ESMANTIUM

Chapitre 34

Tenebrosus ?

C'est quoi, ce nom ? J'y réfléchis une seconde avant de me tourner vers mon acolyte, engagé dans un débat houleux avec la barmaid. Le reste du restaurant tend l'oreille pour les écouter, en vain.

Au bout de plusieurs minutes, la conversation semble prendre de l'ampleur, émoustillant les pirates qui commençaient à s'impatienter.

Gauthier n'est pas un inconnu ici, et nul doute que s'il était auparavant apprécié, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Je perçois soudain une bribe de la discussion :

— Juste une dernière livraison !

Propos à la suite desquels la femme paraît d'abord terrorisée, puis plus apaisée lorsqu'elle reprend ses esprits et s'écrie :

— Plus de ça maintenant, pas chez moi !

Haussant le ton lui aussi, le Diamant lui répond par un ricanement pestiféré qui fait froid dans le dos, me prouvant une fois de plus à quel point il lui est facile de remettre son masque.

Est-ce parce qu'il se sent faible à visage découvert ?

— Tu ne vas quand même pas prendre le risque de le décevoir ? la menace-t-il, furieux.

— Je n'ai pas à écouter tes menaces. Tu ne lui es plus asservi, à ce que je sache.

Asservi ? Comment un individu aussi imbu de lui-même tel que Gauthier pourrait-il avoir des comptes à rendre à quelqu'un ?

— Ça ne change rien. Il déteste qu'on lui désobéisse, toi-même le sais plus que quiconque, Alicia.

Cette remarque a un impact sidérant sur ladite Alicia. Son irritation passagère cède la place à une colère noire qui laisse transparaître les traits d'une femme meurtrie.

— Sors de mon bar.

— Non.

— Tout de suite.

Bien que la gérante affiche un air déterminé, je ne doute pas une seconde de la persévérance du sorcier : lui non plus ne renoncera pas.

Par peur de me retrouver coincée au milieu d'une bagarre que nous perdrions à coup sûr, j'agrippe son poignet avant qu'il soit trop tard. Mieux vaut anticiper ses gestes, parfois.

Par mégarde, mon croissant de lune effleure le sien et je suis submergée d'une colère intense, meurtrière. Cette Alicia n'est pas la seule rancunière de la salle...

À côté de moi, les traits de Gauthier se décrispent. Il s'adoucit, comme si j'avais absorbé toutes ses mauvaises ondes...

Je vois la vague noire approcher, se déverser dans tout mon corps. L'eau remonte jusqu'à ma nuque, prête à s'écouler. Je serre les dents, empêchant les flots de poursuivre leur course folle.

— C'est elle ?

— Ouais, j'crois bien que c'est elle. T'as vu comment...

— ÇA SUFFIT !

Le cri franchit mes lèvres, inondant la pièce d'un torrent d'échos tous plus forts les uns que les autres.

Méprisante.

Malpropre.

Horrifiante.

Le mot de trop, la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Les vitres se brisent en mille morceaux. Dans leur sillage, une poussière de verre d'une étincelante agressivité se disperse dans la brume.

Des bruits similaires se font entendre, sans que je puisse déterminer d'où ils viennent exactement. Je suis aveuglée par l'épais brouillard qui recouvre la pièce. Le froid me gagne peu à peu et je ne tarde pas à comprendre pourquoi mes vêtements sont imbibés d'alcool.

Cette fois-ci, c'était plus qu'un simple échange d'électricité statique. Ce contact, qui n'a pourtant duré que quelques secondes, a littéralement fait tout exploser.

Les clients du pub nous regardent l'un et l'autre, incrédules. Certains se sont enfuis, à en juger par le remplissage du bar avant et après l'accident.

Gauthier ne semble même pas étonné. Il affiche toujours son habituel sourire confiant. Je l'imite, plus pour me donner une contenance que par réel soutien.

De son côté, Alicia revient rapidement sur ses paroles, comme si elle nous... craignait ?

— Tu as peut-être changé de camp, sale Tenebrosus, mais ton mode opératoire est toujours le même. Ce qui m'intrigue, c'est plutôt ta partenaire. Rubis Brightwood, c'est ça ?

Je jette un coup d'œil interrogatif au Diamant, ne sachant trop comment me comporter avec cette femme qui le menaçait encore il y a quelques secondes. Elle observe notre échange silencieux et laisse échapper un ricanement à peine plus terrifiant que son apparence :

— Si tu veux mon avis, princesse, tu ne devrais pas te fier à son côté prince charmant. Dans le coin, les gens le décrivent comme impulsif, borné et ambitieux.

Et lunatique, j'ajoute mentalement, tandis que le concerné lui offre son plus grand sourire en lui glissant une poignée de joyaux dans la main :

— Une table pour deux, c'est possible ?

— Mais bien évidemment, grince-t-elle entre ses dents.

Quelle situation déroutante ! À croire que les sautes d'humeur à répétition sont un trait commun aux sorciers...

Elle marche à travers la salle jusqu'à arriver à une petite table – un tonneau percé, plutôt –, zigzaguant avec grâce parmi les éclats de verre.

C'est loin d'être mon cas. Je manque à plusieurs reprises de m'étaler sur le sol, et ne comptez pas sur Gauthier pour me rattraper. Il est trop occupé à choisir notre table, comme si notre emplacement dans le bar relevait d'une importance capitale.

— Ici, ça ira ?

— C'est parfait.

Rubis a fait sensation ! Comment interprétez-vous son cri de colère ?

Vous croyez que Gauthier va lui expliquer les raisons de l'animosité des clients du bar à son égard ? 🤔

– 👍

– 👎

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