Une petite note avant de vous laisser avec Erwan, ce texte est une histoire de secrets et d'amour. Il ne s'agit pas de poésie, malgré le titre qui peut porter à confusion. Je vous souhaite une agréable lecture. A bientôt !
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La solitude peut être une compagne. On sait qu'elle nous poursuit parce qu'elle dégage un courant d'air glacial. Elle est faite de silence, parfois brisée de ricanements. Un bruit de fond, léger, qui laisse comme sourd. Elle est grande, s'il devait la dessiner à côté de lui, elle serait immense, serpentant de partout, créant une zone de vide tout autour ... Elle serait tellement grande et tellement englobante qu'elle créerait une barrière entre lui et les autres, entre lui et le ciel, entre lui et la terre ...
Mais quel visage aurait-elle ? Erwan s'arrête de crayonner. Il observe sa feuille sur laquelle il n'est qu'une ombre, sombre et vague, entouré d'un voile blanc, limpide et éclatant. C'est elle. La solitude. Il frissonne. Elle est là, dans ce froid qui l'envahit. Il trace une courbe sur l'endroit vague où il imagine son visage. Il la fait sourire. Quitte à n'avoir qu'elle, autant que son visage se fende ainsi.
Erwan s'arrête et observe ses doigts, légèrement tremblant, sur sa feuille. Il n'a nulle part où aller. Il est coincé dehors. D'ici une dizaine de minute, la porte s'ouvrira et il pourra se lever, rassembler ses affaires et monter les trois étages d'escaliers qui le conduiront jusqu'à sa chambre.
Pour le moment, il fait encore jour, dans quelques mois, ce ne serait plus le cas. Il ne pourrait plus dessiner à ce moment-là. Que ferait-il ? Il observerait peut-être les étoiles, les rares étoiles qui parviendraient à percer le voile de pollution lumineuse de la ville. Il aimait bien rester coucher à observer les étoiles. Moins que dessiner, mais bien assez.
Il tourna sa page, comme pour éloigner la solitude, mais en levant la tête, il observa d'autres élèves passer à quelques mètres de là, en se chuchotant quelques secrets à l'oreille. Ils ne parlaient peut-être pas de lui. Vœu pieu. Les regards en coin, il connait trop bien. Depuis le début de l'année, ça n'arrête pas. C'est normal après tout. Il y a des nouveaux qui ne le connaissent pas encore. Alors, ils parlent, ils demandent, ils collectent les ragots et quand ils en auront assez pour toute une vie, peut-être que ça se calmera. Peut-être dans quelques mois ... Il essaie de ne pas trop y penser. La solitude est déjà assez lourde sur ses épaules.
Sur la page blanche, il trace un trait. Il dessine au stylo bic parce qu'ainsi tout est définitif. Il ne peut pas hésiter. Il ne peut pas se corriger. Ça le force à la précision. Il trace les contours rapides d'un costume fantaisiste. Sur ces pages, il dépeint grand nombre de personnages. Ce n'est qu'une illusion de compagnie, mais il aime les savoir près de lui. Il trace un cou fort et un visage taillé à la serpe. Il rajoute des cheveux noirs, en brosse et un regard sombre. Près de lui, un second personnage se dessine, une fille, plate et sans hanches, avec un joli visage et des yeux de biche. Elle porte un tee-shirt et le long de ses bras nus courent des tatouages. Des sirènes.
Une ombre arrive. Immédiatement, Erwan remonte son carnet contre lui. Pour le cacher ou pour le protéger ? Il a tout juste le temps de lever la tête et d'apercevoir un sourire mauvais avant qu'un coup de pied ne l'atteigne. Erwan se redresse aussi vite que possible, en glissant contre le mur sur lequel il était adossé. Sans un mot, encaissant leurs phrases comme leurs coups, il attrape son sac et s'éloigne rapidement. Ils ne le suivent pas. Ils aiment juste le chasser.
Enfin, c'est ce qu'Erwan se dit, comme pour se rassurer. Il se réfugie près de la porte qui s'ouvrira bientôt tout en rangeant ses affaires. Il n'y a pas grand chose dans son sac, si ce n'est quelques cahiers et une trousse. C'est là qu'il se rend compte qu'il a perdu son stylo dans sa fuite. Ce n'est pas grave. Tant qu'il ne perd pas son carnet, tout va bien. Il passe néanmoins un moment à frotter la forme boueuse, à l'arrière de sa feuille. La boue a traversé et taché de couleur sa solitude. Un instant il regarde les formes, se demandant si finalement, ce n'est pas mieux ainsi. Ces types sont immondes, mais ils brisent sa solitude, ils la noircissent, la rendent moins tangible, moins froide ... C'était peut-être ça le problème. La solitude était son amie. Tous ceux qui parvenaient à la percer, à la blesser, à la faire fuir. Tous ceux là l'atteignaient lui aussi.
Le surveillant ouvrit et sans lever le visage vers lui, Erwan se jeta à l'intérieur et grimpa jusqu'à son étage. Là, il poussa le battant lui permettant d'accéder au couloir, long, immense même, s'ouvrant sur de nombreuses portes. Les chambres. Le dortoir était organisé ainsi : la première et la dernière pièces étaient pour les surveillants. Au milieu, c'était des chambres de quatre. La pension n'était pas pleine, mais presque. Lui, il était assigné là-bas, tout près du pion. Il avança jusqu'à sa porte au pas de course puis la referma tout doucement avant de s'écrouler derrière. Son poignet était douloureux. Il repoussa la pensée, loin, très loin de son esprit. Son état physique, il ne voulait pas en entendre parler.
Il attendit comme ça, prostré, jusqu'à ce que son cœur veuille bien se calmer. Personne n'ouvrirait sa porte avant le couvre-feu. Là, le surveillant qui logeait juste à côté viendrait vérifier qu'il éteignait bien ses lumières. Ils n'échangeraient pas le moindre mot. Dans cette chambre, il y avait quatre lits, séparés par deux paravents. Quatre bureaux de petite taille. Quatre armoires. Quatre tables de chevet. Et un seul occupant. Lui. Le paria. Cette vision le rendait souvent triste. S'il y avait eu des personnes, il aurait peut-être pu leur montrer qu'il était juste comme eux, pas si différent que ça. Il aurait peut-être pu leur faire voir qu'il pouvait être sympa, marrant, ... et ... et tout ce qu'ils auraient voulu. Mais il était seul. Aucune chance de s'insinuer dans un groupe, d'aller manger ou d'attendre le soir avec eux, parce qu'il était seul.
Il se redressa en essuyant mollement ses joues. Il n'y a que les faibles qui pleurent, se dit-il méchamment avant de s'installer devant l'un des petits bureaux. Celui qui était le plus loin de la porte. Il n'avait plus qu'à terminer sa routine. Faire ses devoirs, passer à la douche, ranger ses affaires dans son casier -fermé d'un cadenas- et puis s'enfouir sous la couette un peu trop fine à son goût et attendre le sommeil ... Couché à regarder le plafond qui restait éclairé à cause des volets qui fermaient mal et du lampadaire non loin, Erwan se demandait souvent à quoi ressemblerait le sommeil s'il devait le dessiner. La solitude était une amie intransigeante et jalouse. Elle ne lui offrait aucun répit, pas même la compagnie du sommeil. C'était visiblement trop demandé. Quand la porte de la chambre s'entrouvrit, il fit semblant de dormir. Elle se referma et lentement, les heures s'égrainèrent. La luminosité changeait de temps à autre. Il s'endormit, très tard dans la nuit et peu après, son réveil sonna, annonçant le début d'une nouvelle journée, identique à la précédente.
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La poésie de l'encre
RomanceIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...