La sanction

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Où était-il ? Nulle part. De partout. Il avait éclaté en un millier de petits morceaux de lui-même, fourmillant d'électricité ... enfin, c'était l'impression qu'il avait eue. Il avait mis longtemps à se recomposer. La douleur était restée emprisonné entre tous ses petits bouts de lui-même. Il n'était qu'un bonhomme fait de débris. Raphaël parlait encore. Il criait un peu. Erwan fut secoué par un long frisson. Est-ce que s'il allait jusqu'à la fenêtre, qu'il l'ouvrait et qu'il sautait, il avait une chance de mourir ?

Rebecca l'avait dit ... Il ferait mieux de mourir. Elle avait raison. Elle avait raison sur beaucoup de choses, mais elle avait néanmoins tords sur certains points précis. Il n'avait pas dénoncé Terrance. Il ne l'avait jamais fait, pas plus qu'il ne dénoncerait Rebecca si -quand ?- il finirait par aller à l'hôpital. Mais peut-être qu'elle le savait déjà ... Il n'avait pas tous les défauts du monde. Ils pouvaient tracer beaucoup de mots sur sa peau et aussi honteux soient-ils, il ne pourrait pas les nier. Par contre, il n'était pas une balance. Il n'avait jamais dénoncé personne ... ou alors il ne s'en souvenait plus. Peut-être que lorsqu'il était tout petit ? Peut-être ...

Il se laissa glisser contre la porte, tant pis si Raphaël le regardait. Il n'avait pas le courage de marcher jusqu'à la fenêtre et s'il tentait de s'y jeter, il risquait encore de se faire tabasser. Raphaël pourrait bien croire qu'il n'avait fait ça que pour lui nuire. Tout était possible dans ce monde infernal. Il ne voulait aucun mal à Raphaël, malgré tout ce qu'il avait pu lui dire, ça restait une personne avec qui il aimait être ne serait ce que parce que Raphaël ne tapait pas. Ça semblait un peu idiot, mais juste ne pas craindre le moment fatidique, c'était excessivement reposant.

Raphaël se leva et avança sur lui. Depuis le sol, Erwan le trouva beau. Il avait l'air sauvage. Son regard était si sombre qu'il semblait venir tout droit des enfers. Il avait l'air en colère, non, il avait l'air enragé. Ses piercings, son sweat noir, ses chaussures cloutés, tout venait accompagner ce tableau. Doucement, il se laissa tomber sur le côté, sans même trop s'en rendre compte. Il était en sécurité, il pouvait se laisser aller. Il se sentait un peu incohérent et ses pensées prenaient des chemins étranges.

- Eh tu m'fais quoi là ?

Le silence s'éparpillait. Il partait. La solitude l'accompagnait, l'air de rien et tout allait bien car Raphaël n'irait pas plus loin que les mots. Tout allait bien parce qu'il était en sécurité ici. À moitié par terre, le souffle de plus en plus long comme s'il s'endormait, Erwan ne murmura qu'un seul et unique mot. Ce mot, c'était "merci".

Raphaël s'arrêta net. Toute sa rage venait d'être soufflée en un instant devant la vision qu'il avait. Ce n'était pas les poignets fins d'Erwan, à moitié dénudés. Ce n'était pas sa bouche ravissante. Ce n'était pas ses paupières closes. Ce n'était même pas ce morceau de hanche que son pull remonté laissait apparaître. Le tableau aurait pu être charmant, mais ce n'était rien de tout ça.

Ce qui la figea complètement, ce fut cette marque sombre. Il ne comprit pas immédiatement. La marque grossissait. Elle paraissait noire sur le sol coloré. Sans un bruit, il avança jusqu'à Erwan et tapota son genou du bout du pied. Aucune réaction. La marque continuait de grossir, paresseusement. Il se pencha jusqu'à elle et l'effleura des doigts. C'était mouillé. Quand il remonta la main, il ne put que comprendre, mais il refusait de l'admettre, alors il tira un peu plus sur le pull d'Erwan, pour voir exactement où la marque prenait vie. Il y avait plusieurs cicatrices sur son ventre. Des vieilles cicatrices. Et puis là, juste en dessous de ses côtes ... Raphaël trébucha à moitié sur place. Il inspira rapidement deux fois d'affilé avant de comprendre qu'il fallait réagir vite.

Il plaqua sa main sur la plaie, le sang, poisseux, ne l'aidait pas. Il avait du mal à maintenir la pression, mais tout en bloquant de son mieux la longue déchirure, il tira Erwan loin de la porte. Il se retrouva, avec Erwan dans les bras, assis au sol, les mains pleines de sangs. Il n'avait pas le temps d'y penser. Tout le pantalon noir d'Erwan, comme ses fringues, étaient totalement imbibés. Depuis combien de temps saignait-il ? Il avait l'air froid sous ses doigts. Sans attendre une seconde de plus, Raphaël se mit à gueuler de toutes ses forces le prénom du surveillant.

Mike. Mike avait déjà entendu crier dans l'internat. Il y avait déjà eu des bagarres et même un nez cassé, une fois. Mais ce cri de pure angoisse, ça, il n'en avait pas l'habitude. Il se figea une seconde. Il eut une idée nette et terrifiante. Il pensa : il y a un mort. Puis il s'élança. Il n'était pas le seul. Toutes les portes s'étaient ouvertes et le surveillant qui dormait de l'autre côté du dortoir arrivait en courant lui aussi. Mike ouvrit la porte à la volée et il s'arrêta tout aussi vite. Y'avait du sang de partout sur la main de Raphaël et Erwan était là, entre ses bras, inconscient ou peut-être pire.

Attraper son portable et appeler des secours.
Vérifier si Erwan respirait encore.
Bloquer la plaie et faire un point de compression valable.

Il ne savait plus par quoi il fallait commencer. Est-ce que le gosse était mort ? Il était tellement pâle. Il était tellement blanc. Quelqu'un le dépassa et donna des ordres. Il vérifia ce que Raphaël faisait et appela les secours. À la manière dont il répétait les choses, Mike se souvient de la formation qu'il avait reçue. Il était tous formé aux premiers secours ici. Les surveillants par obligation et Raphaël parce qu'il bossait en atelier. Il connaissait la procédure. Il s'y raccrocha de son mieux tout en composant le numéro des secours.

- Est-ce qu'il est vivant ?
- Oui. Sort, demande aux élèves de regagner leurs chambres, les laisses pas voir ce qu'il se passe ici et va dehors pour guider les secours.

Mike hocha lentement la tête, mais demanda encore une fois :

- Il est vivant, hein ?
- Oui, il est vivant. Vas-y, Mike. C'est bon. Je gère ici.

Mike hocha encore de la tête, lentement, avant de se détourner. Il referma doucement la porte derrière lui. Dans la chambre, les deux hommes réinstallèrent doucement le blessé tout en faisant de leurs mieux pour bloquer la blessure. Une serviette vient rejoindre les doigts de Raphaël qui n'avait pas décidé de laisser sa place. C'était une étrange pensée, mais est-ce qu'Erwan avait attendu d'être avec lui pour se laisser aller à la faiblesse ? Est-ce qu'il avait attendu d'être à l'abri ? Est-ce qu'il avait pu penser, réellement, que Raphaël s'occuperait du reste ? C'était-il abandonné à lui ?

Peut-être pas, mais dans le doute, Raphaël ferait tout ce qu'il pouvait. Ce type était peut-être le pire connard du monde, mais il n'allait pas crever entre ses doigts.

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant