Chapitre 3-1

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Je restai là durant un temps indéterminé, leur foutu métal agissant sur moi comme de la kryptonite. Lorsque j'entendis la porte s'ouvrir de nouveau, quelques temps plus tard, j'eus quand même l'instinct et l'énergie nécessaires pour ramper légèrement en arrière tout en essayant de redresser la tête pour voir qui pénétrait dans la pièce.

C'était un homme d'un âge indéterminé, que je n'avais encore jamais rencontré jusqu'à présent. Au vu de la blouse blanche, du stéthoscope pendu autour de son cou et de la sacoche en cuir qu'il tenait à la main, il ne fallait pas être devin pour comprendre sa profession. Il s'approcha de moi, posa son sac sur le lit et, après en avoir sorti des compresses et une bouteille contenant un liquide clair, s'accroupit à mes côtés.

— Bonsoir, je suis le docteur Kempt et je suis là pour vous soigner, me dit-il d'un ton professionnel et neutre, en constatant mon mouvement de recul à l'approche de sa main.

Avec des gestes sûrs, à défaut d'être doux, il examina mon épaule, vérifia que la balle était bien ressortie et s'appliqua à désinfecter la plaie en profondeur, me faisant grimacer de douleur. Je fus tentée de lui dire que ce qu'il faisait ne servait à rien sur quelqu'un comme moi, mais je m'abstins. Il ne devait pas le savoir. Je l'observai durant tout le temps qu'il mit à me panser, m'interrogeant. Pouvais-je lui demander de l'aide ? J'hésitai durant quelques secondes, pourtant quelque chose m'en dissuada, sans que je sache véritablement quoi.

— À présent, je vais vous enlever ces menottes et il vaudrait beaucoup mieux pour vous que vous restiez calme et immobile, me prévint-il en rangeant son matériel.

Pour ne pas avoir les mains encombrées, il posa son sac en cuir devant la porte et s'empressa de me détacher avec des gestes fébriles, avant de s'écarter rapidement de moi pour gagner la sortie.

— Vous devriez manger, dit-il d'un ton dans lequel je crus déceler une pointe de gentillesse, avant de claquer précipitamment la porte derrière lui.

J'attendis quelques minutes que mes forces défaillantes me reviennent et c'est avec précaution que je pris appui sur le mur lisse pour me redresser et faire quelques pas hésitants jusqu'au lit où je me laissai tomber lourdement sur le matelas trop dur.

Le plateau était toujours là où le laborantin trop zélé l'avait placé quelques heures auparavant et je ne pus m'empêcher d'y jeter un coup d'œil. Il était de très grande taille, en plastique transparent et comportait de la nourriture, ainsi qu'un volumineux sac en papier de forme rectangulaire. J'allais m'en saisir pour l'ouvrir quand mon regard tomba sur le repas refroidi qui me tendait les bras.

J'avais beau me dire que cela était très certainement un piège, je ne parvenais pas à détacher mes yeux de la nourriture apparemment succulente se trouvant devant moi. Finalement, je ne résistai pas longtemps et, me saisissant d'une cuillère en plastique, seul couvert présent sur le plateau, j'attaquai le bol de carottes râpées avec un appétit vorace.

En quelques minutes à peine, j'avais tout englouti : l'assiette remplie d'un plat en sauce accompagné de purée, le morceau de fromage, les deux grosses tranches de pain épaisses et la salade de fruits. Une saine torpeur m'envahissait doucement, lorsque la sirène retentit soudain, me rappelant de manière cruelle la situation pourrie dans laquelle je me trouvais.

Ding.

Quinze minutes d'intimité. Je m'empressai donc d'ouvrir le sac en papier et d'en répandre le contenu sur le lit. Je me saisis avec avidité de la brosse à dent, du mini tube de dentifrice et de la savonnette présente dans le sac et me ruai vers le lavabo, dont j'ouvris l'unique robinet en grand. C'est avec difficulté, souffrance et tout de même un grand plaisir que j'enlevai les loques tachées qui me servaient de vêtements et les laissai tomber au sol avec une grimace de dégoût, avant de plonger avec bonheur mes mains dans l'eau claire et glacée. Je me savonnai consciencieusement en évitant de passer sur mes poignets, où ma peau lésée et boursouflée me faisait souffrir à chaque effleurement.

Ding

« Vous n'avez plus que... cinq minutes. »

Ding

Je sursautai violemment à l'entente de ce rappel agressif et me dépêchai de m'essuyer sommairement avant d'attraper les vêtements que l'on m'avait fourni. Cela me dérangeait profondément d'obéir à tous leurs ordres... mais je n'avais pas le choix. Si Féline et moi voulions avoir une chance de sortir d'ici, j'allais devoir entrer dans leur jeu, du moins pendant un temps. J'enfilai donc la culotte et le soutien-gorge de sport blancs, tous deux piles à la bonne taille. Un frisson glacé me traversa à l'idée de ce que cela impliquait. Ces monstres m'avaient espionnée au point de connaître mes tailles de sous-vêtements ! Cela n'aurait pas dû me surprendre, me dis-je en enfilant le pantalon de sport en coton gris. Après tout, ils avaient fouillé notre appartement et donc eu accès à nos affaires personnelles.

Ding

« Plus que... une minute. »

Ding

J'enfilai rapidement le tee-shirt gris à manches courtes et laissai le sweat à capuche sur le lit, la température étant suffisamment clémente dans la pièce pour que je puisse m'en passer. Puis, je fourrai mes vêtements irrécupérables dans le sac en papier, avant d'aller déposer celui-ci au pied du lit, ne sachant pas trop où le mettre. C'est en revenant vers ce dernier que je m'aperçus qu'il restait quelque chose sur le sol, non loin du lavabo. Intriguée, je m'approchai et sentis les larmes me monter aux yeux lorsque je reconnus le cordon en cuir tressé du médaillon de Jude.

Je m'accroupis et m'en saisis d'une main tremblante, à l'instant exact où l'horrible voix enregistrée me signifiait le retour de la surveillance. Je me dépêchai de glisser mon trésor dans ma poche et de me relever, d'un geste trop brusque qui me fit mal. J'allais ensuite boire un peu d'eau, me brossai les dents avec bonheur, puis, ayant déposé le plateau devant la porte, allai m'allonger sur le lit comme un bon petit mouton.

L'intensité lumineuse baissa sensiblement, sans pour autant s'éteindre complètement, me signifiant certainement qu'il faisait nuit. Je me glissai sous la couverture et, enfin partiellement à l'abri des regards indiscrets, sortis le cordon de ma poche et l'enroulai autour de ma main avant de le porter discrètement à mon nez. J'avais bien conscience que l'odeur de Jude ne pouvait plus être présente sur les brins entrelacés, mais l'avoir contre mon visage me faisait tout de même beaucoup de bien et me rappelait pourquoi je devais me battre.

Je repoussai donc furieusement le désespoir et, tentant de faire abstraction des douleurs diverses qui ravageaient mon corps, essayai de dormir, sachant que c'était ma meilleure chance de reprendre des forces et d'entreprendre une évasion à la première occasion. À ma grande surprise, je sentis une douce somnolence me gagner assez rapidement et c'est sans trop d'efforts que je sombrai dans le sommeil. 

Symbiose . Féline-Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant