Nexus · PLK

Chapitre 16

Moctar

Deux heures qu'Aladin gratte comme un fou à côté de moi, deux heures. Je le vois attraper une page blanche, la noircir en 10 minutes, et l'empiler sur celles qu'il a déjà utilisées. Depuis tout à l'heure, il a peut-être juste fait une pause de 5 minutes même pas pour aller se faire un café.

Sale veinard.

Perso, mes feuilles sont blanches. Et je sais que vu l'heure, vu mon mood, elles le resteront. Y a rien qui sort. Ou plutôt, y des trucs qui voudraient sortir, sauf que je suis pas con, je sais qu'il faut que ça reste enfermé dans mon crâne, pas à la vue de tous sur un bout de papier, encore moins dans un son.

C'est quoi le que-tru que je m'interdis le plus ? Mentir. Est-ce que je me débrouille plutôt bien depuis ma naissance ? Ça va. Je kiffe savoir que les gens me font confiance, je kiffe savoir qu'ils peuvent le faire. Y a rien de mieux que quand ton reuf ou ta reuss vient vers toi pour te confier un truc, sans même hésiter ou te demander de pas répéter. Y a rien de mieux que quand on me demande mon avis, sans me demander mon avis "sincère", ils ont pas besoin de préciser, ils savent que je dirai juste la vérité.

Et contrairement à ce que tout le monde pense, l'omission en fait partie. Je fais partie de la team convaincue qu'omettre, c'est mentir. Tu peux pas omettre que t'as couché avec l'ex de ton reuf et te croire sincère. Tu peux pas omettre que t'as leak un truc, faire l'étonné quand tout le monde l'apprend, et te croire sincère. Tu peux pas omettre que t'as niqué la caisse d'un pote et te croire sincère.

C'est du mensonge, je sais même pas si c'est pas le pire truc.

Alors ouais, je vais nuancer ma réponse. C'est quoi le que-tru que je m'interdis le plus ? Mentir. Est-ce que je me débrouille plutôt bien depuis ma naissance ? Ça allait jusqu'à y a presque un an. Ça allait.

Autour de oim, tout le monde est précieux : Zeu, Aladin, ma petite sœur, ma daronne, mon daron, Antoine, Assaf, et j'en passe des tonnes. Notamment la personne la plus importante, même si je le dirais jamais à voix haute. Même s'il a fait v'la des dingueries depuis que je le connais, même si on n'a pas toujours été d'accord, y aura jamais plus précieux que ce que j'ai avec Mat'.

Bas les couilles de sonner fragile. Mon frère, c'est mon frère.

Je vois les gars en bas du bâtiment, s'appeler frère à chaque fin de phrase, même moi je le fais. Bah je sais que ça prend un sens différent quand c'est Mathieu que j'appelle comme ça. Parce qu'il l'est vraiment, c'est vraiment mon frère. Je le montre pas, mais je reste toujours bloqué quelques secondes quand Antonin se ramène avec sa pellicule d'un concert, et qu'on tombe sur une photo de nous deux, à se motiver avant de monter sur scène, à se féliciter à la fin, à rire ensemble dans les loges.

Je reste bloqué parce que ce qu'il y a entre nous, c'est si réel que ça transparaît en pixels.

C'est pour ça que ce que j'ai dans le crâne, je le garde pour moi, parce que je peux pas perdre ce que j'ai avec lui. On a toujours avancé ensemble, même pas je veux d'une vie sans mon reuf à côté de moi. La page restera blanche aujourd'hui, ça fera juste une journée de plus, c'est pas la fin du monde.

- Allez vas-y, Aladin me sort de mes pensées en se redressant de sa feuille, flemme de plus. Tu veux que j'aille nous chercher un que-tru à la supérette vite fait ?

J'ai pas le temps de répondre que la porte du studio s'ouvre derrière nous, laissant apparaître Mathieu, bob sur la tête, et un grand sourire aux lèvres.

- Ça sourit dur là, Aladin ricane. Y a quoi ?

- Michka il s'est assis frère, je peux pas m'empêcher de sourire en imaginant mon filleul regarder son daron, posé sur sa couche, sans comprendre pourquoi Mat' a l'air si fier. Putain, la vie de ma mère j'suis refait. Lili elle était au téléphone, moi je jouais avec sur le tapis et tout, et je lui ai tendu un jouet, frère il s'est assis avant de le prendre.