Chapitre 80

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Lili

Je ferme les yeux, les poings serrés dans les manches de mon pull, quand je passe la grille, et que le bruit des graviers sous mes pieds remplace ses commentaires dans ma tête. C'est la seule barrière qu'il me reste encore, la grille du cimetière.

- Maëlle ? J'essuie mes joues d'un geste de la main quand George, que je n'avais pas remarqué jusque-là, remonte la petite allée perpendiculaire à la mienne, son râteau à la main. Ça faisait un peu dis donc que je t'avais pas vue, il me sourit doucement quand je me hisse sur la pointe des pieds pour déposer un bisou sur sa joue. T'as pas froid comme ça, sans manteau ? Il jette un oeil au ciel au-dessus de nous, qui lâche une fine pluie depuis quelques minutes.

- Ça va, t'inquiète pas, je joue du bout des dents avec ma lèvre, histoire de retenir mes larmes.

Pendant quelques secondes, il me détaille, et je vois bien les rides autour de ses yeux se plisser.

- D'accord, il hoche quand même la tête. Si t'as besoin de quoi que ce soit, je suis pas loin.

Il a toujours su quel jour on était. Le genre de jour où j'avais plus besoin de parler à un humain qu'à du marbre, ou le genre de jour où la pierre, c'est mieux. J'aurais aimé avoir autre chose que de la pierre, j'aurais aimé entendre les commentaires habituels d'Alex, insupportables, et les anecdotes de Ben, mais à la place j'ai du silence depuis des mois. Silence que Louis s'amuse à remplir à leur place.

Je sais même pas vraiment quoi dire quand j'arrive devant leurs tombes. Sur celle d'Alex, comme sur celles de Ben, les bouquets de petites fleurs roses de Mila me rappellent que si j'avais voulu, j'aurais pu venir hier. Pour pas être toute seule. Mais je suis toute seule, et je sais pas quoi dire, donc je m'assois juste sur le banc.

En fait, je sais quoi dire. Je l'ai juste pas encore dit à voix haute une seule fois depuis une semaine.

- J'ai pas envie, les larmes me montent aux yeux quand je m'imagine devenir maman à nouveau, sans eux cette fois, ni d'une manière, ni d'une autre. Vous pouvez pas revenir ? Ma voix craque.

Et j'ai espéré, j'ai vraiment espéré fort qu'en revenant ici, ça déclenche quelque chose, que ça répare ces dernières semaines. Sauf que le silence ne bouge pas d'un millimètre, je le sens presque peser sur mes épaules.

Je ferme les yeux, et c'est tout ce qu'il faut à la scène de ce matin pour venir tourner dans ma tête. Encore. Au moins, comme ça, ça a fait taire mes doutes. Y a pas un détail de perdu : ni la manière dont ils étaient assis tous les deux derrière les platines, ni leurs intonations, ni la lumière qui pénétrait par la baie vitrée, ni la question de Zeu, ni sa réponse à lui.

"C'est quand que je deviens parrain frère ?"

Regard de côté de la part de Mathieu, avant qu'il ne fronce les sourcils.

"Raconte pas de la merde. C'est mort, je m'en sors déjà pas avec En'."

- Tu t'attendais à quoi ? Mon coeur finit de se briser définitivement quand Louis s'assoit sur le banc à côté de moi, les mains dans les poches de sa parka. Il a déjà fait l'erreur de sa vie avec Michka, t'as vraiment cru qu'il sourirait comme un con en te faisant tourner dans les airs en apprenant que t'étais enceinte ? Il ricane. T'es vraiment trop conne.

La tête enfouie entre mes genoux, je sens l'humidité de mes larmes se propager à travers le tissu de mon jean.

- T'as tout ce qu'il faut, Louis s'appuie contre le dossier, faisant grincer le bois au passage. Comme à l'ancienne. T'en prends 4. Ou 5. Ça fera tout disparaître.

Y a pas moyen de passer à côté. Nichée dans la poche centrale de mon pull, la boîte de comprimée s'enfonce contre mon estomac. C'est qu'une question d'heures avant qu'Adeline remarque qu'il en manque une dans l'armoire de son bureau. Après, ce sera qu'une question de secondes avant qu'elle se rappelle que je suis passée la voir le matin même.

- Plus tu le fais vite, plus vite on sera débarrassés, Louis lâche, quand je fais glisser mon pouce le long du couvercle en plastique.

Je ferme les yeux. J'ai jamais eu le courage de regarder de toute manière. Je sens juste le premier tomber dans le creux de ma main, puis le deuxième, puis le troisième et les quatrième, en même temps.

Le silence retombe.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 23 ⏰

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