La peur

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La journée de dimanche s'était bien déroulée. Raphaël et Erwan avaient travaillé de concert. Ils n'avaient pas laissé les parents regarder le résultat. Ils n'étaient pas encore prêt à le dévoiler. Ça viendrait avec le temps ou en tout cas, ils finiraient par ne plus avoir le choix. Ce travail serait publié et distribué dans une certaine mesure.

Alors que Raphaël était encore en train de dessiner, Erwan s'était discrètement éclipsé. Il devait parler à ses parents. Ce qu'il avait à leur dire n'était pas facile. Ce n'était pas vraiment une décision mûrement réfléchie, c'était plutôt comme une évidence qui s'était imposée à lui. A l'abri des oreilles de Raphaël, Erwan avait alors insisté pour retourner au lycée, à la grande surprise de ses parents. Il avait fait sa demande d'une voix tranquille et douce, comme s'il comprenait que ça allait leur faire mal.

Comment pouvait-il avoir envie de retourner là-bas après tout ce qu'il s'était passé ? Son matériel qui disparaissait trop souvent et ses blessures laissaient entendre qu'il subissait un harcèlement violent tous les jours ... Et ses hospitalisations n'étaient que des agressions beaucoup plus violentes qui auraient pu lui coûter la vie. Alors, pourquoi y retourner exactement ? Le lycée, c'était l'enfer. Marie et Franc ne comprenaient pas vraiment, mais ils se doutaient que le jeune homme ténébreux qu'ils avaient accueilli y était pour quelque chose.

Parmi les pires suppositions qui leur étaient passées en tête, il y avait l'idée que peut-être, Raphaël faisait pression sur leur fils. Et si c'était lui, le coupable ? Il l'avait sauvé oui ... mais qu'avait-il fait avant ? Le doute était un ennemi affreux et ils devaient l'affronter à chaque instant.

Au fond de leurs pensées, une autre supposition se glissait lentement. Peut-être que leur fils était en train de tomber amoureux ? C'était une idée effrayante. Raphaël ne ressemblait pas au gendre idéal. Marie avait immédiatement imaginé son fils couvert de piercing et de tatouages, tout habillé de noir et cette vision l'avait fait frémir. Oh certes, ce n'était pas le pire de ses cauchemars. Au plus profond de son sommeil, combien de fois lui avait-on annoncé que son enfant était mort ? Combien de fois avait-elle tenu son corps froid, lacéré de coup de couteau, presque méconnaissable ? Les cauchemars la hantaient, mais au-delà de ça, elle n'avait pas envie qu'Erwan se rapproche de ce genre de milieu. Après tous ces drames, son petit devrait avoir le droit à un peu de douceur. Pourquoi devenir de plus en plus intime avec une telle personne ? Était-il désespéré à ce point-là ? Il méritait mieux. Il méritait l'homme le plus doux et le plus gentil qui soit.

Alors, bien-sûr, ils avaient refusé. Ils avaient dit "non" furieusement. Il ne retournerait pas dans ce lycée. Ils ne l'enverraient pas se faire tuer ! Était-il inconscient ou simplement idiot ? Les mots qui furent prononcés à voix basse étaient comme des coups. Est-ce qu'Erwan se rendait compte de ce que cette demande supposait ? Ce lycée de malheurs était bien trop dangereux. Erwan avait juste sourit tout en prononçant ce qui sonnerait comme une sentence :

- Je veux y retourner et finir ce projet.

C'était tout aussi simple que ça et tout en retenant courageusement ses larmes, il était retourné travailler au côté de Raphaël. Si le jeune homme avait entendu les éclats de voix ou remarqué ses yeux rougis de larmes contenues, il n'en fit pas la moindre remarque. Ils bossèrent dans un silence apaisé.

Dans la pièce d'à côté, les parents étaient rongés par les questions. Ils ne voulaient pas prendre le moindre risque supplémentaire pour leur enfant. En faites, ils se sentaient vraiment coupables. Coupables de ne rien avoir vu, avant l'hospitalisation. Coupables de ne pas avoir su le faire parler après avoir découvert les blessures dont il souffrait. Coupables de l'avoir renvoyé là-bas ... Durant tout ce temps, Erwan n'avait pas formulé la moindre demande. Il n'avait pas demandé à être admis dans un autre lycée. Il n'avait pas demandé à changer de voie. Il n'avait pas demandé de rester à la maison. Rien, il n'avait rien demandé. Depuis son retour de l'hôpital, il était resté apathique et dénué de toute envie. A présent, pouvaient-ils vraiment lui refuser la seule et unique chose qu'il demandait ? Ils avaient peur.

Avec cette simple demande Erwan plongea sa famille dans un labyrinthe de questions et d'angoisses. Démêler tout ça, ça prendrait du temps. Quand Raphaël remonta dans le train qui le conduirait au lycée, il était seul. Erwan était resté sur le quai de la gare, encadré par ses parents, la gorge nouée. Il avait envie de monter avec lui et de consacrer toutes les heures possibles et imaginables à dessiner avec lui. Malheureusement il savait que même s'il le suivait, ça ne se passerait pas tout à fait comme ça. Il y aurait toujours les gens qui l'attendraient dans les coins des couloirs. Il y aurait toujours les bousculades et les mots. Il y aurait encore les regards et la honte. C'était tout ça qu'il lui faudrait affronter s'il y retournait et pourtant, il en avait envie, juste pour pouvoir partager ses pages et ses traits, juste pour voir le protecteur avancer, encadré par Raphaël qui d'une plume assurée avait su lui offrir un contexte, une maison, un paysage où déambuler.

Raphaël parti, le vide reprit sa place avec force et puissance. Une nuit à observer le plafond, ses yeux se fermant par moment. Dormit-il ? Peut-être. Lundi. Les murs pâles et la fenêtre vaguement obscurcie par la poussière pour seul paysage, il se demandait ce que faisait Raphaël. Il n'osait pas trop le harceler de texto, surtout pendant les cours. Raphaël lui en envoyait quand même quelques-uns. Il disait que les autres étaient contents du boulot qu'ils avaient fait. Il disait des trucs. Nouvelle soirée, le plafond restait sombre malgré les volets ouverts. Mardi. Une nouvelle journée, similaire aux autres. Quelques sms pour l'égayer et le visage de sa mère, rongé par la peur. Il n'avait pas envie de parler. Il ne voulait qu'une chose : dessiner avec Raphaël. Nouvelle nuit ... oh ennui. Mercredi ... Nouvelle nuit ... Jeudi peut-être ? Il ne savait plus. Ça s'enchaînait simplement. Il avait envie de hurler et de s'arracher les cheveux juste pour arrêter d'avoir l'impression d'imploser.

A l'extérieur de la chambre, ses parents étaient angoissés, alors qu'ils comprenaient qu'ils n'avaient pas le choix. Le renvoyer là-bas ou le garder ici, peu importe : ils le mettraient toujours en danger. D'une manière ou d'une autre. Ici, il deviendrait fou. Là-bas, il risquerait les coups, les insultes et la violence. Tellement de violence. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant