauvaises intentions, le fait est là.

Le résultat reste inchangé. Cette journée est pourrie, aussi belle soit-elle avec ce stupide soleil radieux, ce ciel bleu azur éclatant de vie et ces maudits oiseaux qui gazouillent leur mélodie apaisante.

— Il a dit qu'il a vraiment merdé et qu'il t'a fait virer.

Je ne dis toujours rien. C'est la vérité. Derek a fait son Derek comme d'habitude.

— D'après ton silence, j'en conclus que c'est vrai.

Je l'entends soupirer longuement, épuisé par ces nuages gris dans mon beau petit ciel tout bleu.

— Tu sais, même si c'est mon cousin, je peux ne pas cautionner ce qu'il fait, si c'est totalement stupide et surtout irréfléchi. J'aimerais bien que tu te confies à moi sur le sujet, même si ça le concerne. Je sais faire la part des choses. Et en l'occurence, je lui ai passé le savon de sa vie pendant au moins une bonne vingtaine de minutes.

— Je sais, soufflé-je de dépit. Je ne veux pas te mettre dans une position délicate, à devoir choisir un camp.

— Derek est un crétin, dit-il.

Je souris.

— Ce qu'il a fait est vraiment con, même s'il voulait t'aider. Tu as le droit de lui en vouloir.

— Je crois que je suis grillée dans le milieu...ça ne m'étonnerait pas que Madame Sinclair m'ait atomisée.

— Je ne sais pas Chloé, nous n'en sommes pas certains. Peut-être qu'elle se contentera juste de te licencier.

Il y a peu de chance. Mes yeux se posent sur l'horloge murale. Il me reste encore quinze minutes avant de devoir définitivement quitter mon poste. Personne n'est venu prendre de mes nouvelles au bureau. Aucun collègue. Je suis devenue la pestiférée avec laquelle il ne vaut mieux pas être vu. Je n'arrive même pas à leur en vouloir au fond.

— Viens à la maison ce soir. Il n'est pas question que tu passes la soirée seule après une journée pareille.

— Ok, réponds-je d'une petite voix. Je te laisse, j'ai encore du travail.

Je raccroche, et me remets au travail. Le coeur n'y est pas, mais j'ai toujours fait de l'excellent travail et je souhaite que mes affaires soient en ordre avant de partir. Cela me tient à coeur. Concentrée sur ce que je fais, je viens à bout de mes tâches en attente l'une après l'autre. Je laisse des instructions, des notes et tout ce qui me vient à l'esprit pour la personne qui prendra ma relève. Je range mon bureau et le débarrasse de toute trace de mon passage...

Cela fait belle lurette que les employés ont déserté les lieux. L'horloge affiche déjà vingt heure et vingt-deux minutes, mais j'ai terminé. J'éteins mon poste et avant de récupérer mes affaires pour partir, je m'avance jusqu'à la porte close de Madame Sinclair. Je toque, le coeur battant à tout rompre. C'est idiot mais après toutes mes erreurs de la journée, j'ai peur d'affronter son regard.

— Oui ?

Je souffle discrètement un rire. Traitez-moi de folle mais à chaque fois que cette femme ouvre la bouche pour parler, c'est la voix de Frédérique Tirmont que j'entends. Sa voix, sous les traits de Meryl Streep dans le Diable s'habille en Prada.

— Je, commencé-je en entrant dans son bureau sans parvenir à trouver mes mots.

Un silence.

— Venez vous asseoir Chloé, m'ordonne-t-elle finalement en posant deux verres en cristal et une bouteille ambrée sur la table.

Assise derrière son bureau, Madame Sinclair me regarde et attend patiemment que je prenne place face à elle. Derrière elle la baie vitrée outrageusement grande et imposante, nous dévoile le ciel nocturne parsemé d'étoiles en cette nuit chaude d'été.

— Savez-vous pourquoi est-ce que j'ai toujours été aussi exigeante avec vous plus que les autres ?

— Parce que je suis votre assistance ? Demandé-je bêtement.

— Oui...et non.

Madame Sinclair verse le liquide dorée en quantité suffisante dans chaque verre sans me regarder. Il est clair que ce breuvage, quoi qu'il soit, doit coûter plus cher que tout ce que j'ai sur le dos aujourd'hui. Sans doute vient-il de la maison Nicolas à quelques rues d'ici, pour ce que j'en sais. Je ne m'y connais pas du tout en alcool. Je me contente de boire et d'apprécier mon verre généralement.

— Pour en arriver là où j'en suis aujourd'hui Chloé, il m'a fallut faire de nombreux sacrifices et exiger le meilleur. Je ne m'entoure que de personnes compétentes, rigoureuses, et surtout ambitieuses.

Attrapant mon verre, je bois une gorgée de ce qui semble être du whisky et apprécie presque la brûlure de l'alcool lorsqu'il s'écoule le long de ma gorge. La chaleur qu'il me prodigue dans la poitrine est réconfortante en cet instant.

— Comme vous.

— Comme moi ?

— Oh ! Mon enfant, ne soyez pas si hébétée. La chose me paraît pourtant évidente. A votre avis, pour quelle autre raison me montrerais-je si exigeante avec vous si ce n'est parce que je sais de quoi vous êtes capable ? Pour être honnête, vous me rappelez la femme que j'étais à mes débuts.

Surprenant. Je n'ai pas d'autres mots qui me viennent à l'esprit. Je ne m'attendais pas à avoir une telle conversation avec ma sorcière bien-aimée.

— C'est une nouvelle vie qui s'offre à vous désormais. Ne voyez pas cela comme un échec. Je vous ai prise sous mon aile pendant des mois, et vous ai forgée à mon image, comme on façonne un diamant. La seule raison pour laquelle je me sépare de vous, et il est bien malheureux que je me sépare d'une seconde aussi compétente que vous, c'est que je n'ai plus rien à vous apprendre hélas.

J'en reste coi. Eh bah ça alors...j'en tombe des nues. Littéralement. Comment ne pas être sur les fesses avec les propos que Madame Sinclair me tient depuis plusieurs minutes déjà.

— Il ne nous reste plus qu'une chose à faire désormais.

— Quoi donc ?

— Trinquons à votre nouvelle vie, mais tachez de ne pas me décevoir. Vous portez ma marque de fabrique après tout.

Nos verres s'entrechoquent et nous buvons en silence pendant que je digère cette discussion pour le moins déroutante. Au bout d'un moment, je me lève et prends la direction de la porte. Lorsque je  tourne la poignée de la porte, avant de sortir j'ai juste le temps d'entendre quelques mots de plus.

— J'ai le nez pour déceler le potentiel chez les gens...

A Lightning ChristmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant