La souris

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Raphaël inspira profondément, laissant la fumée l'envahir de l'intérieur. Pendant un moment, il attendit, sans expirer, savourant juste la sensation de contrôle. Puis il souffla, lentement, observa la fumée qui partait dans l'air matinal. Il avait mal dormit. Erwan avait fait du bruit, en plein milieu de la nuit, dans la salle de bain. Ça l'avait réveillé. Il avait hésité à aller voir, mais il avait fini par se lever. Il dormait torse nu, en boxer. C'est donc à moitié à poil qu'il avait passé la porte pour voir l'autre en larme, peinant à respirer. Ça ressemblait à une crise d'asthme pour autant qu'il puisse en juger, mais Erwan avait refusé qu'il aille chercher qui que ce soit. Il avait dit que ce n'était rien. Ça ne ressemblait pas à "rien". Raphaël avait posé ses fesses sur le couvercle des toilettes, l'observant froidement, attendant de voir s'il allait finalement tourner de l'œil ou pas. Il y avait eu plusieurs autres creux dans la crise pendant lesquels Erwan avait vraiment peiné, par moment, il lui avait demandé de partir, mais Raphaël n'avait pas bougé. Quand ça s'était calmé et que ce n'était plus que des larmes de honte qui lui étaient montées au visage, Raphaël lui avait craché de retourner dans son pieux. Ce n'est que lorsqu'il l'avait fait qu'il s'était lui-même couché, incapable de se rendormir malgré tout.

S'il n'était pas du matin, il n'était pas non plus du milieu de la nuit, après un réveil mouvementé. Alors, pour l'instant, il ne savait vraiment pas quoi en penser. Il ne faisait que ressasser sans comprendre. Sans mettre le doigt sur ce qui le dérangeait. Enfin ... Il connaissait ce type. Il ne le connaissait pas personnellement, il ne le connaissait pas bien, mais à une époque ils avaient fréquenté les mêmes personnes. Ils avaient eu des amis en commun ou au moins, un ami. Est-ce qu'à ce moment-là, Erwan faisait déjà ce qu'il appelait des "crises d'angoisses" ? De quoi pouvait-il bien être angoissé ? C'était ridicule. C'était une personne qui pensait que ses actes n'avaient pas de conséquences. Ce n'était pas quelqu'un d'angoissé. Ça ne collait pas au tableau. Il tira un peu plus fort sur sa cigarette. Rien ne vient. Elle s'était éteinte encore une fois, il la ralluma.

Zach parlait à côté de lui. Il n'écouta pas vraiment, jusqu'à ce qu'on lui cogne dans l'épaule. Il leva le visage vers lui, son froncement de sourcils pour seule question. Son pote lui désigna d'un mouvement de tête la situation. Là-bas, de l'autre côté de l'allée, le groupe de Rebecca tournait et virait. Il bloquait le passage et de l'autre côté, traversant le hall vitré qui permettait de rentrer, Alicia avançait. Elle allait se faire coincer. Elle n'aurait pas beaucoup d'autres choix, Rebecca plaçait toujours son groupe de manière à ne pas offrir de retraite. Ils étaient assez loin et surtout, Alicia était dans le bâtiment principal pour le moment. Ce n'était pas chez eux. Ils n'allaient jamais là-bas, sauf le lundi matin -ou le dimanche soir pour les moins chanceux- et le vendredi soir, quand ils arrivaient et qu'ils ressortaient définitivement pour aller en week-end. Le reste de la semaine, ils préféraient passer par le petit portail normalement réservé aux professeurs qui donnait directement sur la rue.

Le groupe se mit en route sans attendre. Ce n'était pas leur domaine mais c'était une élève de chez eux. Pire, c'était Alicia. Et ça, ça changeait des choses. En pressant légèrement le pas, Raphaël remonta jusqu'à Sacha. C'était le plus costaud d'entre eux et les autres avaient décidé que Raphaël était le plus flippant. Ils étaient envoyés en tête habituellement, mais Zach était pressé. Ils ne remontaient jamais cette allée. Ils n'allaient jamais là-bas. Rebecca et ses amis leurs tournaient le dos, ils sursautèrent quand soudain, ils furent tout autour d'eux, passant comme si de rien n'était. L'un des plus joueurs du groupe, Nath, avait pour habitude d'afficher un sourire mutin alors c'est avec ce sourire si étrange accompagné d'un regard un peu trop fixe qu'il adressa un "pardon, excuse-moi !" à Tom, l'un des gros bras de Rebecca.

Normalement, ils ne faisaient qu'errer pas loin, sans provoquer la moindre confrontation. Raphaël n'avait pas vraiment envie que ça change. Ils n'avaient pas peur de se battre, mais ils ne comptaient pas se faire virer pour autant. Pour conserver ce statut-quo et rendre leur présence plus exceptionnelle, il choppa Zach et lui souffla un conseil à l'oreille. Zach se figea tout en faisant "non" de la tête. Raphaël soupira; Il était peut-être à moitié endormi, mais il avait toujours conscience que Rebecca avait pas mal d'ami et qu'il fallait faire les choses correctement. Il s'avança alors sur Alicia. Elle venait tout juste de passer la porte et s'était figée.

Devant elle, il y avait le groupe "malfamé". Certains avaient redoublés plusieurs années, d'autres faisaient du trafic, ils accumulaient les heures de colles sans que ça ne semble les déranger. Normalement, ils ne posaient pas de problème. Ils étaient même plutôt sympa, mais là, la totalité du groupe était juste devant elle, loin de leurs quartiers habituels. Ce n'était jamais arrivé jusque là. Sacha, énorme, se tenait à moins d'un mètre et il n'abordait pas son air le plus commode. L'un d'entre eux s'avança. C'était celui qui portait plusieurs piercings et qui semblait capable de commettre un meurtre un jour ou l'autre, Raphaël. Elle hésita à reculer, mais il la regardait directement. Elle ne risquait pas de s'enfuir. Elle sursauta lorsqu'il enroula son bras autour de ses épaules et qu'il lui adressa un sourire en coin.

- Hey petite souris, on t'attendait.

Immédiatement, il la tira contre lui et la fit avancer. Tout le groupe se mit en mouvement, comme si elle faisait parti des leurs. Elle frémit en levant la tête et en s'apercevant qu'une autre bande, autrement plus difficile à gérer, était là. Rebecca la détestait. C'était la conclusion à laquelle Alicia était arrivée pour expliquer l'acharnement dont elle faisait preuve. Elle déglutit en la croisant. Autour d'elle, Sacha blaguait avec un autre mec comme si de rien n'était, mais c'était surfait, même elle, elle s'en rendait compte. Quand ils furent assez loin, Zach lâcha furieusement :

- C'est bon lâche-la maintenant.

Raphaël faillit éclater de rire, mais il se retient. Zach était son pote après tout. Ce n'était pas sa faute s'il n'était pas doué. Il se retient même de lui dire "de rien, connard", mais de justesse. À la place, il récupéra sa cigarette et la ralluma. Il s'éloigna, laissant la petite souris avec son pote. Il devrait bien arriver à lui expliquer que d'aller toute seule dans ce bâtiment, ce n'était pas une bonne idée. Qu'elle se fasse au moins accompagner par une amie ou deux. Et puis sinon ... Ils aviseraient.

En relevant la tête, Raphaël surprit Erwan en train de les regarder. Lui, il parvenait très souvent à échapper à Rebecca. Pas toujours, mais il était doué. Une vraie anguille. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant