Chapitre 41

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Mathieu (Mercredi 29 novembre 2023 - Varsovie)

Je sais comment ça va finir. Et en vrai ça me fout le seum, on va pas se mentir. Je viens de saluer le public une dernière fois, à Varsovie, chez oim, chez mon grand-père, j'ai sauté comme un taré avec Moctar sur le bord de la scène, alors que ça faisait des mois qu'on avait pas fait ça en profitant réellement, mais je sais comment la soirée va finir.

Je vais pas avoir envie de quitter l'hôtel, je vais rester à regarder la ville par la fenêtre comme hier soir, les gars vont sortir sans moi.

J'ai bien vu leurs gueules quand ils ont voulu sortir bouffer hier soir, et que je leur ai dit que moi nan, j'ai rien raté : leurs sourires désolés, le soufflement de Zeu, le regard compréhensif d'Antoine, et la façon dont Moctar a reposé sa sacoche sur son lit en annonçant qu'il allait rester avec oim.

Et il l'a fait. Les gars sont sortis, il a retiré ses chaussures, elles ont fini à l'autre bout de la pièce, et il a allumé la télé comme si de rien était. Comme on a toujours fait. Il a pas cherché à me parler, de toute manière il sait parfaitement ce qui va pas, il a juste lancé Netflix en me laissant regarder la neige tomber de l'autre côté de la fenêtre.

En voyant les toits se recouvrir de blanc, j'aurais pu me dire qu'on aurait pu sortir et aller se promener dans un parc pour en profiter, mais nan. Moi je voulais qu'une chose : tenir Lili dans mes bras, ses boucles rousses emprisonnées sous un bonnet, pendant qu'on regarde Michka s'amuser avec Enzo dans la neige.

C'est violent à quel point je suis conscient de la suite, de ce que je vais être capable de faire dans les prochaines années, et ce qui ne sera absolument plus possible. Parce que je sais d'avance que je m'imposerai pas ça une deuxième fois. J'ai kiffé toutes les villes qu'on a faites, j'ai kiffé voir les gens kiffer, mais si je le refais un jour, ce sera en étant sûre que ma famille peut me suivre sur au moins la moitié des dates. Bats les couilles si faut tout poser sur des week-ends, je le ferais.

Zeu trouve que je suis faible, trop canard, qu'on dirait Nek. Très sincèrement, je l'emmerde. J'échange la vie que j'ai maintenant avec celle que j'avais avant de rencontrer Lili pour rien au monde, peu importe la douleur, la peur, ou le manque, je m'en bats les couilles. Je suis pas faible de pas pouvoir passer mon temps loin d'elle, loin de Michka, loin d'Enzo, j'ai juste réalisé que c'était plus ce que je voulais. Ça m'allait quand j'étais seul, ça me correspond plus maintenant.

J'ai changé, je suis pas devenu faible. Lili a tout changé, tellement que j'arrive pas à tout imaginer, à tout me représenter dans mon crâne. Pourquoi je l'aurais mariée si j'avais pas genre envie de vivre chaque journée avec elle ? Parce que j'ai salement envie, ça me troue le cul, je commence à enrager en voyant tous les trucs que les autres font avec elle sur Paname, je voudrais être là aussi. Je suis pas jaloux, ça me soulage plus que tout de la voir sourire sur les photos, avec mon fils, avec En', mais je voudrais juste être là pour voir son sourire en vrai. Ou pour prendre la photo.

Je veux faire ce que j'aime, mais à condition de l'avoir près de moi. Et le rap ne rend pas obligatoires les concerts à l'autre bout du monde en pleine semaine. J'avais juste pas envisagé en validant les plannings, que je finirais au fond du trou à saouler tout le monde autour de moi à force de tirer la gueule. Les gens rigolent pour l'instant quand je plaisante au sujet du garage, le truc c'est qu'au fond, je plaisante qu'à moitié.

Je crois que je kifferais.

- On sort bouffer ? Zeu s'allume une clope, avec le briquet qu'Aladin lui tend. J'crève la dalle, c'est un truc de dingue.

Nexus · PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant