ESMANTIUM

Chapitre 66

On pourrait dire que... je suis attirée par lui.

Un peu.

Je m'évertue à savoir pourquoi : peut-être parce que je me sens bien à ses côtés, ou à cause de l'aura de mystère qui règne perpétuellement autour de lui ?

J'ai beau n'avoir exploré qu'une infime partie de sa personnalité, j'ai l'impression de le connaître depuis des années.

C'est sans doute ça, être âmes sœurs. « Deux amants, attirés comme des aimants » ai-je lu au cours de mes recherches. C'est logique qu'amour et pouvoir soient liés. Qu'on le veuille ou non, ils font partie intégrante de notre vie de sorciers. Parfois, ils s'effacent davantage, mais ils restent toujours là, tapis dans l'ombre.

On aime comme on lance un sort, et l'amour est une forme de magie en soi.

Gauthier... je n'ai jamais été si fascinée par quelqu'un, son passé, ses sautes d'humeur à répétition et ses expressions si spéciales qui me font rire lorsque je m'y attends le moins.

J'y pense continuellement, et ma jalousie, mon affection ou ma colère peuvent se décupler en sa présence – ce qui, quand on y réfléchit, est plutôt inquiétant.

Après tout ce que j'ai pu lire ou entendre, une question demeure, connue de moi seule jusqu'à présent, mais soulevée par ma mère une heure plus tôt : que ressent-il, lui ?

Plus je me la pose, et plus je m'immerge dans cette spirale infernale qu'est le doute, celle qui se solde généralement par un échec à plus ou moins long terme. Mais tant que personne – lui en particulier – ne réalise la teneur de mes sentiments, je suis sauve. Je me dois de jouer l'indifférence, si je ne veux pas entacher notre amitié.

Tant pis, il va juste falloir m'y habituer. Ce n'est pas une stupide amourette d'adolescente qui va me faire perdre mon ami.

Faire preuve de détachement, ne pas lui sourire bêtement, ne pas me retrouver seule avec lui plus de dix minutes, ne pas rougir en sa présence et surtout, ne pas le toucher.

D'accord, c'est mission impossible. Je vais pourtant être obligée de m'y tenir, si je ne veux pas tout gâcher.

Je prends une grande inspiration. Maintenant que je suis au clair avec moi-même, je me sens plus légère. J'aurais dû y réfléchir sérieusement il y a longtemps déjà, ça m'aurait évité tous ces tourments. Gauthier me connaît, à présent : il se doute probablement de quelque chose...

Je me lève, résignée. Pas la peine de fabuler sur le sujet. J'y ai passé assez de temps pour ce soir, et j'ai d'autres problèmes qui requièrent mon attention – tenter de savoir ce qu'Aaron manigance, par exemple.

Tout ça, ça commence à faire beaucoup.

💎💎💎

Comme le Diamant me l'a appris l'autre jour, j'utilise ma gemme et me focalise sur le cristal pour retourner à Talesia. Il est plus de 23h.

J'ai dépassé le couvre-feu – encore.

Alix dort déjà, mais elle a laissé un petit mot à mon attention sur le lit.

« Toujours avec lui ? A. »

Charmant. Si même elle l'a remarqué, ça signifie que tous mes amis sont au courant. Quelle abrutie je fais, parfois !

En me voyant secouer la tête, Céleste pose une patte sur mon avant-bras pour me calmer. Lorsque je me mets sous la couette et éteins la lumière, ses yeux luisent dans la pénombre.

Ils ont un effet soporifique sur moi : je m'endors dans les secondes qui suivent.

💎💎💎

Même si elle l'a fait pour m'éviter une insomnie, j'ai du mal à digérer son coup de la veille lorsque j'achève de me réveiller. Je préfère un T-shirt et un gilet aux gros pulls que je porte d'habitude, ravie que le temps soit au rendez-vous pour cette nouvelle journée printanière.

Alix dort toujours – quelle marmotte, celle-là ! C'est le cas de toute la bande, d'ailleurs. Il est tôt, et ça m'arrange. Je vais sûrement réussir à éviter Gauthier.

Eh non, je n'ai pas oublié mes résolutions de la nuit dernière !

Après être passée à la cafétéria pour avaler deux tartines de pain beurre, j'entre dans la bibliothèque dans l'espoir de réviser les Sciences Occultes. Je me replonge dans la formule de la projection, élément essentiel de mon exposé avec Aloïs. Ça fait plusieurs jours que je m'entraîne dans les jardins de Talesia, et je n'y suis encore jamais parvenue. Ça s'annonce mal pour notre oral !

J'entame une nouvelle tentative pile au moment où Aaron franchit la porte d'entrée. Que vient-il faire à la BU aussi tôt ? Je le connais suffisamment pour savoir qu'il n'est pas un adepte des révisions de dernière minute.

Suspicieuse, je profite qu'il ne m'ait pas encore remarquée pour l'observer, plus par curiosité que par peur réelle. Il passe à quelques mètres de moi seulement et s'arrête un peu plus loin, devant une étagère contenant des livres anciens. Machinalement, il consulte un ouvrage visiblement très épais. Très vieux, aussi. Je le repère pour le regarder plus tard. Il le feuillette pendant plusieurs minutes et ressort, un sourire satisfait collé aux lèvres.

Après avoir vérifié que je suis toujours seule, je m'avance vers ladite étagère et lâche un juron en découvrant le titre de l'ouvrage : Âmes sœurs complémentaires : le lien.

Une note est rédigée dans le paratexte, spécifiant :

« Après la Cérémonie du lien, les partenaires peuvent ressentir des douleurs, autant physiques que psychiques, pouvant même entraîner la mort de l'une des âmes sœurs, voire des deux. Il s'agit du principe de complémentarité, dû à la récente liaison entre leurs deux croissants de lune. »

Je referme l'ouvrage, de plus en plus intriguée. Pourquoi Aaron cherchait-il cette information ? Ce n'est pas pour sa culture personnelle. Je le connais assez pour m'attendre à ce qu'il veuille se servir de ce fameux lien chez ses prochaines victimes, à savoir... des âmes sœurs.

— Tiens, je crois qu'on a eu la même idée !

Qui a eu la même idée que Rubis ? 

Que pensez-vous des conclusions qu'elle a tirées par rapport à Gauthier ? 🥰