Le danger

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En fin de matinée, les parents d'Erwan rentrèrent les bras chargés de courses. Immédiatement, ils s'inquiétèrent en retrouvant Raphaël occupé à travailler sur des croquis, seul. Néanmoins, il les rassura d'un mensonge, promettant qu'Erwan était juste fatigué et qu'il avait décidé d'aller se reposer.

Ils surent immédiatement que c'était faux, Erwan n'aurait jamais fait ça à moins d'être à l'agonie. Il détestait rester au lit. Il détestait être couché alors que quelqu'un était là, debout. Mais Erwan apparut avant qu'ils n'aient vraiment le temps de s'inquiéter, comme attiré par leurs voix et leur dit qu'il s'était endormi.

Ils se dirent qu'il s'était passé quelque chose, mais Erwan avait l'air relativement serein. Peut-être s'agissait-il juste d'une discussion éprouvante ? A moins que la concentration nécessaire pour travailler soit de trop ? Beaucoup de choses étaient difficiles à gérer pour lui en ce moment et puis, ils ne voulaient pas être envahissant. Vraiment pas. Alors, ils ne demandèrent rien.

Les garçons aidèrent à déblayer avant de mettre la table sans leur laisser une seule chance de regarder leur projet. Franc râla pour la forme, s'attirant quelques rires et finalement le repas se passa dans une bonne ambiance. Bien-sûr, Erwan restait silencieux, mais ça, ce n'était pas particulièrement nouveau. Bien-entendu, son très cher collègue était guère plus bavard, mais Marie continuait de lui poser des questions à la pelle. Elle s'amusait beaucoup de voir son fils tentait de voler au secours de l'espèce de corbeau étrange qu'il leur avait ramené. Raphaël n'avait pas besoin d'aides, elle ne s'y trompait pas une seconde alors tous ses sauvetages à grand renfort de "maman !" l'amusait énormément. Ils mettaient un peu de vie dans la cuisine. C'était une bonne chose. Quelque chose qui manquait depuis trop longtemps.

Franc poursuivit ses efforts de faire la conversation pour garder une ambiance sympathique en posant quelques questions.

- Et votre projet avance bien ?
- Il ne sera jamais fini d'ici demain si c'est la question., marmonna Erwan.
- Peut-être que Raphaël pourra revenir ?

La question était lancée l'air de rien par une maman heureuse de voir un peu de couleur sur les joues de son fils. Raphaël haussa les épaules tout en marmonna "pourquoi pas" mais son regard était rivé sur celui d'Erwan, à moitié dissimulé sous ses paupières.

Le garçon avait honte pour sa crise de larmes du matin. Il avait honte pour tout ce qu'il avait dit. Il avait du mal à maîtriser ses nerfs. Raphaël n'avait pas réagi comme il le pensait. Il ne lui avait pas dit qu'il le méritait. Il ne lui avait pas dit que c'était sa place, qu'il n'avait qu'à apprendre à obéir, qu'il devrait avoir honte d'avoir infligé autant d'horreurs à Terrance. Tous ces mots qu'Erwan avait attendu avec crainte n'étaient pas arrivés. C'était presque soulageant. Et puis, à présent le repas se passait bien. Tout le monde faisait semblant de ne pas voir le peu de choses qu'il mangeait, les discussions ne lui imposaient globalement pas de parler. C'était agréable.

Est-ce qu'il avait envie que Raphaël revienne ici ? Il avait honte de ça aussi, mais la réponse était oui. Il n'avait pas envie d'être seul et isolé. Il avait envie de croire qu'il comptait un petit peu, même si ce n'était pas pour de bonnes raisons.

- Je pourrais aussi retourner au lycée.

Un intense silence glaça toute discussion, surprenant Raphaël. Était-ce la première fois qu'il le demandait ? Si oui, qu'est-ce qui le poussait à le faire ? Les parents d'Erwan avaient l'air choqué et mal à l'aise. D'une voix douce, le père tenta de lui rappeler que le criminel courrait toujours. Qui sait ce qui pourrait lui arriver la prochaine fois ? Erwan se retient de hausser une épaule. Il doutait fortement que celui qui avait brandit la lame ne recommence et puis, si ce n'était pas lui, ce serait un autre, tôt ou tard.

Erwan avait une pensée terriblement fataliste. Il avait la conviction profonde que le problème c'était lui. Alors, ce n'était peut-être pas sa sexualité tout compte fait, mais ça n'en était pas moins lui. Le problème c'était d'être Erwan, croyait-il. La conversation resta prudente un moment.

- Et toi, tu ne te fais pas trop ... chahuter ?, demanda Marie à l'intention de Raphaël qui faillit s'étouffer.

Chahuter ? Bien-sûr que non. Tout le problème, c'était de dire ça poliment sans que ce soit trop rabaissant pour Erwan. Il cherchait maladroitement ses mots quand Erwan répondit à sa place.

- Raphaël a un pote immense qui fait peur à tout le monde.
- Sacha est pas immense, c'est juste toi qui est une crevette à côté.
- Tu rigoles ? Il est énorme. On dirait ... un ... un catcheur.

Raphaël se prit à rire franchement. Sacha avait peut-être le gabarit d'une armoire à glace mais c'était plus un nounours qu'autre chose. Pour sa part, il se méfierait plus de quelqu'un comme Zach. Comme s'il suivait le fil de ses pensées Erwan continua.

- Zach est super costaud aussi. Non sérieusement papa, qui serait assez fou pour s'en prendre à eux ?
- Tu es dans une bande de grand costaud alors ?, rebondit le père.
- Non, y'a Nath aussi. Plutôt brindille, mais personne ne le cherche.
- Il devrait partager son secret., marmonna tristement Marie.

Raphaël hésita une demi-seconde avant de répondre en toute franchise.

- Il sourit tout le temps, pour tout. A force, ça fait flipper les gens. Il a juste l'air très bizarre. Ils osent même plus l'approcher je crois ...
- En dehors des filles tu veux dire., répondit doucement Erwan.
- Ok, c'est vrai, il a la côte.

La discussion se poursuivit joyeusement sur les différents groupes au lycée, la qualité de l'enseignement, les emplois du temps, ... Raphaël faisait un effort, il avait l'impression de ne pas avoir autant parlé depuis des siècles. Mais Erwan avait l'air de reprendre vie petit à petit et après l'avoir vu dans un tel état de désespoir quelques heures plus tôt, c'était étrangement réconfortant.

Raphaël n'espérait qu'une seule chose, que l'après-midi se poursuive sur la même ambiance et peut-être un peu plus de productivité. Les mecs le tueraient s'ils entendaient le contenu de cette conversation et ils l'achèveraient si après avoir obtenu deux jours de travail totalement inespérés, il revenait finalement bredouille.

Heureusement, les parents décidèrent de s'éclipser au maximum pour les laisser travailler et Erwan avait l'air réellement content du projet, tout était réuni pour avancer correctement. Alors, ils se remirent au travail, côte à côte, dans une ambiance qui paraissait presque routinière. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant