La perte

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Ils étaient tous sous le préau. Dehors, il pleuvait. Les mois avançaient dans cette même morosité. Raphaël avait trouvé une espèce de rythme qui lui convenait avec Erwan. Quand il avait un soucis, il posait sa question. Erwan donnait une explication. Il savait comment tourner les choses pour que ce soit plutôt clair. Les résultats scolaires de Raphaël avaient progressé vaguement, mais surtout, il avait moins d'heures de colles pour travail non rendu. C'était plutôt cool. Parfois les autres le charriaient et par moment, il avait l'impression que Zach aurait bien aimé être à sa place. Pas pour avoir à supporter Erwan, bien-sûr, juste pour avoir l'impression de réussir de temps en temps. Ils étaient contents de leurs avancés sur le projet commun. Au moins ça ferait un domaine où ils n'allaient pas se planter.

Installé contre le mur, Raphaël repensait à la discussion qu'ils avaient eue la veille avec Nathaniel. Sarah l'avait envoyé au casse-pipe, en le chargeant d'un message désagréable. Bien-sûr qu'il avait accepté, sans doute parce qu'elle lui plaisait et tant pis s'il n'irait jamais plus loin avec elle. Il n'allait jamais plus loin avec aucune fille. Pas qu'elles auraient dit non, il était vraiment très charmant.

Nathaniel avait dit que le projet commun était trop compliqué pour Sarah. Elle avait pourtant accepté au départ, avait fait remarquer Zach. Zach n'aimait pas trop les revirements de situations comme ceux là. Est-ce qu'elle les lâchait ? Non, mais elle voulait proposer à l'une de ses potes de rejoindre le projet pour lui filer un coup de main, s'ils étaient d'accord. Ils n'avaient pas vraiment le choix, alors ils avaient accepté. Mais ça ne plaisait pas du tout à Raphaël. Il savait que tant qu'elle n'aurait pas fini son boulot, il resterait un peu inquiet. Ce projet, c'était le seul projet qu'il tenait à ne pas foirer. À voir comment Zach tirait nerveusement sur sa clope, c'était également son cas. Seul Sacha avait l'air détendu, mais lui, il était sur son téléphone en train d'échanger des mots doux avec sa copine visiblement. Raphaël aurait pu se foutre de sa gueule, mais il trouvait ça rassurant que l'un d'entre eux puisse être vraiment heureux. Après tout, ils traînaient tous leurs problèmes.

Au loin, Rebecca et ses potes s'acharnaient sur un élève. Après un premier mouvement en avant, Raphaël se laissa aller contre son bout de mur qui avait commencé à se réchauffer, prenant de sa chaleur corporelle. Ce n'était rien, c'était juste Erwan. Il allait lui filer son argent -comme toujours-, se prendre quelques coups -peut-être- et puis il repartirait. Il se concentra sur la discussion en cours. Nathaniel avait avancé sur sa partie du projet et il voulait savoir si ça pourrait coller avec tous les autres, si ça ne dérangeait pas leurs plans. Il avait trouvé un chouette truc, ils validèrent. Ils s'étaient tous bien démenés. Ils espéraient arriver à impressionner leurs profs, ne serait-ce que pour voir la tête qu'ils allaient leur tirer. Ils étaient en train de leur préparer une drôle de surprise. Ils étaient occupés à s'amuser de cette idée, quand ça se mit à crier. Raphaël sursauta. Est-ce qu'il s'était trompé, ce n'était pas Erwan l'élève qu'ils avaient chopé ? Non, c'était bien lui et c'était sa voix qui hurlait des mots de colère.

Ils se regardèrent les uns les autres, un peu surpris. Erwan se laissait faire. Ça faisait partie des constantes. Est-ce que Rebecca et ses idiots étaient allés plus loin ? Trop loin ? Est-ce qu'il lui avait fait mal pour qu'il réagisse ainsi ? Ils avancèrent un peu, comme un seul homme, juste pour voir, juste pour comprendre.

- NON ! Rendez le moi !

Erwan criait. Tom lui barrait le chemin. Il n'avait aucune chance face à lui. C'était l'un des plus costaux parmi tous les élèves et même sans ça, Erwan n'était qu'une brindille. Une brindille qui, comme poussé par un courant d'air violent, se jeta contre le colosse, cherchant à le passer pour atteindre Rebecca. Elle, elle riait. Elle riait et riait encore tout en déchirant, feuille après feuille un cahier. Non, pas un cahier, un carnet de dessin, celui-là même sur lequel Erwan passait tous son temps, chaque soir et sans doute chaque minute de temps libre qu'il pouvait avoir. Raphaël déglutit. C'était cruel, plus que de lui prendre son fric ou de lui lâcher quelques insultes à la figure. C'était cruel, parce que ça visait un peu trop bien.

Oui, mais c'était Erwan et il le méritait au fond. Que son carnet soit déchiré, déchiqueté, qu'il soit traîné dans la boue, qu'il soit réduit en poussière, peu importe. Après tout, Erwan avait fait bien pire. Il avait détruit bien davantage. Ils reculèrent et se réinstallèrent à l'abri de la pluie. Dehors, les cris continuaient. Erwan était juste repoussé, maintenu, bloqué. Il était juste trempé et impuissant. Raphaël le regarda, s'écrouler à moitié, presque sidéré et tout ce qu'il éprouva, ce fut de la colère. Pauvre petite chose, hein ? C'était vraiment un sacré menteur.

Quand Rebecca partit, elle abandonna derrière elle une flopée de confettis qui tombèrent dans les flaques d'eau qui avaient envahi la cour. Erwan resta immobile un instant. L'eau qui coulait sur son visage noyait peut-être ses larmes. Puis il se mit à courir. Il fonça directement vers Rebecca, mais Justin, se retourna. Sa grande main se leva et d'une claque, elle renversa Erwan. Il s'écrasa au sol. Il se redressa vaguement, toujours couché par terre, à moitié sonné. Certains des spectateurs se mirent à rire. Raphaël tira juste plus fort sur sa cigarette. Ce mec était stupide. Il n'avait aucune chance face à ces types, alors qu'il ravale sa furie et qu'il bosse à être quelqu'un d'autre. Raphaël se figea alors qu'une idée lui traversait la tête. Se pourrait-il qu'Erwan croit à son propre mensonge ? Avait-il vraiment l'impression d'être une petite chose fragile et innocente, malmené par les autres alors qu'il ne le méritait pas ? Erwan méritait qu'on lui arrache ses rêves. Il méritait de pleurer. Il méritait de supplier pour qu'on l'écoute. Il méritait que tout le monde se détourne. S'il avait eu une once de lucidité, il l'aurait su, n'est-ce pas ? Il ne pouvait pas vivre dans un mensonge aussi grand.

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant