Chapitre 24-1

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Bien évidemment cela fut long et douloureux mais surtout...étrange. Tandis que mon corps se remodelait, effaçant momentanément toutes les traces des tortures que j'avais subi, je sentais une nouvelle force, sombre et tranquille, tapis à l'intérieur de moi semblant attendre son heure pour se dévoiler.

Le processus s'acheva enfin et c'est dans un grand cri libérateur qu'Iron émergea, momentanément libre de mon corps torturé. Il agita ses ailes pour chasser les derniers fourmillements post-transformation et je les étendais un instant, heureux de retrouver la sensation de la brise dans mes plumes.

Même à mon âge et avec mon expérience, les premières minutes étaient toujours troublantes. Il fallait plusieurs poignées de secondes à mon esprit pour comprendre qu'Iron et moi...étions la même...personne. Une fois ce délicat moment passé, je sautai d'un petit bond contrôlé sur une branche basse et penchant ma tête mobile sur le côté, dardai mon œil rond et mobile sur les bipèdes qui me fixaient d'un air troublé. Je poussai un nouveau cri aiguë et impatient à leur encontre, leur enjoignant de se dépêcher de me rejoindre...ils attendaient quoi à la fin ?

— Il s'est passé quoi là ?! me demanda Hannah d'une voix choquée tandis qu'elle m'observait d'un regard étrange.

— Je te signale que tu parles à un oiseau ! Tu crois vraiment qu'il va te répondre ? sortit Worth de sa nouvelle voix caustique, bien que l'expérience de me voir véritablement me transformer sous ses yeux, semblait l'avoir un peu chamboulé malgré tout.

— Ce n'est pas un oiseau, c'est Jude ! lui répondit-elle d'un ton hargneux. Il ne nous répondra pas mais il comprend parfaitement tout ce que nous disons, alors surveille tes paroles !

J'émis un petit cri perçant, pour appuyer ses dires et eut la maigre satisfaction de voir l'inspecteur sursauter légèrement. Mon dieu que c'était agréable de retrouver un corps léger, mobile et exempt de toutes blessures et douleurs. Mais à présent que j'étais de nouveau en pleine possession de mes moyens je n'avais qu'une envie, m'envoler. Partir au secours de Christina et d'Euclide et leurs discussions inutiles et stériles commençaient à me lasser.

— Bon à mon tour ! s'écria River en commençant à changer quasiment immédiatement.

Sa métamorphose fut simple et rapide et aux bouts de seulement quelques minutes un magnifique aigle fauve se tenait devant nous, ses yeux d'un jaune lumineux presque blanc rappelant la couleur inhabituelle de ses cheveux.

— Et pour vos affaires...vous allez faire comment ? demanda Cassie, qui s'approcha de moi et se baissa pour ramasser le sac qui était resté par terre au milieu des feuilles.

Lorsque son aura rencontra la mienne, tous mes sens de rapaces se hérissèrent et je dû me retenir pour ne pas fondre sur elle, serres et bec en avant. Il émanait d'elle une odeur caractéristique de reptile mais surtout une sensation froide, huileuse et désagréable que je ne connaissais pas et qui mettait tous mes instincts en alerte. Je ne savais pas exactement ce qu'était devenue Cassie mais ce que je sentais là...ce n'était pas l'aura d'une métamorphe !

— Ce que l'on avait sur nous, réapparait lors de notre transformation inverse, lui répondit Hannah, détournant momentanément mon attention de Cassie. Tenez, prenez ces deux sacs là, ajouta-t-elle en les tendant à Worth avant de s'approcher de Cassie la main tendue. Passe-le-moi ! lui ordonna-t-elle, je vais m'occuper des affaires de Jude.

— Comment ? ne put s'empêcher de demander l'inspecteur. Tu vas voler avec un sac se balançant au bout de tes pattes ? Fais gaffe de te pas te prendre une ligne à haute tension ?!

Je crus pendant une seconde qu'Hannah allait l'occire sur place ! Ses yeux lançaient des éclairs et sa main reposait désormais sur la garde du poignard passé dans sa ceinture.

— Je vais l'inclure dans ma transformation, crétin ! s'écria-t-elle dans un murmure rageur tandis qu'elle arrachait presque le sac des mains de Cassie, avant de passer les bandoulières sur ses épaules d'un geste vif et coléreux. 

— Mais comment ? s'étonna Cassie. Jude et River ont précisé que la transformation pouvait abimer les vêtements, alors un sac ?!

— Moi je suis différente ! aboya-t-elle d'une voix un peu hautaine, alors qu'elle prenait une grande inspiration.

— Allez-y ! Trouvez une voiture et rejoignez-nous. Vous savez où aller au moins ? demanda-t-elle finalement d'un ton dédaigneux.

— Vu que tu me l'as seriné une bonne douzaine de fois...je crois que ça devrait aller ! lui répondit Worth, un air étrange dans le regard qu'il braquait sur elle.

— Très bien...à plus tard alors ! Sois prudent, murmura-t-elle dans un souffle que je ne fus même pas certain d'avoir entendu, alors que dans un battement de cœur, elle devenait sans le moindre effort un magnifique aigle brun.

Worth, qui avait de toute évidence déjà assisté au phénomène, ne parut pas surpris et balançant les sacs sur son épaule, saisit la main d'une Cassie éberluée avant de l'entraîner derrière lui sans la moindre hésitation. Il y avait quand même des moments où, flic ou pas, j'appréciai ce mec, me dis-je tandis que je grimpai vers la cime des arbres par petits bond consécutif de branches en branches. River fit comme moi, pendant qu'Hannah plus petite et plus fine que nous deux, trouvait la place de déployer ses ailes et de s'envoler directement en partant du sol.

Une fois dans la canopée je n'attendis pas et trop impatient de prendre mon envol m'élançai vers le ciel d'un puissant battement d'aile. Sentir le vent dans mes ailes après tout ce temps, fut un tel plaisir que pendant un infime instant j'oubliai l'urgence de la situation et profitai simplement du bonheur de voler. Nous trouvâmes assez rapidement un courant porteur allant comme par miracle dans la bonne direction et nous laissâmes planer sans effort sur des centaines de kilomètres. Ce répit était bienvenu, car je sentais mes forces décliner très rapidement.

Le soleil descendait lentement à l'horizon, tandis que nous survolions de grandes étendues de champs en jachères, quand un mouvement rapide et discret attira mon œil hypersensible me faisant instantanément piquer vers le sol. Alors que mon regard était braqué sur la proie chaude et tendre qui détalait à toutes pattes au milieu des herbes folles, un éclair brun traversa momentanément mon champ de vision, tandis qu'Hannah essayait de me prendre de vitesse.

Cette compétition était plus un jeu induit par l'instinct qu'une véritable lutte pour le pauvre lapin frémissant, qui de toute façon, n'avait pas une chance contre nous. À quelques mètres du sol Hannah tenta une figure complexe et se jeta toutes serres en avant sur le rongeur...qu'elle rata de quelques centimètres, quand ce dernier dans un bond latéral, parvint à l'éviter pour aller finir sa course...entre les serres de River ! Nous partageâmes ce maigre festin, bien qu'ils m'en laissèrent presque tout le bénéfice, avant de repartir.

Les rapaces n'étant pas des oiseaux fait pour voler sur de longues distances, nous fîmes donc une halte dans un bois, où une petite mare nous permis de nous désaltérer. Lorsque nous repartîmes quelques temps plus tard, mon décollage fut maladroit et la lassitude que je sentais grandir en moi m'inquiétait. Je tins bon néanmoins, réussissant à planer plus que je ne volai encore quelque temps, avant que je ne commence à perdre de l'altitude, ne parvenant plus à maintenir mon vol. Hannah et River vinrent immédiatement se placer en-dessous de moi et me guidèrent jusqu'au sol, où je m'écrasai plus que je n'atterri, sur la terre meuble couverte d'épines et de feuilles mortes, d'une nouvelle forêt.

Hannah se métamorphosa aussitôt, se saisissant de sa dague alors et qu'elle se tournait vers moi dans un mouvement nerveux.

— Jude, il faut changer...maintenant ! Avant que tu n'aies plus assez de forces pour le faire ! me pressa-t-elle d'une voix inquiète, que la fatigue rendait sourde.

La nuit était tombée et l'endroit où nous nous trouvions nous était inconnu et pas forcément sûr...mais Hannah avait raison, je n'aurais pas la force d'attendre plus longtemps. C'est donc presque inconsciemment que mon corps enclencha le processus. Je dus lutter contre les étourdissements que la douleur provoquait et qui risquaient à tout moment de me plonger dans une inconscience dangereuse.

C'est alors que la transformation s'achevait et que je m'écroulai au sol, victime de violents tremblements, que les premiers effluves me parvinrent...une faible mais indéniable odeur de...sang !

Symbiose . Féline-Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant