CHAPITRE 84

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— Tu sais, tu es vraiment mignonne.

Romain sourit l'air de rien et reporte son attention sur la route. Je ne réponds pas à son compliment, me contentant de sourire doucement. Je n'ai pas envie de parler. Pas que je sois malpolie, juste que je n'arrive pas à ouvrir la bouché pour dire quelque chose.

Tout mon être m'empêche de parler, comme si je me rechargeais et que la station Chloé était en veille. Romain et moi terminons dans une boulangerie non loin, et déjeunons sur place. Il me parle de je ne sais trop quoi exactement, mais mon cerveau me passe en boucle un disque rayé : je suis amoureuse de Derek.

Cette pensée me donne le cafard. J'ai envie de me réfugier dans mon lit, sous mes couvertures. Le truc c'est qu'il faudra que je le brûle avant et m'en trouve un autre. J'avais une règle un peu loufoque toutes ces années : je ne couche pas chez moi.

Dans ma tête, je ne l'aurais fait chez moi que si je vivais avec cette personne et que nous étions très engagés l'un envers l'autre. Justement pour éviter ce genre de désagrément et être hantée par des souvenirs.

— Quelque chose ne va pas ? Me demande Romain avec inquiétude.

— Non. C'est juste de la fatigue.

Derek a contaminé mon lit, je veux m'en débarrasser comme si cette simple idée allait tout arranger. D'un côté, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, après tout je me suis jetée à l'eau en me disant que ce ne devait arriver qu'une fois.

De l'autre côté également, pour avoir gravement manqué de jugeote. Je n'aurais pas dû écouter cette petite voix dans ma tête. Je n'avais pas besoin d'une charge mentale supplémentaire en ce moment.

J'ai suffisamment de quoi faire avec tout le reste, et effectivement j'ai grand besoin de mettre de l'ordre dans ma vie. Je ne m'en rendais pas tellement compte, mais j'étais à bout. A la limite du burn-out à toujours privilégier le travail.

Je prenais mes congés toujours pour une courte durée, et en fonction de mes dossiers. Je ne prenais jamais d'arrêts maladie, même si j'avais la crève intersidérale. Je ne mangeais, buvais, dormais que travail.

La seule raison qui fasse que je sois aussi mince est le fait que je mangeais mal jusqu'à présent. Toujours des repas rapides, inconsistants et parfois même je sautais quelques repas. J'avais peur des remarques de Morticia.

J'avais peur de Morticia tout court pour être honnête, comme tout le monde au bureau. Je me demande si je n'étais pas tout ce temps plongée dans une dépression sans le réaliser. Ce nouveau constat me donne encore plus le cafard.

L'autre personne qui me donne le cafard vient tout juste de s'arrêter au feu tricolore, devant la boulangerie, et regarde dans ma direction. Je ne vois pas son visage avec son casque vissé sur sa tête, mais je le reconnaîtrais entre mille. Nous nous fixons du regard un long moment. Le feu passe finalement au vert et il démarre en trombe.

— Tu le connais ? Me demande Romain qui s'était tourné pour regarder dans la même direction que moi.

— Oui.

— Je vois.

Romain pose sa main sur la mienne et me regarde dans les yeux. Il sourit légèrement mi amusé mi résigné. Je le regarde en fronçant légèrement les sourcils, intriguée par le fait qu'il quémande mon attention.

— Je suppose qu'il ne sert à rien que je te propose de dîner ou déjeuner après les fêtes, je me trompe ? Je dis ça parce que je pars en métropole passer les fêtes en famille demain.

Suis-je aussi transparente ? Je souris tristement.

— Le jour où je t'ai rencontré, tu étais exactement le genre de type qui me plaisait et avec lequel j'aurais aimé sortir...

J'hésite et Romain sourit toujours mais cette fois de dépit.

— Je comprends. Ça fait partie du jeu après tout, on ne peut pas gagner à tous les coups.

Quel gâchis ! Romain est comme ces petits choux à la crème pâtissière : esthétiquement parfaits et à n'en pas douter délicieux. Nous nous ressemblons beaucoup lui et moi physiquement : blonds, de grands yeux bleus.

Nous serions parfaitement assortis. Un peu comme Barbie et Ken, mais dans la vraie vie. Si seulement j'avais eu le coup de foudre pour Romain, le zing au premier regard à la Dracula d'hôtel Transylvanie.

Je suis une rabat-joie et je l'assume totalement. Je n'ai pas envie d'une histoire compliquée pleine d'imprévus. J'ai horreur des imprévus ! Je veux une histoire d'amour plan plan à souhait, qui ne me mette pas le cerveau à l'envers comme le fait Derek.

La totale ! Les fleurs, les balades romantiques au bord de l'océan, les sorties nocturnes en amoureux jusqu'au bout de la nuit... je veux tout ça. Je veux qu'il me regarde avec des yeux de merlan frit, persuadé que je suis la huitième merveille du monde.

Et rien de moins non de dieu, mais je dois me résoudre à l'idée que tout ça n'existe pas. Non. Moi j'ai droit à des Derek qui fuient au petit matin à l'instar des voleurs. De retour au bureau, Romain et moi squattons la machine à café en se racontant des anecdotes de bureau.

Je m'amuse bien en sa compagnie, il est agréable et a beaucoup d'humour. Je suis dépitée que ce ne soit pas lui qui m'ait ravi mon cœur. Non, mon coeur lui choisit les horribles fouines bondissantes comme Draco Malfoy dans Harry Potter.

Derek a tout du parfait serpentard : rusé,  perfide, machiavélique, lâche, lâche et surtout lâche... j'espère qu'il ne se montrera plus de la journée. Je n'ai aucune envie de le voir d'ici à ce que la journée se termine.

A Lightning ChristmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant