Chapitre 57

1K 92 5
                                    


Mathieu

Je peux pas réellement compter le nombre de bails que Lili a changés dans ma vie depuis qu'elle a débarqué ce jour-là à la salle de sport.

Insupportable. C'est le premier truc que j'ai pensé quand elle s'est mise à me répondre comme aucune meuf avait osé me répondre avant. Puis elle s'est barrée vers le parking, elle m'a pas cala plus que ça, ça a eu le don de me tendre juste un petit peu plus. J'ai nié archi longtemps ce qui s'est passé dans ma tête juste après : à quel point j'ai eu du mal à détacher mes yeux d'elle alors qu'elle s'éloignait sans même se retourner une seule seconde. Le contraste c'était choquant : petite, fine, une douceur de malade dessinée par les traits de son visage, un voix limpide, mais ça n'avait rien à voir avec la claque que je me suis prise après notre rencontre.

La voir s'éloigner sans se préoccuper de ce que je pouvais bien penser de l'échange qu'on venait d'avoir, c'était plus violent que tout le reste. Je l'ai descendue, comme tous les jours qui ont suivis jusqu'à ce que je me décide à prendre mes couilles, et ça n'a rien changé à son attitude : elle a disparu à travers les voitures sur le parking avec une démarche de reine, incassable, imperturbable, et avec une dose de respect pour elle-même qui dépassait et qui dépasse toujours l'entendement.

Peut-être même un peu trop fière parfois ma Lili. La pensée me fait sourire, et ça me donne ce qu'il faut pour pousser la grille. J'ai pas honte de le dire aujourd'hui, peut-être j'ai retrouvé mes couilles depuis, au moins avec elle, mais y a tellement de trucs qui imposent le respect chez elle, et qui m'inspirent depuis que je la connais, que j'ai pas eu le choix de changer, j'ai pas eu le choix de grandir.

Je veux la mériter, et elle et moi on fonctionne en mode duel perpétuel, sinon c'est pas drôle, alors je veux m'améliorer, juste pour que ça la pousse à s'améliorer aussi, et pareil dans le sens inverse. Ce truc-là, ça a mené progressivement à ce qu'une part de mes habitudes deviennent les siennes, et qu'une part des siennes deviennent les miennes.

J'avais juste pas encore fait ce que je m'apprête à faire là. Pourtant c'est bien la seule idée qui m'a fait me sentir relativement à l'aise, à peine les pieds posés sur le sol parisien, à la sortie du tour bus. Je peux pas rentrer à la maison comme ça, je suis pas con, je le sais. Si je rentre maintenant, que je me retrouve dans la même pièce qu'Enzo, ça va juste recommencer, et l'idée me saoule moins que ce que j'aurais pensé, parce qu'au moins j'en suis conscient.

Je sais que y a un blem quelque part, je sais juste pas où, et j'ai pas l'impression de pouvoir le trouver seul. Le que-tru, c'est que j'ai pas envie d'en parler non plus, c'est pas les commentaires et les engueulades avec Antoine ou avec les gars qui ont manqué pendant le début de la tournée. C'était quasi quotidien : une blague visée d'Orm, une remarque de Zeu, et les discussions à sens unique avec Anto pendant qu'on me préparait avant de monter sur scène, parce qu'au fond, y avait que lui qui avait envie d'ouvrir sa bouche. Pas moi.

À quel moment c'est censé me donner envie d'en parler à quelqu'un d'autre ?

Donc bah ça a empiré. Vu que je réagissais pas, j'ai finir par me prendre des commentaires du genre :

"En vrai, t'as l'air d'en avoir rien à foutre du tipeu."

"Si c'est pour t'en préoccuper si peu, renvoie-le à Clamart."

"Y a pas une émotion qui passe dans ton regard quand on parle de lui."

Fermez vos gueules.

C'est ce que j'avais envie de hurler dans les coulisses. Y a qu'elle qui aurait vu à travers, qui aurait pu calmer le jeu en captant que ma neutralité c'était qu'une façade. Y a que Lili pour ça, pour observer les gens si précisément qu'elle devine même les trucs les mieux cachés. Au moins quand elle veut le remarquer.

Nexus · PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant