ESMANTIUM

Chapitre 12

— Maintenant ?

Tout ça va un peu trop vite pour moi.

— C'est préférable, oui. Plus tôt tu y seras, et plus tôt tu t'y intégreras.

— Mais... et ma vie ? Le lycée, ma mère... Je ne peux pas tout quitter comme ça, juste parce qu'un chat à moitié flippant me l'y autorise – sans offense, bien sûr.

Pas comme mon père...

— Je comprends. Il te faut du temps pour te décider.

— Ce n'est pas ça ! Rien ne sera pire que ma vie ici, c'est certain, mais ça ne veut pas dire que je peux laisser Maman pourrir à Ladilis. Elle n'a que moi...

— C'est tout à fait normal, je t'assure. Si ta famille reste ta priorité, je suis sûre que l'administration de Talesia pourra faire quelques concessions pour que ton admission là-bas ne bouscule pas tes habitudes.

— Et pour la Rubis lycéenne, que fait-on ? Je ne peux décemment pas arrêter les cours comme ça, du jour au lendemain...

— Dès lors qu'un étudiant intègre le campus, la faculté prend tout en charge : ce n'est pas un misérable transfert de dossier qui va l'inquiéter.

Malgré ses arguments, la féline ne m'a pas totalement convaincue. Je veux me laisser tenter par ses paroles, bien sûr, mais la réalité nous paraît toujours plus belle dans les yeux d'un autre, sans compter que je ne peux pas prendre une telle décision sans réflexion.

— Talesia sera toujours là pour toi, mon enfant. Dans une heure, deux jours, une semaine... Si jamais tu en ressens le besoin, il te suffit de te focaliser intensément sur l'université pour y atterrir.

Je rêve, ou elle vient de me parler de téléportation ? Comme si tout ce qu'elle m'avait dit auparavant n'était pas déjà assez délirant...

— Au plaisir de te revoir. Repose-toi bien.

Je n'ai même pas le temps de lui dire « au revoir », encore moins « adieu ».

Elle s'est volatilisée, comme par magie ! Qu'elle retourne à son Tale-machin-truc toute seule ! Je n'ai pas de regrets à avoir, même si la vérité, la seule, c'est que je suis trop effrayée pour céder à la tentation.

Des illusions, j'en ai eu tellement ces dernières années... Trop pour me risquer à réitérer l'expérience. Avec Kilian et Nathan, je sais à quoi m'attendre, au moins. Ils ont beau être exécrables, ils répètent toujours le même schéma lorsqu'ils s'attaquent à quelqu'un. Je suis bien placée pour le savoir...

💎💎💎

Il est plus que temps de retourner en cours.

Ce n'est pas dans mes habitudes de sécher, mais les événements des derniers jours méritaient bien un peu de repos, non ? Une bonne grippe en plein mois de janvier, c'est assez crédible pour qu'on me laisse tranquille... à moins que le lycée n'en ait rien à cirer.

Oui, c'est sûrement ça. Qui pourrait bien se soucier de l'existence de la petite Rubis Brightwood, mis à part un chat complètement psychopathe qui l'espionne en permanence ?

J'ai eu beau l'ignorer, la féline ne m'a plus lâchée du regard après notre discussion. Elle fait pression sur moi.

Le pire, c'est que sa présence me rassure. Gauthier ne s'est plus introduit dans ma maison depuis cette fameuse visite, et Nathan et Kilian ne m'ont toujours pas dénoncée à la police.

Attention : je la tolère, certes, mais de là à lui donner des croquettes... il ne faut pas abuser, non plus ! Je ne sais pas comment interpréter sa présence ici. Peut-être que je deviens folle, tout simplement ?

— Regardez qui voilà ! Ce ne serait pas notre ordinateur sur pattes préféré ?

— T'es sûr, Kilian ? Moi qui croyais que Rubis était morte...

— Archi sûr, wesh ! T'inquiète, ça n'aurait pas été une grande perte.

Et c'est reparti pour un tour... C'est sans doute cruel de ma part, mais j'espère que quelqu'un va vite mettre Kilian et Nathan en colère pour qu'ils se trouvent un autre bouc émissaire. Je n'aurai pas le courage de tenir bien longtemps, à ce rythme-là...

Non ! C'est trop facile ! Je ne vais pas me laisser faire et écouter leurs âneries jusqu'à ne plus pouvoir retenir mes larmes. D'une manière ou d'une autre, il faut qu'ils me laissent tranquille.

— Eh, Nathan ! Va voir ailleurs si j'y suis, OK ? Je sais que tu m'aimes bien, mais ça tourne à l'obsession, là !

Des étincelles de rage scintillent dans ses yeux lorsqu'il s'avance vers moi. Qu'est-ce qu'il compte faire ? Me frapper ? Ça m'étonnerait : le bureau du CPE n'est pas très loin et s'il lui prend l'envie d'aller se chercher un café en salle des profs, le rouquin est complètement grillé.

— Viens, Kiki, finit-il par déclarer en serrant et desserrant les poings tel un automate. On se tire. Cette folle devrait rester seule avec ses bouquins et ses dictionnaires. Je vois même pas pourquoi on perd notre temps avec elle.

Sous les regards ahuris des élèves présents dans le couloir, le duo s'éloigne en direction des escaliers, plus énervé que jamais.

Ce n'est que partie remise, je le sais bien, mais c'est une victoire et j'en suis fière.

Il y a quelques jours, j'aurais été totalement incapable de répondre à leurs remarques mesquines : je les aurais ignorées, me persuadant bêtement d'avoir encore inventé toute cette histoire.

L'agitation n'a pas fait qu'attirer les curieux. Monsieur Reicot, mon prof de physique-chimie, a aussi assisté à la scène.

— Ça va, Rubis ?

Je ne lui offre qu'un sourire contrit en retour.

— Je comprends.

Ces deux petits mots devraient me remonter le moral, mais curieusement, ils ne me font aucun effet. Je continue mon chemin, sans m'attarder sur cet élan d'affection purement hypocrite.

— Au fait, ajoute-t-il après m'avoir rattrapée, n'oublie pas de me transmettre ton devoir maison. J'ai été tolérant avec toi pour cette fois. Essaie de ne plus me donner ton travail en retard, d'accord ?

Quel enfoiré ! À choisir, je préfère un enseignant qui m'ignore royalement plutôt qu'un abruti comme lui qui se donne bonne conscience en compatissant faussement au malheur de ses élèves. Ce n'est pas comme si j'étais la dernière à lui rendre ma copie, non plus !

Rubis aurait peut-être dû suivre la féline, finalement... Et vous ? Vous suivez toujours des cours ? Quelle était votre matière préférée, à l'école ?  📚