La haine

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Erwan avançait doucement. Il portait son sac à dos et son sac de voyage. C'était vendredi et ils retournaient dans leurs familles. Ainsi chargé, le frêle jeune homme n'avançait pas bien vite. Il suivait pourtant la cadence du groupe autour de lui. A moins que ce soit l'inverse. Zach et Sacha chahutaient, ensevelis sous leurs propres bagages. Nathaniel ouvrait la marche. Il portait étrangement peu de sacs. Erwan n'avait rien osé demander à ce sujet, mais il était prêt à parier que s'il l'avait fait, Nathaniel se serait contenté de lui adresser un clin d'œil malicieux.

Raphaël était juste à côté de lui. Ils étaient proches comme deux potes, peut-être plus ? Est-ce que ça se voyait qu'ils étaient en train de devenir bien plus que des amis ? Erwan frémit. Il repensait aux baisers échangés et ses joues rougirent doucement. Il avait un peu chaud, mais toute la tension redescendit brutalement lorsqu'il leva la tête et qu'il les vit.

Autour de lui, les garçons avançaient comme si de rien n'était. Ils faisaient exprès et pourtant, il y avait un problème. Sur leur chemin se dressait Rebecca et ses amis. Le soleil était encore haut en ce milieu d'après-midi. Les internes rentraient toujours tôt. La sonnerie avait retenti, les élèves étaient censés être en cours et pourtant, ce petit groupe était là, en travers de leur chemin.

Rebecca, en tête, barrait le chemin, les bras croisés dans une attitude de défi évidente. Pour une fois, elle ne souriait pas, mais ce n'était pas rassurant pour autant. Derrière elle, il y avait ses acolytes. Lydie se tenait un peu en retrait derrière Justin, comme si elle n'était pas bien sûre de pourquoi elle était là. Les autres faisaient front. Mathilde avait l'air particulièrement dégoûtée. Tom et Justin se préparaient à faire face. Quand ils furent à porté de voix, Rebecca attaqua. Elle était là pour ça.

- Terrance te suffisait pas alors ? Il fallait que tu tentes avec un autre ? Tu vas le tuer lui aussi ou juste le rendre totalement pd ?

Sacha éclata d'un rire tonitruant, comme si elle venait de sortir une blague particulièrement marrante. Dans son sillage, Tom se mit à rire lui aussi et Zach en fit autant. Sacha s'arrêta d'un seul coup, pour regarder fixement Rebecca.

- Tu voulais rire n'est-ce pas ? Tu n'es pas folle petite guêpe. T'es au courant que si tu piques, tu t'en sortiras pas, hein ?
- Oh toi ! Retournes roucouler avec ta morue. Tu m'intéresses pas.

Sacha fit un pas en avant et Zach lui chopa le bras. Écrabouiller Rebecca était tentant, mais ce serait lourd de conséquences. Néanmoins, avec ce seul pas, Tom et Justin avaient reculé, montrant clairement à Rebecca qu'elle ne gagnerait pas dans ce genre d'affrontement.

- Laisses tomber mon pote., chuchota Nathaniel avant de reprendre plus fort. Tu sais bien ... Rebecca, elle aimait Terrance ... En faites, elle est juste triste de ne pas avoir pu se faire tringler et maintenant ... Regardes la. Personne n'en voudrait. Sérieusement, même si tu me payais chérie, j'aurais pas envie de tremper ma queue dans tout ce poison. T'as fait ta crise de jalousie pour Terrance. Bouh Terrance il ne veut pas de moi. Tu vas pas me dire que tu avais aussi des vues sur Raph ? Voyons ... Peut-être que sa queue résisterait mieux que la mienne, mais il est beaucoup trop cher pour toi.
- Je ne voudrais jamais qu'un putain de sale pd me touche !
- Parfait ! Voilà qui est réglé alors. Bon courage, chérie. Tu trouveras un mec un jour ... mais sérieusement ... Tu devrais plutôt chercher une nana. Qui sait, ça pourrait te décoincer.

Rebecca avança, le poing brandit sur Nathaniel et ce dernier se mit à rire tout en tendant la joue. Un sourire étrange déformait son visage et ses yeux semblaient totalement fous quand il lui susurra.

- Vas-y ma belle. Vas-y fais-moi ce plaisir. Cognes et cognes fort. Un seul coup suffira, j'irais à l'hosto et si tu crois que moi je resterai silencieux ... Tu te trompes. Allez vas-y, montre-nous comme t'es forte pour faire mal.

Dans son dos, Erwan frémit. Il ne voulait pas que Nathaniel soit blessé. Il ne voulait pas qu'il souffre à cause d'eux et de leur orientation. Ce n'était pas grave. Il devait laisser tomber. Doucement, il sortit de l'ombre de Raphaël. Il posa ses doigts sur le poignet de celui qui était devenu son ami et qui était en train de les défendre de son corps.

- Elle n'en vaut pas la peine.

Il déglutit et ajouta doucement.

- Tu ne peux pas être jalouse. Tu savais ce que Terrance faisait. Tu savais que c'était pas mon petit-ami. Tu l'as vu ... Tu aurais pu ... Tu aurais pu l'arrêter. Je n'ai rien dit. Jamais et tu le sais aussi bien que moi. Alors ... si tu t'en veux de ne pas l'avoir dénoncé parce que ça lui aurait sauvé la vie, je suis désolé pour toi, mais je n'y peux rien. J'aurais échangé nos places bien volontiers. Maintenant ... Ma vie ne te concerne pas. Laisse-moi tranquille.

Il recula, jusqu'à attraper la main rassurante de Raphaël. Ce dernier les remit en marche, leur faisant éviter le groupe de son mieux malgré les insultes qui continuaient de jaillir de la bouche de Rebecca. Elle était ridicule. La cogner ne la rendrait pas plus intelligente et elle pourrait même croire qu'elle avait raison. Alors autant partir et la laisser en plan. Pourtant, la révélation d'Erwan lui avait mis un coup au cœur. Rebecca savait. Elle savait ce que Terrance lui avait fait subir. Il y avait un témoin. Elle n'avait rien nié.

Quelque part, le fait que tout ne tienne pas juste sur les paroles d'Erwan était important. L'idée même qu'elle ait pu voir, ça changeait beaucoup de choses.

A côté de ça, d'autres choses se passaient dans la tête de Raphaël. Même s'il fit comme si tout ça ne l'avait pas ébranlé, ce n'était pas le cas. Il avait cru qu'Erwan s'était trompé. Pas sur Terrance, bien-entendu, mais il avait cru que les insultes, les coups, les humiliations tout ça ne venait que du silence. Il avait cru que cela venait uniquement de la trahison toute illusoire d'Erwan envers Terrance que tout le monde croyait avoir compris. Il pensait que tout le monde vengeait le destin terrible de Terrance. A tord certes, Terrance n'était pas la victime que tout le monde pensait.

Pour la première fois, il comprenait que ce n'était pas que ça. Le silence d'Erwan l'avait condamné à un certain nombre de tourment, mais son homosexualité avait clairement joué en sa défaveur. Bon nombre des coups n'étaient rien de plus que de l'homophobie.

Aux yeux de Raphaël, c'était une constatation étrange et douloureuse. Il n'avait pas peur pour autant. Sa petite brindille avait peut-être bien des difficultés, mais il ne risquait plus rien. A présent, il le protégerait et le voir oser parler, oser répondre, c'était tellement bon. Erwan s'ouvrait, lentement, vaguement, maladroitement, mais il s'ouvrait. Le reste du monde ne serait peut-être rempli que d'ennemis, mais ils étaient ensemble. Ils étaient forts parce qu'ils étaient ensemble. Alors tout irait bien. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant