Chapitre 59

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Mathieu

Je lâche l'écran de mon ordi des yeux qu'au moment où le poing de Zeu pousse mon crâne.

- J'capte pas pourquoi t'hésites, il jette un oeil au site internet, même si je traîne sur le même depuis des jours, qu'il a pas besoin de regarder pour savoir. T'as envie de leur faire la surprise, tu prends, y a aucun des trois qui viendra se plaindre.

C'était pas quelque chose que je captais avant. Ou alors je le captais juste en partie. Ça m'arrivait de croiser tel artiste à tel festival, artiste avec une femme, des gosses, et de le voir grave dans le mal avant de monter sur scène, parce qu'il était loin, parce que le manque ça lui tirait sévère sur le coeur. Perso, y a que deux personnes qui me manquaient à un niveau presque comparable, juste Mamie et Enzo. Et c'est toujours pas la même chose. En tout cas pour Mamie.

Là, honnêtement, je douille. Depuis la première date. Je pensais que ça allait se faire, une tournée, comme j'ai déjà fait l'été dernier, mais plusieurs semaines d'affilée, ça a rien à voir, je me suis fait des films. Y a pas de tempête rousse dans les coulisses à nous engueuler parce qu'il faut qu'on monte sur scène, qu'on est en retard, y a pas de tempête rousse non plus, assise sur sa chaise au bord de la scène pour m'observer mettre le feu sur scène, ni pour me caresser les cheveux au calme dans la loge après, ni pour glisser des photos de nous, de Mimi, d'Enzo, de Léna, de Babcia dans mes affaires pour que je tombe dessus par hasard. Lili est pas là, elle est pas là.

- Frère, ça change r, je souffle en m'appuyant contre le dossier de mon siège. Je dors pas dans ses bras ce soir, elle est pas à bouffer ses chips sur la banquette, Zeu wesh, je lève les yeux vers lui, je préférais même qu'elle soit assise sur les genoux de Moctar devant la télé.

- Oulah, j'entends des dingueries, Orm passe la porte de la chambre d'hôtel au même moment, trois bières à la main.

- Même pas j'rigole, je soupire en enfouissant ma main dans mes cheveux, la vie de oim. Tu me le laisses deux secondes ? Je tends mes doigts vers le pétard de Zeu.

Il s'étouffe avec sa fumée, Orm lâche son bigo à l'autre bout de la pièce.

- Frère nan, Moctar chope le pétard que Zeu me tendait déjà. T'as arrêté, tu reprends pas. C'est quoi ? Lili ? Il fronce les sourcils. Je l'appelle, je lui dis que tu fumes, frère tu te fais soulever, tu le sais.

Le pire c'est que je le sais, et que j'ai même pas envie de fumer. Pour elle, pour Michka, pour En', et pour oim. Ça apaiserait juste le bail quelques temps, je dis pas non.

- Il veut pas réserver son truc de darons là, Zeu pointe mon écran du doigt.

- Quel truc de darons ? Moctar se penche en rendant le joint à Zeu. Wesh. Center Park ?

Je lui ai pas dit, c'est le seul qui a pas vu. Je peux pas quand je fais des trucs comme ça. Il fait genre il a pas mal, mais je sais que c'est qu'une façade, et j'ai pas envie de lui afficher le bonheur que Lili m'apporte en pleine gueule.

- Tu veux ? Il se tourne vers moi.

J'ai pas pu me détacher de l'idée depuis que j'ai vu une publicité de merde au bord de la route l'autre jour. J'avais fini par me lasser de jouer au jeu de cuisine de Michka, j'avais la tête posée contre la vitre du tour bus, et mes yeux se sont accrochés tous seuls sur les deux tipeus qui souriaient méga fort sur la photo, avec les deux darons derrière eux, au calme je sais pas où.

Il s'est pas écoulé plus d'une demi-seconde avant que j'veuille la même avec Lili : passer du temps au calme avec elle, à regarder Michka et Enzo profiter tous les deux.

Nexus · PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant