Chapitre 70

946 90 4
                                    


Lili (Dimanche 16 juin 2024)

Si j'avais eu le temps, c'est par aller à la salle que j'aurais commencé ma journée. Mais au lieu de frapper dans un sac pour évacuer ma colère, je tapote le volant de Mathieu, la lèvre pincée entre mes dents, et je doute pas que la première voiture qu'essaie de me doubler par la droite va se prendre un commentaire salé.

J'aurais voulu emmener Michka, ou Enzo avec moi, mais y en a aucun des deux qui mérite de commencer sa journée d'aujourd'hui par une bonne heure de Lili en colère. Personne mérite ça en fait, juste moi.

Comment j'ai pu être lâche comme ça ? Ça me dépasse, pire, ça me dégoûte. J'ai envie de me frapper, mais je pense honnêtement que ce serait contre-productif. Y a six personnes dans ma vie qui méritent tout le bonheur du monde, au moins tout le bonheur que je peux leur donner. Parmi ces six personnes, deux n'étaient absolument au courant de rien, et les quatre autres, je les ai laissées tomber sans me retourner.

- C'est bien que t'avoues être une merde, Louis lâche, le regard posé sur les gouttes de pluie qui dégoulinent de l'autre côté de la fenêtre.

- Toi ta gueule, je grogne. De toutes les journées de l'année, ferme ta gueule aujourd'hui au moins, j'ai autre chose à faire que d'écouter la merde qui sort de ta bouche.

Il ne disparaît pas pour autant du siège passager. De toute manière, ça n'a jamais fonctionné comme ça. Probablement parce qu'il ne suffisait pas non plus que je réponde au vrai Louis pour qu'il me laisse tranquille. Mon cerveau a toujours aimé le réalisme. Ironiquement.

Mais il se tait. C'est déjà mieux que rien.

Adeline, Enzo, Michka, Mathieu. Je suis partie sans prévenir. J'ai pas juste quitté Enna, ou quitté Paris, ou quitté le 92, non. J'ai pas hésité une seule seconde quand Rita a parlé de son shooting à Rouen.

Qui a dit que j'étais courageuse ? Parce qu'apparemment la personne en question n'a pas lu toute l'histoire. J'ai jamais fait autre chose que fuir. Alors oui, peut-être que quand je décide temporairement de rester quelque part, j'ai l'air courageuse sur le moment, parce que j'ai une grande gueule, que je sais me battre, que j'ai pas vraiment peur du regard des autres ou de dire ce que je pense. Mais tout ça, ça s'arrête toujours à un moment, et je finis par faire la chose la plus lâche dont je me sais capable : peu importe ce que je laisse derrière moi, je fuis.

J'ai fui mon premier orphelinat, parce que tout le monde me traitait de menteuse quand je parlais de ce que j'étais la seule à voir.

J'ai fui mon deuxième orphelinat, parce que j'avais peur de l'adoption.

Puis j'ai fui ma première famille d'accueil, celle de Louis.

Ce jour-là, j'ai scellé une habitude qui m'a suivie toutes les années d'après.

J'ai fui le centre, la première fois, quand Alex et Ben n'étaient pas encore là, parce que j'avais peur de ce qu'Adeline représentait déjà à mes yeux.

J'ai fui ma deuxième famille d'accueil, celle de Dao, parce que cette fois, j'avais du mal à croire en ce que j'avais avec mon père, avec mon frère.

J'ai fui le centre, une deuxième fois, quand j'ai réalisé que je ne trouverais probablement jamais mieux qu'Alex et Ben.

Puis j'ai fui quand ils ont disparu.

J'en parle pas assez. Je le sais. Tout le monde connaît leurs prénoms, quelques trucs sur eux vite fait, mais ça s'arrête là, j'en parle jamais plus que ça. À part pour Adeline et Romy, je suis sûre que tous les autres n'ont qu'une vague représentation en tête des deux personnes qui ont le plus compté dans ma vie.

Nexus · PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant