Chapitre 72

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Lili

J'ai pas réussi à obtenir mieux que le bruit des oiseaux par la fenêtre entrouverte. Ou le clignotement régulier de la petite lumière du détecteur incendie. J'ai pas réussi à obtenir mieux. Il ne se passe rien. Ça fait des semaines que je maîtrise une nouvelle compétence, non voulue.

J'arrive à pointer le vide du doigt.

Si je ne parle pas, y a pas de bruit. Si j'allume pas la télé, y aura rien d'autre sous mes yeux que les meubles du salon. 34, j'ai compté les jours. Ça fait 34 jours qu'ils ont disparu. Si y a pas Louis, je suis toute seule, le truc normal pour 99% des gens qui vivent sur Terre.

Pas pour moi. J'aime pas le silence. Aujourd'hui, je donnerais tout pour qu'Alex me rabâche que c'est lui qui a gagné le concours d'avions en papier en 2016, alors que jusque-là j'étais la championne incontestée. Ou pour que Ben me lâche pas jusqu'à ce que j'ai été réveiller Mathieu pour lui dire que je me sens seule.

Sauf qu'ils sont pas là, et que je commence à oublier leurs visages.

Cette fois, les larmes s'échappent trop vite pour que je puisse les retenir, et je remplace le silence du salon par mes reniflements. C'était déjà suffisamment compliqué de savoir qu'il n'y a pas un endroit sur Terre où ils vivent encore, maintenant, ils ne vivent même plus dans ma tête.

L'idée m'envahit en même temps que le sanglot suivant.

Mais la réaliser, c'est bien plus dur que de disputer une dizaine de matchs de boxe à la suite, ou que de renvoyer chier la personne qui me parle avec un ton qui me plaît pas, c'est bien plus dur que de jouer à Maëlle.

Ça me fait peur. Je sais ce qu'il aime chez moi. Je sais de qui il est tombé amoureux. De Maëlle qui lui tient tête. Ou de Maëlle qui se laisse pas faire. Pas de Maëlle qui vient le réveiller en pleurant parce qu'elle se sent seule au salon. Y a peut-être maximum 15 mètres à parcourir, mais ça ressemble plus à 6 marathons dans ma tête. Pour ne pas être sûre d'être capable de le réveiller une fois près du lit.

Une rangée de larmes supplémentaires vient caresser les sillons des précédentes. Parce que je sais pertinemment que c'est ce dont Mathieu a envie, que je le laisse tout voir. Mais si c'était si facile, je l'aurais déjà fait, je me serais pas levée du lit, j'aurais juste été me coller à son dos tout à l'heure.

Je peux pas rester là. Je peux pas attendre qu'il se lève. Je veux surtout pas qu'il comprenne tout à l'heure en voyant mes yeux rouges que j'ai pas eu ce qu'il fallait pour venir le chercher. Il va avoir mal encore, apparemment je sais faire que ça.

Pour l'instant.

J'ai peut-être pas le courage qu'il faut pour aller le réveiller, mais j'ai accumulé assez depuis tout à l'heure pour attraper mon téléphone, et appeler. Ça sonne de l'autre côté, une fois, deux fois, trois fois.

- Lili ? Dao lâche. Mimi va bien, j'te jure que j'ai pas fait de dinguerie, il dort et tout.

- Ça va pas, je chuchote, la voix qui tremble. Dao, c'est dur d'aller le réveiller.

Il me répond pas tout de suite, je l'entends refermer une porte derrière lui, puis le bruit du canapé qui s'affaisse.

- T'appelles parce que t'as envie d'y aller Lili, il lâche calmement. T'sais qu'il a fait la même la première fois ?

- De quoi ? Je fronce les sourcils.

- Il va me tuer de te l'avoir dit, je le vois presque faire son sourire sadique de l'autre côté du téléphone. À Barcelone. S'il t'a réveillée après son cauchemar, pour venir dormir avec toi, c'est parce que je l'avais eu au téléphone juste avant. Il flippait sa race.

Nexus · PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant