ESMANTIUM

Chapitre 108

Plume pourpre, plume pourpre,

Sous un masque de désir,

Les quelques spinelles éclatés.

Ce qui me choque en premier, c'est sa pâleur.

Son visage tout entier aspire à une blancheur absolue, ne laissant que peu de place au rose de ses joues. Ses yeux, marqués par le vice et la perversion, sont aussi noirs que du charbon. Ils s'embrasent un instant, comme s'ils lisaient à travers mon âme.

Malgré l'obscurité ambiante, une cicatrice luit sur son front. Elle paraît vieille de plusieurs années. Mais ce qui me surprend vraiment chez cet individu, ce sont les rides au coin de ses yeux, celles qui se mêlent à sa jeunesse éclatante.

Il ne dépasse pas la trentaine, c'est sûr. Pourtant, il semble très âgé : ses mèches grisonnantes contrastent avec ses cheveux châtains.

Pendant que je l'observe, à la fois décontenancée et intriguée, lui me tourne autour jusqu'à ce que, brutalement, il s'empare de mes mains et les tire en arrière. Un cliquetis métallique se fait entendre : je suis menottée.

— Qu'est-ce que vous...

L'Ombre pose un doigt sur mes lèvres pour m'interrompre. Loin d'être intimidée, je le mords et détale à toute vitesse, les prenant de court, elle et Aaron.

Mais une fraction de seconde plus tard, elle se matérialise face à moi, me forçant à m'arrêter.

— Je te reconnais bien là, Rubis. Toujours aussi intrépide.

« Intrépide. Rapide comme un lapin. L'avantage quand on est petit, c'est qu'on peut se faufiler partout. »

Des bribes de souvenirs me reviennent en mémoire, au moment où l'évidence m'apparaît enfin. Cette familiarité détectée dans ma lettre de menace, ce matin, et ces paroles...

Aussi immonde, aussi répugnant soit-il, ce type ne m'est pas inconnu. Et il se joue de mon ignorance à travers son petit air machiavélique. Il en jubile, même.

J'abandonne rapidement l'idée de lui cracher au visage et m'efforce plutôt de me débarrasser des morceaux de ferraille qui enserrent mes poignets. Je me concentre sur leur contact avec le métal, prononçant mentalement une formule de fusion. L'objectif est de faire fondre le fermoir, sans dissoudre un de mes doigts par la même occasion.

Ce sort est très complexe à réaliser, encore plus par pensée. Lors de mes séances d'entraînement, je m'y suis essayée à plusieurs reprises, obtenant des résultats relativement concluants à chaque tentative.

Mais cette fois-ci, rien ne se produit.

Rien.

Je ne sens même pas un petit flux de magie passer entre mes mains ! Mes pouvoirs sont comme... emprisonnés.

— Ce n'est pas la peine d'user de tes futiles sortilèges, Rubis, un maléfice t'empêche d'en lancer. Je te relâcherai si tu écoutes ce que j'ai à te dire.

— Et si tu réponds en conséquence, bien sûr, complète Aaron, ficelant ainsi un numéro bien rodé.

Je les fusille du regard. S'ils croient que je vais exécuter leurs moindres désirs sans rechigner, ils se trompent lourdement.

— Je suis Nomis. Membre, fondateur et actuel dirigeant de la Confrérie des Ombres.

— Ça fait un peu beaucoup, pour une seule et même personne. Vous ne trouvez pas ?

Comme je peux seulement parler, l'ironie est le seul moyen pour moi de lui montrer que ses tergiversations ne m'impressionnent pas.

Aaron, qui se tient à ma gauche pour m'empêcher de fuir, serre les poings. J'ai du mal à comprendre son geste, alors je fais mine de n'avoir rien remarqué.

Mieux vaut éviter de m'attirer des ennuis supplémentaires.

— Tu devrais prendre mes paroles au sérieux, jeune fille. C'est dans ton intérêt de coopérer.

— Si je ne vous effraie pas, je ne vois pas pourquoi vous ressentez le besoin de rendre ma magie inactive.

— Considère ça comme une simple mesure de sécurité. Même si tu essayais, tu ne ferais pas le poids face à une Ombre.

C'est surtout que sans magie, je suis incapable de fuir ! Pourquoi ne joue-t-il pas franc jeu avec moi, s'il croit détenir l'avantage ?

— Qu'est-ce que vous voulez ?

— Que tu nous guides jusqu'à l'Esmantium.

— Vous pensez vraiment que je vais obtempérer ? Excusez-moi, mais je ne suis certainement pas du même acabit que votre larbin, en ce qui concerne la servitude.

— Tu es venue jusqu'ici, pourtant.

— Ça ne signifie rien.

— Tout comme le fait d'avoir menti à tes amis, je présume.

Ma mâchoire se serre d'elle-même. Comme tout le monde, je n'aime pas que l'on me rappelle mes erreurs, encore moins lorsqu'elles sont récentes.

— Maintenant, tu vas m'écouter. Pas juste m'entendre comme tu as l'habitude de le faire. Tu es guide, que tu le veuilles ou non. Sers-toi de tes pouvoirs, de tes proches, de n'importe qui ou n'importe quoi pour trouver l'emplacement des trois autres stèles. Le reste, je m'en occupe.

— Et si je refuse ?

— C'est simple : tu pourras dire au revoir à ta mère et à tes proches.

Un détail m'interpelle. Mentionner uniquement ma mère en supposant que je n'ai pas de père n'est pas à la portée du premier venu.

C'est bien la preuve que Nomis me connaît.

— Pourquoi n'évoquez-vous que ma mère ? J'ai un père, aussi.

Il ricane et m'observe d'un air dédaigneux, comme si j'étais la fille la plus stupide qu'il lui ait été donné de voir.

— Toi comme moi savons que ce lâche a disparu depuis bien longtemps déjà.

— C'est bien ça ! Nous avons un lien qui date d'avant mon entrée à Talesia, tous les deux !

— N'entrons pas dans des détails, Rubis, nous ne sommes pas à une réunion de famille.

Est-ce qu'il vient d'insinuer que nous sommes du même sang ? Mes pieds reculent d'eux-mêmes tandis qu'un coin de ma tête commence à faire le rapprochement entre ce monstre et moi. Non, c'est impossible.

C'est tout bonnement impossible.

Face à mon mutisme, Nomis lance un énigmatique :

— Tu es plus rusée qu'il y a quelques années, non ? À toi d'en tirer les conclusions.

Je vois beaucoup d'hypothèses passer autour de Nomis et d'Aaron. Ce chapitre a-t-il étayé l'une de vos théories ? 🤔

Et le père de Rubis, alors ? A-t-il quelque chose à voir avec tout ça ?