Chapitre 36

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Diane resta saisie, incapable de faire un geste. Comme anesthésiée. L'apparition du jeune homme avait été brève, et son esprit ne parvenait toujours pas à assimiler sa présence. Nathanaël Kingsley avait été là, dans le studio, dans cet espace qu'elle s'était appropriée, doucement, depuis la rentrée.

Elle avait la désagréable sensation d'avoir été prise en flagrant délit. Et au-delà de cette idée, c'était le sentiment de violation de son intimité qui dominait. Elle se sentait mise à nue, complètement exposée et vulnérable.

Elle savait au fond d'elle-même qu'elle n'avait aucun droit d'éprouver ces sentiments. Elle n'avait aucune légitimité à être ici. Elle était finalement mise face à la responsabilité de ses actes. Jusque-là, le fait d'aller danser au studio, même à des heures indues ne répondait seulement qu'à son exigence personnelle. Maintenant, cela s'inscrivait dans un cadre plus large, celui scolaire du lycée. Elle prenait conscience des implications de sa présence en ces lieux.

Cependant, elle ressentait au plus profond de son être que sa présence n'était pas mal. Cela lui procurait trop de bien-être pour être mauvais. C'était en venant ici lorsqu'elle était énervée, qu'elle se sentait mal, qu'elle parvenait à retrouver sa sérénité. Venir danser était sa soupape de sécurité depuis longtemps. Et c'était devenu vital au Château. Sans la danse, elle aurait explosé.

De manière plus profonde, elle avait retrouvé une part d'elle-même, perdue depuis plus de deux ans, depuis la mort de son père.

Et Nate venait de tout détruire, une nouvelle fois. Au delà du maelström de pensées qui s'agitaient en elle, Diane sentait la colère monter en elle. Il avait découvert son jardin secret, ce qu'elle avait de plus précieux.

Il lui avait pris sa liberté de danser.

Le regard de Diane parcourut l'espace. Les barres fixes, qui se reflétaient dans les miroirs. Les éclats des lumières sur les vitres. La jeune fille n'avait pas bougé, statue de cire dans la lueur des luminaires au plafond.

Son regard était un regard d'adieu. Elle gravait dans sa mémoire cet endroit, car elle ne pourrait plus y revenir. Une colère sourde montait en elle, remplaçant la tristesse initiale. Elle n'avait donc plus droit à rien, il devait tout lui prendre.

Elle rompit l'immobilisme qu'elle avait jusque-là gardé, et se dirigea à grands pas jusqu'au vestiaire. Elle enleva lentement son tutu, puis son justaucorps et ses collants, ses mains tremblantes de rage. Elle les remplaça par son jean et son sweat encore humide. Elle fourra ses affaires de danse, qu'elle avait jusque-là caché dans une vieille armoire, dans son sac. Elle le passa ensuite rageusement en bandoulière sur son épaule, et fit un dernier tour, veillant à éteindre toutes les lumières et le lecteur CD.

Elle sortit dans la nuit noire. La pluie n'avait pas cessé. Elle claqua furieusement la porte, fouilla sa poche pour trouver la clé qu'elle extirpa avec difficulté, avant de fermer la porte. Le bruit qu'elle fit en claquant la réveillant. Elle réalisa que plus jamais elle n'aurait besoin de la clé.

Le poing serré sur le petit objet métallique, les larmes emplirent ses yeux.

Elle aurait voulu jeter la clé le plus loin possible, s'en débarrasser pour ne plus jamais penser à la danse, pour ne plus jamais revenir en ce lieu. Les larmes roulaient à présent sur ses joues. Toutes ses tentatives pour danser de nouveau avaient échoué. Elle fut pourtant incapable de faire un geste. La clé resta enfermée entre ses doigts, tandis qu'elle se laissait glisser contre la porte, accablée. Des sanglots la secouaient régulièrement, qu'elle tentait sans grand succès de réprimer.

Un éclair la traversa soudain. Elle restait là, à maudire Nate. Mais lui, que faisait-il pendant ce temps ?

L'heure avancée de la nuit la rassura sur son futur immédiat. Elle n'avait rien fait de très grave, rien qui ne nécessitait d'aller interrompre le sommeil d'un pion ou d'un CPE.

Cependant, elle lui avait offert un moyen de pression énorme, des possibilités de vengeance inespérées. Elle le savait capable de l'utiliser contre elle. Elle était même sure qu'il allait le faire. Tout était trop calme depuis quelque temps, et elle venait une fois encore de le repousser. Il ne pouvait pas laisser passer cela.

Ces pensées la glacèrent, plus encore que la pluie qui tombait maintenant en gouttelettes fines.

Elle considéra l'idée de le prendre à revers, d'être plus rapide que lui. Mais elle était si fatiguée, tellement lasse de réfléchir ainsi en permanence. Elle voulait juste dormir.

Elle se redressa avec difficulté, les muscles endoloris, refroidis brusquement par la pluie et le froid de la nuit. Elle considéra une dernière fois le studio. Il avait constitué un refuge parfait pour les premiers mois. Elle devrait se contenter maintenant de son souvenir, pour affronter la suite.

Elle retourna vers le dortoir, lentement, et attentive à ce qui l'entourait. Une fois dans le bâtiment, elle se fit plus discrète encore, marchant le plus doucement possible.

En remontant, elle s'arrêta face à la porte du brun et colla son oreille à la porte, pour écouter. Il lui sembla entendre sa respiration, ce qui la rassura. Elle prit la direction de sa chambre, et s'écroula sur son lit.

Pourtant, allongé dans son lit, Nate ne dormait pas. Les évènements de la soirée tournoyaient dans son esprit, ne lui laissant aucun espoir de s'endormir. Diane le rejetant, la course à sa poursuite dans la forêt, Diane en train de faire de la danse. La silhouette gracieuse de la jeune fille tournoyant sur le parquet du studio tournait en boucle sous ses paupières à chaque fois qu'il fermait les yeux.

Même lui avait senti que son apparition aux yeux de la blonde avait brisé quelque chose. L'atmosphère magique du lieu s'en était allé.

Il ne l'avait pas supporté, il n'avait pas pu affronter le regard brulant de la jeune fille. Il s'était enfui. Il avait été incapable de réagir là-bas, il n'avait pas su.

Cela le rendait malade, maintenant que le choc était passé. Il se refaisait le film en boucle, et à chaque fois, concluait invariablement qu'il aurait dû agir autrement.

Maintenant, il ne pouvait plus que réfléchir à la suite, aux conséquences que cette nuit engendrerait forcément. Il ne savait pas ce qu'il devait faire de cette nouvelle. Une question avait surgi, et se mit à l'obséder : comment devait-il réagir ?

Une partie de lui criait à la vengeance, lui murmurait, tentatrice, que c'était une occasion parfaite, qu'il ne fallait pas la gâcher, qu'il fallait lui faire payer.

L'autre ne parvenait pas à se résoudre à salir ainsi la passion de la blonde. Quelque chose de fort se dégager de la jeune fille lorsqu'elle dansait, et il ne voulait pas utiliser la danse contre elle.

La fatigue finit par le terrasser, et il s'endormit finalement au milieu de ses réflexions.

Pas de deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant