Les couloirs

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Raphaël ne savait pas vraiment pourquoi il était là. Il n'aimait pas ça. Il y avait le problème de l'odeur déjà, ça lui prenait à la gorge. C'était infecte. Il y avait tout ce blanc, de partout, et lui, tout de noir habillé au milieu. Il n'était simplement pas à sa place. Ce n'était pas un endroit fait pour lui. Il y avait ce silence. Lui, il avait besoin de bruits et de musiques. Il avait besoin d'une voix pour accompagner ses pensées et de lignes de basses pour rythmer sa vie. Il y avait ses infirmières qui lui souriaient comme s'il était adorable et Raphaël était bien des choses, mais il n'était pas adorable. Mike à côté de lui avait l'air à peu près du même avis, mais c'était lui qui avait tenu à ce qu'ils viennent.

Ils durent demander de l'aide et s'arrêter à de nombreux croisements, perdus, mais au bout d'un moment, ils furent devant la porte de sa chambre. Erwan était là, de l'autre côté, dans doute couché sous des draps blancs. À ce qu'ils en savaient, il se remettait plutôt bien de son agression. De nombreuses marques avaient été trouvées sur son corps, signe d'une maltraitance qui durait maintenant depuis longtemps.

Raphaël n'avait pas envie d'y aller. Ils n'étaient pas potes et même s'il l'avait été, il n'était pas sûr qu'il aurait fait le déplacement. La porte s'ouvrit sur un homme mince, à l'air fatigué, qui les jaugea lentement. C'était le père d'Erwan, Franc, comprit Raphaël.

- Je vous attendais., dit-il au bout d'un instant.

Sans un mot de plus, il partit, les invitant implicitement à le suivre. Il marcha jusqu'à un renfoncement où se trouvait quelques chaises vides et un distributeur. Une petite salle d'attente. Il glissa une pièce dans la machine, mais resta devant à hésiter un long moment. Ses pensées tournaient en boucle sur quelques petites idées. Il ne parvenait même plus à réfléchir correctement. Erwan ne mangeait rien. Lui et sa mère savaient qu'il était maigre. Ils n'avaient pas comprit à quel point. Il se sentait en échec dans son rôle de parents. Il appuya sur un bouton au hasard, ramassa ce qui tomba sans y faire plus attention et se retourna vers les deux hommes. En fixant le plus jeune, il demanda :

- Est-ce que je dois te remercier ou te blâmer ? Est-ce que c'est toi ... qui ... l'a mis là ?

Raphaël sentit tout son corps se tendre. C'était ça qu'Erwan avait raconté ? Il l'avait accusé ? Il n'aurait pas dû être surpris après tout, mais l'idée lui laissait néanmoins un goût amer en bouche.

- Je ne l'ai pas planté. J'lui ai juste sauvé la vie. S'il dit le contraire, il ment.
- Il ment ?, reprit faiblement Franc.
- Ouais.
- Oh. J'ai cru que tu le connaissais. Vous êtes dans la même chambre ... J'avais espoir ... Je ne sais pas, peut-être que vous soyez devenu ami ? Visiblement non.

L'homme se laissa tomber sur la chaise la plus proche, alors que Mike assurait que la chambre avait été fouillée. Le couteau n'avait pas été trouvé, ce qui innocentait sans doute Raphaël. Il lui expliqua ce qu'il savait déjà, c'était ce jeune homme qui avait sauvé son fils. Ce n'était sans doute pas évident à croire. Raphaël savait bien comment les autres le voyaient. Il avait décidé qu'il s'en foutait, il y a longtemps de ça, mais à présent, ça pouvait lui apporter de gros problèmes.

- Il n'a pas dit qui lui a fait ça ?, demanda Mike.

L'homme eut un pauvre sourire. Il avait l'air décharné. Ses vêtements pendaient misérablement sur lui. Il se mit à parler, d'une voix lointaine, comme s'il était perdu dans ses pensées.

- Erwan a toujours refusé de dénoncer qui que ce soit. La dernière fois qu'il a été admis à l'hôpital ... c'était pareil, mais il y avait des preuves alors ce jeune homme a été renvoyé.
- Terrance., marmonna Raphaël.

L'homme hocha de la tête.

- Quand on a demandé à Erwan si c'était lui, il ne voulait pas répondre, mais il y avait des preuves. Je ne veux pas croire qu'il ait laissé un innocent se faire accuser ... et quand on sait les conséquences tragiques qu'il y a eu. Non, je ne veux pas le croire. Je pensais que ça s'était arrêté depuis ... et voilà qu'il se fait ... massacrer.

Raphaël ne comprenait pas. Erwan avait refusé de dénoncer qui que ce soit ? Des preuves avaient été trouvées ? Des preuves de quoi ? À part qu'ils étaient en couple, quel pouvait être le problème ? Il avait été admis à l'hôpital à l'époque ? Il se souvenait qu'il avait été absent, mais Terrance n'avait pas laissé entendre qu'il puisse être malade ou quoique ce soit d'autre. Est-ce que Terrance aurait pu se suicider pour d'autres raisons que celles qu'ils avaient toujours cru ? Peut-être que suite à une agression homophobe, Erwan l'avait quitté par exemple ? Les suppositions allaient bon train dans la tête de Raphaël alors qu'il tentait de réunir les pièces du puzzle. Il les laissa parler, observant le couloir sans comprendre. Il avait soudain l'impression d'être passé à côté de quelque chose. À côté de quelque chose d'important.

Certains points qui lui paraissaient évidents devenaient soudain des plus opaques.

- Est-ce que tu veux bien lui demander qui lui a fait ça ?

Raphaël mit quelques secondes avant de comprendre que l'on s'adressait vraiment à lui. Le père lui indiquait la chambre d'un geste de la main, comme s'il voulait qu'il y aille. Il n'avait pas envie d'y aller, pas du tout ou peut-être juste pas vraiment. Il était curieux. Il avait une foule de questions qui lui venaient en tête. Il voulait savoir.

C'était sans doute pour ça qu'il se leva et marcha jusqu'à cette porte. Erwan devait être de l'autre côté. Est-ce qu'il avait envie de lui demander qui l'avait poignardé ? Oui. Il voulait savoir. Il voulait savoir qui était capable d'une connerie pareille.

Il poussa la porte sans toquer, faisant sursauter Erwan. Il était là. Couché dans un lit médicalisé. Les draps étaient blancs. Les murs étaient blancs. Le sol était blanc. Et sa peau ... sa peau était blanche. Il était horriblement pâle. Sur la couverture blanche, des doigts blancs se serrèrent, trahissant une angoisse qui semblait bien palpable.

Erwan n'avait envie de voir personne et encore moins Raphaël. Il ne lui fallut que quelques secondes pour comprendre que ce dernier était mandaté par son père pour lui poser des questions. Ils restèrent là, en silence, à se jaugeaient du regard, incertains quant à ce qui allait suivre.

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant