Chapitre 3

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Je reste coite

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Je reste coite.

Même avec toute la bonne volonté du monde, il est purement et simplement impossible que la scène qui vient de se produire soit réelle.

Une cigarette ne s'embrase pas en quelques secondes.

Un corps humain ne résiste pas à l'assaut des flammes.

Une brise soudaine n'éteint pas un incendie non maîtrisé.

Mais l'effroi qui se lit sur les visages de Kilian et Nathan est véritable, et leur fuite inévitable.

Ils ont peur.

Peur de moi.

Et tout ce que je trouve à faire, c'est rentrer à la maison. Je n'ai personne à qui parler, et même si c'était le cas, je doute que quelqu'un me croie.

Le feu est puissant, dangereux, mortel, mais il a toujours une source. Et cette source ne peut être une adolescente de seize ans, paumée et passablement énervée, qui préfère ignorer ce qui vient de se passer parce qu'elle n'a pas d'explication rationnelle à y donner.

Lorsque j'arrive aux abords du manoir, je m'apaise un peu. Il n'y a qu'ici que la solitude vaut la peine d'être vécue. Les charpentes d'inspiration gothiques qui s'étendent de part et d'autre de la façade se mêlent naturellement à la pierre, achevant mon dépaysement. La vieille bâtisse est comme moi : décalée, éloignée, en marge de la société.

Malgré son aspect austère, elle a toujours conservé un côté atypique qui lui donne du charme, je trouve. Et elle est entourée de champs de blé, endroits particulièrement propices aux parties de cache-cache qu'organisait mon unique cousin, Simon.

C'est une réminiscence que je garde de lui parmi tant d'autres, effacées à mesure que je grandissais. À partir de mes neuf ans, ses boucles angéliques, ses traits fins, son teint blafard et ses yeux verts ont commencé à s'estomper de ma mémoire, chaque jour un peu plus. Il hantait les photos de famille et les avis de recherches dispersés un peu partout dans le pays, quand sa frêle silhouette de l'époque ne se dessinait pas à l'horizon d'un rêve à demi oublié.

Aujourd'hui, personne ne sait où il est, ni même s'il est encore en vie.

Rien.

Pas de corps, pas d'indice, juste le néant laissé là par un adolescent disparu.

Depuis, mon oncle et ma tante sont anéantis, c'est à peine s'ils sortent de chez eux. Simon était leur seul enfant. Ils n'ont jamais pu en faire le deuil, demeurant impuissants face à une lueur d'espoir qui ne s'éteindra jamais complètement. Simon fut pour eux une étincelle... une étincelle éphémère, aussitôt soufflée par la brise.

L'affaire a fini par devenir tabou dans ma famille, tout comme l'étrange départ de mon père, envolé dans la nature le jour de mes six ans sans qu'on n'en connaisse la raison. C'est à cette période, je crois, que Maman est devenue obnubilée par son travail, parfois au détriment de sa fille.

À de multiples reprises, j'ai dû m'occuper de la maisonnée durant plusieurs semaines, gérant factures, budget quasi inexistant et autres imprévus, sans parler des tâches ménagères. D'aussi loin que je m'en souvienne, je ne m'en suis jamais plainte, jugeant inutile de me brouiller avec ma mère pendant ses rares visites.

Pour elle non plus, la situation n'est pas facile. Elle restera à jamais dans cette ignorance, se demandant inlassablement si son conjoint l'a fuie ou s'il s'est juste éclipsé pour recommencer sa vie. Malgré tout, je suis certaine qu'ils se sont toujours aimés. Ce doit être pour ça qu'elle n'a jamais fréquenté d'autres hommes – pas à ma connaissance, du moins.

Quelles que soient ses motivations, je n'ai jamais compris pourquoi mon père est parti ce soir de juillet, dix ans auparavant, sans plus jamais donner signe de vie, anéantissant sa famille, sa femme, sa fille.

Généralement, je m'évertue à garder ces stigmates de mon passé enfouis au fond de moi, par peur de plonger dans un gouffre sans fin comme ma mère. J'ai parfois du mal à réaliser combien la vie peut se montrer cruelle envers nous. Certains cèdent à la fatalité, celle qui lie nos destinées. Pour moi, c'est autre chose. De bien plus profond, de bien plus intense.

Autre chose qui, j'en suis consciente, peut faire mon plus grand bonheur comme donner forme à mes démons les plus redoutables. Un chemin sinueux créant déboires, sourires ou mal-être, tout dépend de la direction choisie.

Je soupire. J'ai beau remuer mes poches, je ne parviens pas à mettre la main sur mes clés. Bon sang, ne me dites pas que je les ai laissées au bourg, lorsque j'étais encore avec Kilian et Nathan ?

Mon corps est parcouru de frissons rien qu'à l'idée de retourner là-bas.

Ladilis est un petit village, et même si je m'efforce de ne pas y penser, cet après-midi aura des conséquences.

Sur ma vie, sur ma scolarité au lycée, sur mes « amis », aussi.

Rien ne sera plus comme avant, et ma réalité est déjà bien assez difficile à supporter pour que je m'autorise à craindre l'avenir.

Qu'est-ce qui pourrait être pire que mon quotidien ?

Une expulsion ? Une arrestation ?

Quelqu'un se soucierait de moi, au moins.

Le trousseau tombe à mes pieds. J'ai flippé pour rien, on dirait.

En franchissant le seuil, je me promets de laisser mes démons dehors. L'enfer commencera demain, premier jour de la rentrée de janvier. En attendant, je compte bien profiter de ce purgatoire... aussi miteux soit-il.

Mais j'ai à peine le temps de me laisser choir sur le canapé que quelqu'un frappe à la porte. La police, sans doute. Ou Kilian et Nathan, rassurés et impatients de se venger.

Les coups retentissent à nouveau, plus forts cette fois. Je me lève, résignée.

Pas de purgatoire pour moi, finalement. 

Que risque Rubis ? 🥶

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Que risque Rubis ? 🥶

Et surtout, qui se trouve derrière la porte ? Vous auriez ouvert, vous ? 😏

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