*Bassin de vidange – Centre de recherches expérimentales de Kendish.
J'essayai de ne pas lutter contre le courant qui nous entraînait dans son vortex implacable et terrifiant. Je m'étais accrochée à la main de Rebecca autant que je l'avais pu mais la pression phénoménale qui régnait dans la conduite nous avait séparé au bout d'à peine quelques secondes.
Même si je n'avais jamais eu la chance de me baigner dans l'océan, je savais que lorsque l'on était piégé par une vague ou un courant, il fallait se détendre et se laisser aller, surtout ne pas résister. Cela semblait facile et évident dit comme ça, mais en pratique, c'était une tout autre histoire !
Mon corps était baladé comme une vulgaire poupée de chiffon, tandis que l'eau me projetait contre les parois, sur lesquelles je rebondissais mollement, les chocs heureusement atténué par l'effet tampon du liquide environnant. J'avais beau pouvoir respirer grâce à mes branchies, la pression m'oppressait la poitrine et me coupait presque la respiration. Je commençai à paniquer, je n'y voyais rien et j'avais peur. Peur pour mes bébés, peur que les autres ne meurs tous noyés par ma faute et peur que ce trajet en lessiveuse n'ait jamais de fin.
Je crois que je perdis la notion du temps tandis que je sentais mes forces décliner et peinais de plus en plus à maintenir ma semi-métamorphose en place. J'étais en train de perdre la partie lorsque mon corps devint subitement léger comme l'air, avant que le cœur ne me remonte dans la gorge, à l'instant où je commençai à tomber comme une pierre.
La chute fut courte mais intense et la réception violente. La force des tonnes d'eau qui se déversaient à gros bouillon me plaquèrent au sol, avant qu'un tourbillon plus important que les autres n'arrive à me dégager de ce piège infernal. Pendant un instant j'essayai d'ouvrir les paupières que j'avais fermé par réflexe, pour tenter de repérer où se trouvait les autres. Mais malgré la membrane protectrice qui recouvrait encore mes yeux...je ne vis rien. Hormis des milliers de bulles, des feuilles, des branchages et des insectes morts.
J'utilisai mes ultimes forces pour m'éloigner du maelstrom bouillonnant et me propulser vers le haut et la lueur salvatrice que j'avais entraperçu quelques secondes auparavant. C'est à l'instant où ma tête creva la surface que ma transformation s'inversa. Je pris quelques bouffées d'air, saccadées et rapides, mon corps épuisé balloté par les vaguelettes qui ridaient l'eau dorénavant boueuse et chargée de débris.
J'avais réussi...j'étais enfin dehors ! Mais où était les autres et comment sortir de ce bassin ? Car quel que soit l'endroit où se porte mon regard, je ne voyais que des murs de béton lisse et brut sans aucun endroit ou aspérité à laquelle s'accrocher.
— Christina !
La voix crachotante et épuisée était parasitée par des quintes de toux, mais c'était bien celle du docteur Banes. Elle me faisait signe de l'autre côté de l'immense réservoir, accrochée à un morceau de planche pourrie, qui semblait flotter comme par magie. Nous fîmes toutes deux difficilement la moitié du chemin et c'est au bord de la syncope que je m'agrippai avec reconnaissance à notre bouée de fortune.
— On a réussi ! s'exclama-t-elle d'un ton incrédule en me fixant d'un regard étonné.
— Malheureusement on n'est pas encore sortie d'affaire. Vous avez vu les autres ?
Le regard triste et peiné qu'elle me lança valait tous les discours et c'est avec une inquiétude croissante que je scrutais l'étendue d'eau dans l'espoir d'apercevoir l'un de nos deux autres compagnons.
— J'ai essayé de replonger mais...je n'avais plus assez de souffle et avec tous ces remous...
— Ce n'est pas votre faute, lui dis-je pour la soutenir alors qu'une culpabilité que je n'aurais pas dû ressentir commençait à me nouer les entrailles et à me serrer la gorge.
Nous n'y étions pour rien, je le savais bien. Nous n'étions que des victimes parmi d'autre mais...la pauvre Célia ne méritait pas ça. Elle et son bébé ne méritait pas ça ! Je n'avais plus beaucoup de forces mais il fallait malgré tout que je tente quelque chose. C'est au moment où je m'apprêtai à tenter une plongée que la trappe de vidange se ferma brusquement dans un claquement hydraulique, coupant net le déluge se déversant encore dans le bassin.
C'est alors que l'agitation et les remous cessaient, que nous vîmes une forme sombre remonter à la surface, immobile !
— Christina, attendez ! C'est peut-être le mutant ! me cria Rebecca, alors que je me précipitai sans réfléchir dans une gerbe d'éclaboussure, vers le corps immergé.
Elle avait raison, c'était une possibilité...mais je n'y croyais pas. Sollicitant encore une fois mes muscles brûlant et limite tétanisés par l'effort, j'atteignis enfin la forme prostrée et la retournait dans le même mouvement.
La tête de Célia, roula sur le côté, ses cheveux mouillés lui tombant en paquet sur le visage. Son teint était blafard et cireux et elle était totalement inerte dans mes bras. Je me mis sur le dos et la calai contre moi, la maintenant avec mon bras tandis que j'essayai de la ramener vers le docteur Banes. À deux nous pourrions peut-être faire quelque chose ?
Je commençai à agiter les pieds, mais à peine avais-je commencé à me déplacer que je sentis sa masse inerte m'entraîner vers le fond. Je luttai et tentai de réaffirmer ma prise, mais l'eau rendait nos peaux glissantes et j'avais beau l'agripper de toutes mes forces, je sentais qu'elle m'échappait.
« Petite sœur ! »
L'appel inquiet de mon amie explosa soudain dans mon crâne tandis que notre connexion se rétablissait soudain, manquant me griller quelques neurones au passage. Ce fut un tel soulagement de l'entendre de nouveau et de sentir son aura chaude et protectrice remplir de nouveau la mienne que cela me redonna un peu des forces qui me manquaient.
« Où es-tu ? Je te sens mais je ne te vois pas ! »
« Je suis dans le réservoir...le grand rectangle gris rempli d'eau » tentai-je de lui expliquer mentalement pour qu'elle comprenne. « J'ai...on a besoin d'aide... » lui envoyai-je malgré moi, clairement consciente que ma pauvre amie ne pourrait rien faire pour m'aider.
« Ils arrivent ! Tes amis humains...je vais les guider jusqu'à vous »
A la réception de ces pensées, un soulagement intense m'envahit, tellement fort que je sentis des larmes menacer de se mettre à couler sur mes joues.
« Est-ce que Jude est parmi eux ? »
J'appréhendai tellement sa réponse, que j'eu l'impression qu'elle mettait des heures à me parvenir au lieu des quelques secondes d'influx nerveux que cela demanda réellement.
« Oui petite sœur...avec toute sa basse-cour ! »
À ce moment-là je ne pus retenir mes larmes, qui dévalèrent mon visage avant d'aller se perdre dans l'eau boueuse et glacée du réservoir. La joie, le soulagement, le bonheur de le revoir bientôt, tout cela me submergeait, tandis que j'essayais de plus en plus difficilement de glaner encore quelques mètres.
« Il va bien ? »
« ...oui. » Sa réponse était brève et hésitante et me remplit instantanément d'une angoisse sourde et indéterminé. Quelque chose n'allait pas avec Jude, j'en avais la certitude.
« Tiens bon, petite sœur...je vais les chercher » me transmit la panthère avant de couper notre lien, confirmant mes soupçons.
« Jude ! » hurlai-je alors psychiquement à l'instant où mes doigts gourds et sans force lâchaient définitivement prise et que Célia me glissait des mains sans que je ne puisse la rattraper.
C'est alors que le docteur Banes la rattrapa in-extremis l'empêchant de sombrer au fond des eaux sombres, tandis qu'un manteau d'air chaud mâtiné de sous-bois m'enveloppait soudain de son cocon protecteur et rassurant, m'inondant littéralement d'inquiétude sourde et d'amour.
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Symbiose . Féline-Tome 3
ParanormalChristina est à présent prisonnière dans un établissement de recherche hautement sécurisé. Tous ses amis et Jude la croyant morte, elle ne pourra compter que sur elle-même pour s'enfuir et déjouer la machination orchestrée par Iphigénia et quelques...