Chapitre 56

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Sans me voir, le mage noir se dirige vers l'enfant

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Sans me voir, le mage noir se dirige vers l'enfant.

Ça n'a aucun sens, mais le Aaron qui se présente face à moi est adulte, auréolé de ses cheveux bronze et des filaments gris qui éclairent ses pupilles.

Si on suit la logique de cette vision, il devrait être petit, lui aussi : n'a-t-il pas le même âge que Gauthier ?

Pourtant, rien ne semble le lier à son ami, et aucune trace d'humanité ne transparaît dans ses yeux vitreux.

Il lui crie dessus dans un brouhaha parfaitement incompréhensible, avant de lui lancer un sortilège de magie noire. Une novice telle que moi peut le deviner rien qu'aux étincelles et à la fumée noire qui émanent du feu entourant le jeune garçon.

Ses hurlements me tirent les larmes des yeux, mais je demeure impuissante face à cette situation aussi atroce qu'incompréhensible. Pourquoi Aaron chercherait-il à nuire à Gauthier ? À Gauthier enfant, en plus ! Est-ce que mon ami est conscient de ce que lui a fait subir son acolyte ?

J'ai beau le repousser pour éteindre les flammes envahissantes, toutes mes tentatives se soldent par un échec cuisant, et ma vue commence déjà à se brouiller.

Sans que je m'en rende compte, une théorie des plus farfelues s'immisce dans mes pensées. Gauthier m'a bien parlé d'un gamin que lui et son comparse auraient terrorisé jusqu'à rendre fou. Lui-même n'aurait-il pas fait les frais de cet odieux stratagème, quand il n'était encore qu'un bambin ? Mais alors, pourquoi le Aaron de ma vision est-il un jeune homme ? Aurait-il trouvé un moyen de rester figé dans le temps ? Serait-il plus monstrueux encore que ce qu'il prétend être ?

Je n'en ai aucune idée. Mon unique certitude, c'est qu'il est le seul à pouvoir m'éclairer.

Avant de disparaître, j'aperçois enfin la figure de l'enfant. Ses petites joues candides et ses grands yeux gris se confondent avec un noir de jais que je ne connais que trop bien...

La vision s'estompe sans que je puisse en apprendre davantage, me laissant avec deux questions plus pressantes que les précédentes : pourquoi Aaron a-t-il fait irruption dans la chambre d'un petit Gauthier terrorisé ? Cette scène est-elle bien réelle, ou purement imaginaire ?

J'ai beau tenter d'y trouver du sens, j'ai conscience que je n'ai pas toutes les clés en main pour la comprendre.

L'instant d'après, je me retrouve face à ce même visage, marqué par sept années de souffrances supplémentaires. Le regard du sorcier retrouve sa couleur d'origine, me laissant perplexe après ce à quoi je viens d'assister.

— Comment... comment tu as fait ça ?

— Secret de magicien ! élude-t-il, intrigué par ma réaction. Et toi, qu'est-ce que tu as vu ?

— Ça, c'est à toi de me le dire, rétorqué-je, ne sachant définitivement pas quoi en penser.

Remarque à laquelle il répond par un rictus désapprobateur. Nous restons plusieurs secondes comme ça, à nous défier du regard. C'est à celui dont la flamme ne vacillera pas, n'osant se dévoiler pleinement à l'autre, celui qui pourra le dénigrer sur les stigmates de son passé.

C'est là, je crois, que je comprends qui est réellement Gauthier.

Au premier abord, on peut le trouver froid, voire distant, mais comme tout le monde, il possède un cœur. Un cœur caché sous des couches de ressentiments qui s'accumulent avec le temps. Et qu'il se sente meurtri, blessé ou aimé, jamais il ne se détachera de ses piliers, même s'il doit les trahir, ou pire.

Il est constitué de limbes énigmatiques dans lesquels règnent des ombres inconnues, plongées dans une infinie mer de pureté et de grandeur, celle où nagent les petits garçons rêveurs. Et plus je m'en éloigne, plus je perçois les mille et un reflets de diamants qui gravitent autour de lui.

— Ça ne va pas, Rubis ? Tu as vu une Ombre, ou quoi ?

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Tes yeux se sont voilés, on dirait que tu n'es plus toi-même.

— Ce n'est qu'un mystère. Demain, un autre verra le jour et de nouvelles interrogations suivront, faisant disparaître les méandres de l'humanité le temps d'un sourire, médité-je, plus pour moi-même que pour lui.

— C'est... cette vision qui te fait délirer.

— Il faut croire que j'ai un bon partenaire.

Il ne dit rien. Il n'y a rien à dire.

Assis l'un face à l'autre sur la stèle, nous n'avons rien à dire.

Nous restons là à nous dévisager, gênés, mais l'air faussement désinvolte, tentant de percer ce secret non dévoilé. Nous devons juste laisser le temps s'écouler, profiter de ce répit qui nous est accordé.

Juste un instant, pour mieux percevoir le présent.

Dix ou vingt secondes qui comptent, minuscules particules à l'échelle temporelle.

Un silence.

Puis, le bruissement des cils sur les paupières. Est-ce les siennes, les miennes ?

À qui donc appartient ce sourire ? À je, à il, à nous ?

Unique vestige de ce moment, ce souvenir bientôt s'embellit. Il n'arrivera jamais à égaler le charme du passé – du présent. Rien n'est plus magique que le temps. Ce frisson grisant de liberté, poignet contre poignet, de l'échine de nos dos jusqu'aux pointes de nos cheveux. Enivrante sensation qu'est le néant, cette dimension parallèle où l'on bascule de l'avant à l'après, ne se souciant que d'un seul être, celui qui nous permet de voyager.

— Je...

— Chut.

Et, mue par un quelconque instinct, je ferme les yeux et fais défiler les jours, les semaines, les mois, les saisons. Le froid hivernal et la chaleur estivale se complètent et fusionnent tels deux amants, hégémonie d'une symbiose entre deux êtres étroitement liés.

L'heure est déjà au futur. Il passe, il ne sera bientôt plus qu'un nouveau souvenir déformé et rêvé à souhait, sortilège irréel entre un avant, un maintenant, et un après.

On cligne des yeux, on s'efforce de démêler le vrai du faux.

Soudain, l'illumination.

Gauthier se redresse. Moi aussi, sans doute. L'électricité qui planait au-dessus de nos corps se dissipe, nous forçant à quitter nos enveloppes spirituelles pour regagner la réalité, celle de deux adolescents brisés, confrontés aux secrets de l'autre.

Une étincelle traverse son regard, subtil éclair, infime particule de lumière, détail diffus dans la nuit étoilée.

— Toi, tu as une idée, murmuré-je du bout des lèvres.

— Toi, tu as une idée, murmuré-je du bout des lèvres

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Quel est votre ressenti sur ce chapitre ? 

Les visions de Rubis ne sont pas nécessairement calquées sur la réalité, mais elles font ressortir des thèmes, des images, des mots qu'il ne tient qu'à elle d'éclairer. 🔦

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