Les Appartements sont encore déserts à 20h, puisque la plupart des étudiants sont regroupés au réfectoire. Je profite de l'occasion pour permettre à Gauthier de découvrir ma chambre.
— Prête, partenaire ?
— Toujours ! m'exclamé-je en dévalant les escaliers.
Il sourit, son regard s'attardant un peu plus que nécessaire sur ma silhouette ; je ne peux m'empêcher de rougir.
— Tu vas flanquer une insomnie à plus d'un, à Ladilis.
— Arrête ! On sera paumés en pleine campagne... aucun risque de croiser qui que ce soit.
— Même, ça te va bien. Madame Dishau est vraiment de bon conseil.
Eh ! Depuis quand il pique mes expressions ?
— Merci.
Mes joues s'enflamment à nouveau. En relevant la tête, mes yeux croisent les siens en un regard à la fois gêné et complice. Il se racle la gorge avant de déclarer :
— On devrait y aller.
Je lui tends mon poignet au-dessus du feu qu'il a improvisé. Le cristal que j'ai posé à l'entrée de la maison me permet de revenir quand bon me semble – j'y suis liée –, mais ce n'est pas le cas du Diamant. Pour qu'il puisse se téléporter, il doit mélanger son sang au mien.
Après avoir entaillé nos bras, nous nous tenons la main. La chaleur qui passe entre nos deux corps me liquéfie presque, tant elle est intense.
Chaque contact entre lui et moi relève de son lot d'incongruités, c'en est déroutant.
En une demi-seconde, nous sommes arrivés sur le seuil de ma maison. Instinctivement, je jette un coup d'œil à l'allée.
Vide, constaté-je.
— Elle n'est pas là...
— Entrons quand même, on ne sait jamais.
— Attends, j'ai quelque chose pour toi.
Sans lui laisser le temps de répondre, je farfouille dans mon sac à la recherche d'un objet qui m'a déjà sauvé la vie – les pieds, plutôt – à de multiples reprises.
— Nous avons peut-être des pouvoirs, mais lorsque nous sommes blessés, nous restons de simples humains, expliqué-je en lui tendant un pansement.
— Merci, Rubis. C'est gentil d'y avoir pensé.
— Si ça peut t'éviter d'utiliser la magie noire pour soigner ton bras, c'est tant mieux. Je sais que tu ne l'aurais pas fait pour arrêter un simple saignement, cela dit.
— Tu as raison. Même en cas de blessure sérieuse, il vaut parfois mieux oublier sa condition de sorcier... au risque d'en payer le prix une fois rétabli.
Surprise par ses propos, je me concentre sur les clés. Comme je ne me souviens plus où je les ai laissées la dernière fois, j'ai un mal fou à les trouver.
Bizarrerie typique de Rubis : changer systématiquement de cachette pour éviter les cambriolages. Autrement dit, l'un des nombreux effets de ma paranoïa vis-à-vis de tout ce qui a trait au monde extérieur.
En se retenant d'éclater de rire, Gauthier m'observe explorer les environs – paillasson, pot de fleurs, tout y passe –, avant de soulever une latte à moitié moisie de la terrasse. Le précieux trousseau y est soigneusement entreposé, quoiqu'un peu rouillé par l'humidité.
En ouvrant la porte, je culpabilise presque d'être partie de la maison. J'ai l'impression d'entrer chez moi comme une voleuse, une inconnue, une étrangère.
Je me demande si c'est ce que ressent ma mère à chaque fois qu'elle revient après plusieurs semaines d'absence. En quelques jours, rien ou presque n'a changé : certaines jardinières ont repris vie, le vieux téléphone est toujours aussi poussiéreux... Seule la cheminée ne délivre pas sa chaleur habituelle.
— On reviendra une autre fois pour voir si elle est là, me console Gauthier.
Je hoche la tête, cachant tant bien que mal ma déception. Même si je m'y attendais, trouver la maison vide à mon retour m'attriste, comme à chaque fois.
Quand j'arrive dans le salon, mes yeux se posent sur un post-it qui traîne sur la table basse :
« Rubis,
Ton nouveau portable est dans la boîte aux lettres. J'avais oublié de valider la commande, voilà pourquoi tu ne le reçois que maintenant.
Maman. »
Les larmes sont prêtes à couler le long de mes joues et mes yeux déjà humides n'arrivent plus à toutes les retenir. Ma mère semble si... détachée.
Elle n'était pas comme ça, avant que je m'inscrive à Talesia.
Je ne sais pas ce qui a changé, mais c'est comme si elle ne voulait plus me prêter attention, comme si je n'en valais tout simplement pas la peine. Plus le temps passe, et plus elle fait abstraction de moi ; je deviendrai bientôt invisible à ses yeux.
Gauthier, qui s'est tenu en retrait pendant que j'étudiais le mot, me conseille d'une voix douce :
— Garder contact avec ses proches, ça n'est pas toujours évident dans de telles circonstances. Mais si c'est ce que tu souhaites, il faut que tu lui envoies un message, ne serait-ce que pour la prévenir de ta venue. Ranime un peu la maison, aussi. On voit bien qu'elle n'est plus habitée, même si tu y passes de temps en temps. Elle n'y a peut-être pas fait attention jusqu'à présent, mais la prochaine fois...
Il s'arrête un instant face à mon air démotivé.
— Et ne me dis pas que c'est impossible. On a la nuit devant nous !
J'approuve d'un signe de tête, plus pour lui faire plaisir qu'autre chose. Je n'ose pas lui avouer la vraie raison de mon tourment. J'ai bien quelques hypothèses, mais elles sont toutes complètement absurdes.
Et puis, il n'y a pas de quoi pleurer : Maman a toujours travaillé dur pour combler le départ de Papa et le gouffre financier qui s'en est suivi. Je ne peux pas lui en vouloir, ce serait égoïste de ma part.
Je prends quelques secondes pour mettre de l'ordre dans mes pensées. Mon père nous a déjà abandonnées... je ne vais pas lui faire ça à nouveau.
— Ce que j'ai du mal à comprendre, c'est pourquoi elle ne s'inquiète pas davantage si elle sent que quelque chose ne va pas. Elle est de plus en plus distante, et ça, ce n'est pas normal.
Que répondez-vous aux questions de Rubis ?
Le comportement de sa mère devrait l'inquiéter, vous croyez ?
– Oui ! 🥲
– Non... 🥰
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ESMANTIUM
FantasySeule. Rejetée. Incomprise. Rubis n'a plus rien à espérer, mais une pierre précieuse va tout changer. *** Quand Rubis Brightwood, adolescente tourmentée et asociale, décide de se rebeller, son quotidien de lycéenne devient un enfer. Élève indésirab...