Chapitre 15

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Diane attendait le soir avec une impatience grandissante, qu'elle cacha tant bien que mal, ne voulant pas attirer d'autres questions de la bande. Une impatience mêlée d'un certain stress.

Mais son attente devait durer encore un peu une fois le soir tombé, car elle voulait attendre que tout le monde soit monté et que la salle commune soit vide pour retourner à la salle de danse. Elle s'était installée dans un fauteuil et lisait, surveillant du coin de l'œil les allées et venues des derniers. Mais elle s'endormit et se réveilla en sursaut dans la salle vide, où il faisait maintenant froid.

Elle était perdue, ne savait plus où elle était ni ce qu'elle faisait dans la salle commune. Ce ne fut qu'une fois dans les escaliers qu'elle se souvint, et elle redescendit prestement. L'image de la salle de danse s'imposa à son esprit, comment avait-elle pu oublier ?

Diane avait le sentiment d'un rendez-vous avec son passé, avec une ancienne partie d'elle-même et son cœur cognait furieusement dans sa poitrine alors qu'elle marchait dans la nuit. Elle ne comprenait pas totalement cette exigence qui l'avait poussé à vouloir se rendre la bas à tout prix, ne savait plus en quoi c'était si important.

Mais elle continua, elle tenta de se rassurer. Ce n'était qu'une salle, dans laquelle elle n'avait jamais dansé. Elle n'allait pas lui tomber sur la tête.

Elle mit la main dans la poche de sa veste, et sentit sous ses doigts le métal froid de la clé. Elle réitérait ainsi un geste qu'elle faisait régulièrement depuis qu'elle l'avait récupéré. Son contact lui insufflait le courage qui lui manquait.

Elle avait pris la direction du bois, de façon consciente cette fois ci. Elle était maintenant parfaitement éveillée, tous ses sens étaient en alerte. Elle avait l'impression de ressentir le moindre souffle de vent, la moindre aspérité du chemin.

Chemin qui lui parut à la fois très court et très long. Le temps s'était dilaté. La nuit devant elle semblait infinie.

Enfin, elle parvint à la salle de danse. Elle se força à se calmer, et introduisit la clé dans la serrure. Elle dut s'y reprendre à 2 fois, sa main tremblait et elle n'y voyait rien. Elle n'avait pas pensé à prendre son portable pour éclairer.

Elle réussit finalement à ouvrir la porte, qu'elle poussa dans un grincement digne des mauvais films.

Diane y pénétra religieusement.

L'odeur fut la première chose qu'elle remarqua. Cette odeur si particulière de camphre et de bois, mélangé ici à l'humidité et à la poussière. La salle était restée longtemps vide, mais cette odeur que Diane qualifiait en son for intérieur d'odeur de danse était restée.

La lune, pleine cette nuit-là éclairait la pièce d'une lumière blanche, blafarde et dessinait un halo de lumière laiteuse dans le centre.

Diane embrassa la salle du regard. Elle se sentait presque déçue, s'attendait à quelque chose de fantastique, un évènement soudain. Elle se sentit vide, vidée de tant d'espoir et d'attentes, pour rien finalement. Juste une banale salle de danse. Les miroirs, les barres, tout lui rappela des souvenirs cependant, et des flashs lui revinrent.

Elle avance craintivement dans la salle. Cela l'intimide. Tout lui parait si grand, tellement nouveau. Des filles sont regroupées au centre, elle hésite à s'approcher d'elles. Elle se retourne vers son père, cherche un visage rassurant. Il lui fait un signe de tête, et son habituel sourire qui l'encourage, qui lui dit d'oser. Elle rajuste son tutu, auquel elle n'est pas habituée, de ses petites mains maladroites, et avance. C'est son premier cours de danse, elle a 4 ans.

Ce cours était gravé dans sa mémoire. Son père était resté toute la séance, elle avait fait tellement d'efforts pour lui, pour le voir sourire. Ils étaient ensuite repartis, main dans la main, et il lui avait dit combien il était fier d'elle.

Diane revint au présent, et s'approcha des barres. Posa ses mains sur le bois. Elle prit une grande inspiration, ferma les yeux. Les exercices, longuement répétés étaient toujours présent dans un coin de sa mémoire, ils revinrent à présent, comme attirés par cette disposition si particulière.

Elle a 14 ans, et n'a jamais cessé de danser. Aujourd'hui, elle est à fond, elle évacue la pression. Sa jambe monte toujours plus haut, elle contrôle le moindre mouvement de ses doigts. Comme souvent, elle pense qu'elle est un robot, et que comme les automates, les gestes sont automatiques, et qu'ils doivent être parfaits. Cela marche souvent, mais pas ce jour-là. Elle transcende cette idée, parvient l'espace d'un instant, à capter l'essence même du mouvement. Cela se voit. Sa prof la remarque, pour la première fois s'adresse à elle, pour un compliment. Un simple « c'est ça Diane ». Mais qui la remplit de bonheur. Et qui ouvre la voie à de nombreux autres.

Diane reprit, des années après cet exercice, dont elle se souvint encore parfaitement. Elle exécuta les gestes lentement, loin du rythme frénétique habituel. Elle laissa son corps reprendre doucement ses marques.

Elle n'eut pas besoin de musique, les comptes, indications résonnaient encore dans sa tête, la voix de sa professeure continuant de la hanter.

Elle termina l'exercice, légèrement transpirante malgré tout. Ota son sweat, et alla s'asseoir dans le rond de lumière que formait la lune. Elle contempla la lune à travers les hautes vitres. Elle resta longtemps figée, les jambes croisées. Un long dialogue silencieux avec elle-même. Dont la conclusion s'imposa. Elle ne peut arrêter la danse. Le virus l'a repris, elle ne comprend même plus comment elle a pu arrêter. Elle sait que ce n'est plus possible. La danse est son oxygène.

Pas de deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant