Nexus · PLK

Chapitre 39

Mathieu

J'ai été obligé d'installer une application juste pour ça, du coup je l'ai cachée dans un dossier, histoire que les gars tombent pas dessus. La dernière chose dont j'ai envie, c'est de me prendre des remarques pendant toute la durée de la tournée, qu'on me demande si ça va à chaque fois que je rentre dans une pièce, ou qu'on me lance des regards désolés comme si j'étais un putain de gosse abandonné.

Plutôt me tirer une balle.

Assis dans le hall vide de l'hôtel, plongé dans le noir, je suis en silence le dessin qui bouge sur l'écran de mon téléphone, en essayant de caler ma respiration dessus. Depuis que je suis parti, y a que ça qui fonctionne un peu. Vraiment juste un peu. Je sais que les gars ont déjà posé des questions à Antoine sur le fait que j'ai une chambre à moi alors que je suis seul sans Lili. Pourquoi je dors pas avec eux comme on faisait avant ? Pourquoi je reste pas à jouer à la console dans leur chambre jusqu'à 4h du matin vu que j'ai pas besoin de veiller sur ma femme et mon fils ?

En vrai, la réponse elle est salement simple : je peux pas dormir avec eux parce que je me réveille en sursaut toutes les 30 minutes à cause d'un cauchemar, et j'ai pas envie de m'enfiler des bières ou des canettes énergisantes devant la Play alors que Lili pourrait m'appeler à n'importe quel moment parce qu'elle a besoin de moi.

Le seul qui n'a pas posé de questions sur le fait que je fasse chambre à part, c'est Moctar. En fait, je vois mal comment il aurait pu poser même une seule question vu qu'il ouvre presque plus sa gueule, à part quand on est sur scène.

Je sais pas si c'est un truc que juste nous on peut comprendre, parce qu'on a l'habitude de faire des scènes, et en vérité je sais même pas si y a pas que moi qui le remarque, mais y a plus cette synchro entre lui et moi quand on saute comme des malades au bord de la scène. C'est toujours chaud, je vois bien que les gens kiffent leur vie devant nous, qu'ils bougent la tête, mais je suis presque sûr qu'Orm sent comme moi que ça pourrait être bien mieux, ça pourrait être comme d'habitude.

Il a toujours rien déballé à personne, et la vérité, c'est que je me sens coupable d'avoir laissé le truc traîner comme ça. Ça fait des mois qu'il va mal, je crie sur tous les toits que je le considère comme mon frère, pourtant j'ai été tellement pris par Lili, par Mimi, par Enzo, que j'ai même pas essayé de l'aider lui. J'ai genre aucune excuse, et ça me troue le cul parce que je sais même pas par où commencer pour m'excuser et pour qu'il finisse par me lâcher ce qui va pas.

Il est muet pire que Chaplin, et je sais que c'est pas juste avec moi. Y a aucun des gars qui a la moindre idée de ce qu'il se passe, il garde tout pour lui, et je suis pas con, je vois que ça continue à le miner même s'il s'est éloigné. Je suis proche de Zeu, d'Orm, mais les gens ont tendance à considérer au premier abord que ma relation avec les deux c'est la même, au même niveau.

Faut que je clarifie les choses en interne : c'est pas le cas. Zeu et moi, c'est plus fort qu'avec la plupart des reufs, mais ce sera jamais la même chose que Moctar, et tout le monde en est conscient autour de moi. Moctar, il a tout vu, il a tout entendu, il est toujours resté près de moi, on s'est jamais séparés. J'en veux pas à Zeu de s'être barré à l'étranger, mais ça a créé un sale vide, qu'Orm a su combler à lui tout seul.

Et la putain de douleur que son silence rajoute sur mes épaules, je sais pas si je suis capable de l'encaisser. Y a déjà le manque de Lili, de Mimi, d'Enzo qui me déchire salement, perdre mon frère à petit feu sans rien faire c'est juste la goutte d'eau qui est en train de faire déborder le vase.

Donc je suis là, tout seul en plein milieu de la nuit, à suivre un cercle grandir et rétrécir avec ma respiration, comme si j'étais un gourou de je sais pas quoi, on dirait Nek la vie de ma mère. Le truc, c'est qu'en vrai ça marche plutôt bien, au moins jusqu'à ce que la petite banquette s'affaisse à côté de moi, et que je sois à ça de frôler la crise cardiaque.